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Clôture ce soir
de la 72e édition du festival de Cannes. Notre envoyé spécial esquisse un bilan
à quelques heures de la proclamation du palmarès par le jury présidé par le
cinéaste mexicain Alejandro González Iñárritu.
Plutôt que de faire des pronostics et prendre le risque de parier sur tel ou tel film pour être aussitôt contredit par le palmarès, essayons de dégager les lignes fortes de cette 72e édition du Festival de Cannes. Répertorier par exemple les thèmes récurrents et les obsessions nouvelles qui ont traversé les films venus du monde entier. Et comme après tout Cannes n'est pas seulement que glamour et fric, les deux faces plus ou moins florissantes de l'industrie cinématographique, on peut parler de l'art, et confronter ses points de vue. Cannes reste un lieu d'échanges d'idées et d'opinions, que cela soit dans l'ivresse des fêtes ou dans le sérieux des discussions passionnées avec les confrères internationaux et les cinéphiles incurables qui peuvent attendre des heures sans être sûrs d'avoir accès aux séances. Si on doit parler de bilan, allons y franchement, il ne s'agit pas seulement de porter un jugement sur les films (vus à raison de 3 par jour durant ce festival qui en compte 12), mais aussi sur l'effet qu'ils nous font, ce qui revient à faire un bilan de santé ! In et Out. In : au fil des films se poser la question, comment les auteurs évoluent avec le temps. Out : En discutant avec des collègues qui, eux aussi, vieillissent au fur et au fil des éditions. Du coup à la question : comment va le monde ?, qu'on se posait tranquillement dans la bulle cannoise, se substitue une autre : comment vieillit-on ? Si le «Douleur et Gloire» de Pedro Almodovar se démarque du reste des films en compétition, c'est parce qu'il prend à bras le corps ce thème: comment peut-on vieillir sans faillir ? Peut-on éviter le naufrage inhérent au grand âge, et si oui quelles sont les meilleurs bouées de sauvetage en attendant le dernier souffle, le grand sommeil ? Vieillir c'est revivre les plus belles années de notre vie dans un rythme plus lent et plus apaisé nous console le célèbre madrilène dans son magnifique nouveau film «Douleur et gloire». Malgré la douleur ? Oui, malgré la douleur et les regrets, malgré les êtres chers enterrés et les illusions perdues. Douleur et Gloire d'Almodovar est d'une profonde générosité qui permet de dégainer le mot «humanisme» sans afféterie. Cette auto-fiction évite avec maestria les pièges du nombrilisme qui guettent n'importe quel auto-fictionneur : le personnage de Salvador Mallo, interprété d'une manière sensible par Antonio Banderas, n'est pas seulement le double frictionnel d'Almodovar, c'est nous aussi : il a mal au dos, ne peut plus travailler et encore moins tourner. Replié dans son luxueux appartement, c'est un solitaire dépressif qui fuit les amis qui l'ont connu jeune, dans ses années de gloire, un peu comme Marlène Dietrich recluse dans son appartement parisien à la fin de sa vie, n'osait plus recevoir qui que ce soit. Almodovar invente une belle intrigue pour sortir son double de fiction de sa torpeur et le replonger dans les souvenirs : enfance pauvre dans l'Espagne rurale des années 60 et folle jeunesse des années Movida. Réactivant tous les thèmes chers à son cinéma Almodovar introduit quelque chose de nouveau cette fois dans la palette de ses émotions : un nuage couleur ocre où se reflètent les couleurs chaudes de sa flamboyante jeunesse, le tout dans des mises en perspective que permet l'âge de la raison et des sens apaisés. Ce film au lieu d'être seulement un chant d'adieu sur fond crépusculaire est une ode à la vie qui continue quand le plus beau et le plus dur sont derrière nous. A Masterpiece. D'autres cinéastes vieillissent moins bien qu'Almodovar. Cannes 2019 rengorge d'exemples de cinéastes autrefois vifs et adulés et aujourd'hui