Comment parler de Yomedine de Abdou Bakr Chawky ? Ne pas hésiter à mettre en avant sa subjectivité
de critique panarabiste. Assumer que contrairement
aux critiques méticuleux de Cannes, l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran a aimé
le film, malgré ses défauts. Mettre en valeur son message humaniste sans jamais
écrire «message» car le lecteur pourrait penser qu'on a affaire à un film
bien-pensant ou à un jeune cinéaste donneur de leçons. Suggérer que la mise en
scène n'est pas le point fort du film, car il faut être honnête. Néanmoins
préférer le terme «réalisation modeste» ou «formelle» plutôt que «bancale» ou
«paresseuse». De même plutôt que d'écrire que c'est un film sur les défigurés
de l'Egypte des exclus, rattacher ce film et sa cour des miracles à une
tradition cinématographique mondiale qui va de Freaks de Tod
Browning à Eléphant man de David Lynch. Ne pas hésiter à affirmer que de ce
point de vue c'est réussi, on arrive à trouver sympathiques puis attachants ces
corps difformes et monstrueux et on finit par s'identifier à eux.
Insister sur le fait que Yomedine est un road-movie qui
remonte le Nil jusqu'au nord du pays loin des clichés de cartes postales
touristiques de l'Egypte antique et saluer son caractère social (l'intégrisme,
la corruption, la pauvreté, les petites solidarités entre exclus). Décrire le
personnage central, Beshay, ce quadragénaire
subitement veuf dans une léproserie qui veut retrouver sa famille qui l'a
abandonné alors qu'il était enfant. Saluer la prouesse de l'acteur lépreux qui
joue ici presque son propre rôle. Rappeler toute de suite après que c'est une
fiction et que le compagnon de Beshay, un enfant
orphelin surnommé «Obama», n'est pas orphelin dans la vie réelle, c'est le fils
d'un «bouab» - portier- nubien du Caire qu'on appelle
vraiment Obama car il ressemble au précédent président américain. Ne pas
hésiter à convoquer le Kid de Chaplin et l'esprit d'Albert Cossery
pour donner de la consistance à la chronique. Regarder ce film fragile comme on
garde une précieuse lettre d'amour qui nous touche, même si elle est bourrée de
fautes d'orthographe. Trouver un titre qui claque, genre «Nous sommes tous des
lépreux coptes égyptiens». Voilà, il ne reste plus qu'à l'écrire cette
chronique.