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Non retenu par le Festival
de Cannes l'année dernière, La Dernière Reine de Damien Ounouri
et Adila Bendimerad connait
un certain succès dans les salles françaises, réunissant pas loin de 60.000
spectateurs
en un mois d'exploitation. Conçu pour le grand public algérien, ce film d'époque alterne dans une frénésie fiévreuse scènes d'action et intrigues de palais. Sa sortie en Algérie est prévue en juin. La critique de notre envoyé spécial à Cannes et les avis de la presse française. Si le film de Adila Bendimerad et Damien Ounouri suscite depuis sa sortie en France autant d'empathie et de bienveillance c'est parce qu'il le mérite. Méritant, le film l'est de bout en bout, dans son fond comme dans sa forme, et pour le meilleur bien souvent pourrait-on ajouter. Chaque plan, chaque travelling, chaque détail ou presque de La Dernière Reine témoigne et souligne que des artisans de bonne volonté tentent de confectionner avec des petits moyens une grande espérance. Pour nous proposer quoi au juste ? Une saga péplumesque à l'eau de jasmin sur les démêlés d'Alger face aux interventions étrangères du début du 16ème siècle ? Un film d'aventures avec pour héroïne une jeune reine d'Alger qui décide de tenir tête au puissant corsaire Baba Arroudj et venger l'assassinat de son roi ? Un manifeste intersectionnel, postcolonial et féministe, génialement dissimulé dans un film de kéchabia et d'épée ? L'option judicieuse de La Dernière Reine est de jongler avec tous les genres qui pouvaient s'offrir au film, en misant à chaque fois sur la simplicité, l'épure. Non seulement ce film d'époque de bric et de broc ne se laisse jamais plomber par le poids des costumes et le choc des décors, comme on aurait pu un instant le craindre, mais en plus il fait la démonstration qu'il sait zigzaguer entre les genres populaires pour arriver à ses fins. La Dernière Reine slalome donc entre les intrigues de palais -filmées comme dans un feuilleton turc de luxe- et les scènes d'action et de combats, globalement réussies et qui lorgnent plus du côté du cinéma asiatique de série B, fauché mais inspiré, que de la grosse quincaillerie hollywoodienne. Modeste et ambitieux, le film n'a pas été conçu pour les festivals internationaux de cinéma, mais d'abord, spécialement, et avant tout pour le grand public? algérien. C'est cela qui le rend définitivement sympathique et qui le distingue de la méli-mêlée de films produits ces dernières décennies avec des aides (et quelques obligations) «internationales». En attendant que La Dernière Reine rencontre et harponne son «grand public algérien», on constate que ce film ne déplait pas aux publics étrangers qui le découvrent avant sa sortie nationale (voir article ci-dessous), une belle leçon à l'attention des collègues d'Adila et Damien Ounouri et autres jeunes pousses des IF en Algérie. À propos, mais sans doute le saviez-vous déjà, La Dernière Reine qui se bat contre Baba Barberousse Arroudj n'a probablement jamais existé avant ce long-métrage de fiction. Entre faits historiques flottants et légendes lointaines, le film est l'histoire imaginaire et frictionnelle de Zaphira, la deuxième épouse du dernier roi d'Alger, Salim Toumi. Gros plan sur Adila Bendimerad, Zaphira, la dernière reine, c'est elle. Action ! En ce début du 16ème siècle, pour repousser les assauts des Espagnols revanchards qui menacent sérieusement le petit royaume des Thaâlbi, et sous la pression de son conseil, le roi Toumi fait appel au soi-disant «sauveur des musulmans et des juifs» en Méditerranée, le redoutable Baba Arroudj. Arrivé à Alger, un peu comme les Wagners déboulent aujourd'hui dans les pays du Sahel, le corsaire au bras d'acier fait ce qu'il a à faire, sans états d'âme, mais une fois sa mission terminée plutôt que repartir avec son pécule comme il le fait habituellement, il reste à Alger où il traîne avec sa bande de janissaires pouilleux, arrogants et armés jusqu'aux dents. Dans l'ivresse des folles nuits de la Casbah de 1516, le chef corsaire quadragénaire se met à rêver de devenir sultan à la place du roi pour une belle retraite au soleil. Si bien que lorsque le roi Salim Toumi est retrouvé assassiné dans son hammam, tout le monde est persuadé que c'est un coup d'Etat fomenté par le terrible rougi. De libérateur, Barberousse devient occupant, si ça vous rappelle quelque chose de plus contemporain, vous êtes dans la bonne voie. Complots, trahisons, coups tordus et cous tranchés. On reste scotchés comme devant une bonne série télé? Construit en 5 actes, La Dernière Reine déroule le récit de cette histoire immédiatement volcanique d'une manière simple, avec des parlés crédibles où l'on saisit tout, que cela soit dit en pseudo-vieil algérois, en turc, en berbère ou même (un peu) en finnois, car Barberousse ramène à Alger sa girl-friend, une blonde esclave venue des pays nordiques (Nadia Tereszkiewicz, jeune comédienne franco-finlandaise en pleine ascension, récemment primée par le César du meilleur espoir féminin). Chaque acte est titré, comme dans un roman, ce qui nous permet au passage de saluer, pour sa typo arabe très élégante, le beau travail du désormais Marseillais Walid Bouchouchi. L'ancien des Beaux-Arts d'Alger a également réalisé la sobre et classe affiche du film. Chaque acte, chaque chapitre de film, aurait pu d'ailleurs constituer un épisode à étoffer pour une série algérienne d'envergure