ternes et usés. Encore faut-il expliquer ce que veut dire «vieillir mal» par rapport à «vieillir bien» On peut dire que le Terrence Malick qui revient (sans se montrer) avec «Une vie cachée» appartient plutôt à la première catégorie. Dans son traitement de la vraie vie d'un objecteur de conscience autrichien qui refuse de s'engager pour défendre les plans d'Hitler, Malick fait dans un lyrisme grandiloquent qui pour être somptueux n'est plus du tout original, tentant avec sa caméra baladeuse de produire des plans époustouflants pour un discours sans souffle, très convenu. Lassant. On pourra presque dire la même chose concernant le dernier opus des Dardenne, «Le Jeune Ahmed». Même si les vieux frangins belges n'ont pas oublié la fonction «mise à jour» de leur système scénario (en une phrase: désormais la Rosetta s'appelle Ahmed, jeune adolescent musulman radicalisé qui, dans sa crise d'adolescence, refuse toute forme d'insertion), leur manière de filmer n'a pas évolué d'un iota. Caméra à l'épaule, ils tentent de suivre un personnage -ou une problématique, si l'on veut- qui finit ici par leur échapper, et leur final on ne peut plus catho en forme de pardon est une fuite en avant qui illustre les limites de leur cinéma social. On aurait presque liquidé de la même manière le «Sorry We Missed You» du britannique Ken Loach, sauf que sa rage de dénoncer les casses sociales (et ici l'uberisation du travail) si elle n'est pas originale elle reste trop d'actualité et la liste de griefs contre l'ultra-libéralisme encore longue pour que l'on puisse faire la fine bouche devant la véhémence salutaire du vieux Loach. Et puis, en Out, il y a eu ce plaisir extrêmement jouissif de voir déambuler dans les rues de Cannes les acteurs prolos du film- qui ont bien raison de trouver qu'un bon kebab pris d'assaut par des musulmans jeûneurs ou un pub pour alcooliques anonymes des travailleurs de Cannes, sont des lieux autrement plus humains que tous les palaces de la Croisette. Et Tarantino alors ? Que dire du film le plus attendu de cette édition. Sans «spoiler» bien sûr, pour répondre à la demande de l'auteur, contentons-nous de dire que «Once upon a time... in Hollywood» est un grand film presque parfait. Entre autres raisons parce que Quentin Tarantino ne veut pas ou ne sait pas vieillir. Le film se situe en 1969, année très à l'honneur décidément, et la bonne idée est de faire le parallèle entre ce qui s'est passé il y a 50 ans, quand le cinéma était concurrencé par la télévision et ses séries, et ce qui se passe aujourd'hui alors que l'industrie du film classique est menacé par les nouveaux acteurs 2.0. Pour revenir au film, le plaisir est intense durant la première partie. Un acteur vieillissant de seconde zone qui enchaîne des séries pour la télé et des navets permet à la star Leonardo Di Caprio et son ami-acolyte Brad Pitt, dans le rôle de sa doublure pour les cascades et homme à tout faire en tant qu'ami en dehors des heures de studio, de rappeler à quel point c'est un excellent acteur. Mais hélas le beau thème autours d'une star vieillissante cherchant désespérément à trouver une place dans un nouveau monde qui lui échappe est brouillé par l'autre histoire du film qui gâche la fin de «Once upon a time... in Hollywood». Plus d'une fois à Cannes on se sent aussi «dépassés», par les évènements comme on dit, en réalité par le temps qui nous abandonne un peu ou qui court plus vite que nous, nous laissant un peu comme le personnage joué par Di Caprio. Ne serait-ce que parce qu'on n'a pas vu venir ces dernières années des cinématographies qui sont en tain de dépasser toutes les autres. Celle de la Roumanie (l'excellent film de Corneliu Porumboiu «Les Siffleurs» nourri de plein de cinéma d'autrefois, réinvente et ré-enchante le polar à caractère socio-politique) et bien sûr la cinématographie sud-coréenne, «Parasite», l'autre très grand film de la compétition