destinée à Netflix, car il ne faut pas chercher plus loin les influences de La Dernière Reine, c'est cadré-filmé-monté comme dans une (bonne) série faite par et pour les plateformes américano-mondiales. Au centre du dispositif de cette production aux décors soignés, Adila Bendiremad, au four et au moulin, derrière et devant la caméra. Omniprésente à l'écran, elle incarne à corps perdu la reine Zaphira - tout en assurant la co-réalisation du film avec son époux Damien Ounouri. Le scénario est taillé à sa mesure, et tant qu'à faire cousu par elle-même (à l'origine pour une pièce de théâtre). De la haute couture ? Non, mieux, ou du moins plus intéressant: du made-home fignolé avec goût. Par exemple, Zaphira échappe à la panoplie des stéréotypes imposés aux femmes par le cinéma algérien. Ni victime, ni sympathique, ni héroïque, ni mam-Keltoum-poule, mais plutôt une Lala moulati des harems, légère et mégère. Au risque de s'attirer quelques foudres tlémceniennes, il faut reconnaître qu'Adila Bendimerad n'a jamais été aussi crédible qu'ici, en Sissy de Miliana, pauvre petite reine abandonnée dans son palais algérois. Mais comme sous nos yeux la reine insouciante va se transformer en veuve combattante, puis en queen-killeuse, il faut saluer la performance de la comédienne qui porte le film du début jusqu'à la fin. Cinéma, la reine Adila dans tous ses états ! Un film algérien avec des rebondissements et tout: Après l'assassinat du roi, au lieu de rentrer chez son père à Miliana comme l'exige sa famille, Zaphira la jeune reine-veuve se met en tête d'affronter la puissance occupante et d'organiser la résistance. L'audace suprême du film, sa partie résolument féministe, n'est pourtant pas à chercher dans les scènes où la jeune reine fait couler des torrents de sang, mais plutôt dans quelques scènes typiquement soap mais très culottées : Zaphira reprochant à son roi de mari de la délaisser, ou encore Zaphira et ses coquines copines s'épanchant sur le sexe des hommes dans une pause piscine, scène savoureuse de harem qui reconstitue les pauses des tableaux orientalistes pour mieux s'en moquer, dans ces scènes vaporeuses, la jeune maman et reine exprime ouvertement sa frustration, et s'indigne de ne pas avoir son homme dans son lit. Pour le moins inédite, et miraculeusement sans jamais paraître hors de propos ou gênante, cette revendication sexuelle passe d'autant mieux qu'elle est un des ressorts de la dramaturgie du film. En manque d'amour, La Dernière Reine va-t-elle succomber au sex-appeal de son ennemi ? Dans le rôle de Barberousse, le très physique Dali Bensalah en homme-objet assure merveilleusement le job conscient et consentant de ce renversement des rôles, très dans l'air du temps post-anagana. Entre les deux protagonistes il y a un peu plus que des étincelles, plus le film avance, plus ça crève l'écran. Le désir de la chair l'emporterait-il au final sur le désir de vengeance et autres calculs politiques ? À un moment, on espérait que le film allait échapper à son destin tout tracé, un peu à la manière de sa principale protagoniste, pour nous emporter dans une fantastique et foutraque histoire d'amour, forcément immorale. Qu'il tourne le dos à son propos historique pour fabriquer quelque chose d'intime qui n'appartiendrait qu'à lui. Sensuel et roublard, si le film active à nous entraîner vers la possibilité de cette piste, ce n'est que pour mieux nous indiquer le chemin qu'il n'empruntera pas. La Dernière Reine, c'est la guerre sans glamour, un mélo qui retient ses larmes et fait couler beaucoup d'hémoglobine. Dans la scène la plus torride de ce long-métrage de presque 2H, quand la reine captive et le corsaire amoureux se retrouvent enfin, corps contre corps presque, sur un cheval remuant comme s'il lui aussi était en rut, leur joute verbale yeux dans les yeux remet les pendules à l'heure. Pour elle, il est sans doute le mâle qu'elle désire, mais pour nous, grand public, elle ne voit que le mal qu'il a fait. Scène iconique, les yeux Adila Bendimerad qui exprime tous les sentiments de Zaphira dans cet intense et bref instant - gros plans, grande émotion. Alors oui, La Dernière Reine aurait pu être un incroyable film d'amour, mais c'est exactement et volontairement ce qu'il n'est pas. Tant pis, tant mieux ? Dans ce crépusculaire péplum pop' patriotique qui prend aux tripes, le nif passe avant le cœur et le reste. Tomber dans les bras de son bourreau ? S'offrir à l'ennemi qui occupe avec son armée son pays ? Abdiquer au nom des «bienfaits» du colonisateur, magnétique et bien gaulé ? Plutôt crever ! C'est le message du film, le point d'orgue de cette tragédie épique. Quitte à nous décevoir un peu, La Dernière Reine tient à sa petite fierté, nationaliste et sacrificielle, pour flatter et revendiquer les valeurs et les constantes partagées avec le fameux «grand public algérien» -qu'elle/qu'il veut fédérer. Dire qu'on n'a pas été bluffé par la légèreté de son outrecuidance et la hardiesse de sa réalisation serait un mensonge éhonté. Et au final, est-ce un grand petit film ou un petit grand film ? Peu importe au fond, mais à sa sortie, au niveau du ressenti comme on dit, on peut au moins affirmer que sur l'anticolonialisme La Dernière Reine est crédible dans le rôle du grand film populaire qui nous venge des petits films populistes qu'on nous a tant fait subir. Et rien que pour ça? |
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