réalisé par Bon Joon-ho, fable noire et acide, avec un humour des plus fins pour dresser le tableau d'un monde perdu dans la violence de son système économique inégalitaire. Etre jeune et déjà vieux, c'est ce qu'avait déjà dit ce vieux visionnaire de Godard à propos de Xavier Dolan, l'enfant chéri de Cannes, qui revient ici avec un film sans relief «Matthias et Maxxime», quand le vieux Italien Marco Bellochio revient en forme à 80 ans avec «Le Traître» qui retourne avec brio les codes du film sur la maffia. Loin des scènes d'action à répétition, le film se base sur la parole (donnée, reprise, balancée, perdue) et les regards (qui changent, ou pas). Ce film de tribunal qui s'appuie sur l'histoire de Tommaso Buscetta, ce rebelle de la Cosa Nostra qui a permis au juge Falcone de s'attaquer à la mafia sicilienne au début des années 1990, est aussi un film sur le passage du temps. Comment peut-on vieillir sans se trahir, et comment affronter la fin sans trembler de peur : «Un jour on meurt et basta», comme dit le héros principal est la seule philosophie possible pour ne pas crever avant l'heure. De la salle d'audience, à la boîte de nuit?On change de huit-clos, et avec Abdelatif Kechiche et son «Mektoub, my love, 2», qui nous arrive sans générique de fin et de début et à peine mixé, on est invité à suivre pendant 3h30 une fête dionysiaque de jeunes corps vibrants de sensualité et débordants d'envie de vie, de sexe, d'amour. Soirée qui n'en finit pas, avec une très très longue et explicite scène de cunnilingus en guise de cadeau à ceux qui seront restés jusqu'à la fin. Comme si Kechiche et son double à l'écran, le jeune et joli Amin qui observe ses ami.e.s sans toucher, voulait retrouver cette jeunesse perdue à jamais, à l'ombre d'un été à Sète, sa ville natale, utilisant le cinéma aussi pour cette fonction de nous projeter dans notre propre jeunesse. Ce film monstre et lassant de beauté qui décrit les émois de la belle jeunesse et ne fait parler que les jeunes s'adresse à celles et ceux qui ne le sont plus et nous laisse un peu mélancoliques quand il faut quitter la salle Debussy. Et au final ? On compte les années vécues à l'ombre des films projetés à Cannes, les images de notre jeunesse se fondant avec celles de fiction qui les ont nourries ou accompagnées, et la certitude que le mektoub est plus fort que nos prévisions. D'où l'impossibilité de faire un bilan au sens propre du terme, car au moment où l'on s'apprête à envoyer cette dernière chronique on n'a toujours pas vu «It Must be Haeven» d'Elia Suleiman, le film qui nous a décidé pourtant à revenir à Cannes. Signe des temps, cet autre film français qu'on ne serait sans doute pas allé voir si un plan coquin ne nous avait pas posé un lapin. Adapté d'un fait divers «Roubaix , une lumière» d'Arnaud Desplechin est un polar noir qui se déroule au milieu de toute la misère sociale d'une ville désindustrialisée. Dans le rôle du flic le merveilleux Roshdy Zem (prix d'interprétation masculine ?) qui est la preuve que sur grand écran on peut «bien vieillir». On se souvient alors d'un des premiers rôles importants à l'écran de cet acteur français d'origine marocaine : le très beau «De l'autre côté de la mer», premier film sur la décennie noire algérienne tourné en pleine décennie noire justement par Dominique Cabrera, une autre fille avec des racines maghrébines. Roshdy Zem donc joue le rôle du commissaire. Et comment s'appelle dans le film ce commissaire ? Daoud ! Commissaire Daoud ? Absolument, et si vous ne faites pas le lien avec le journal que vous tenez entre les mains ou que vous lisez via son site si peu accessible, c'est que franchement vous êtes, vous aussi, largués et qu'il est temps d'aller se reposer. A l'année prochaine, à Cannes ou ailleurs dans l'espace où personne ne nous entendra nous plaindre du temps qui passe... |
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