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A son tour, il s'est démené
comme un diable pour faire profiter de ses connaissances les nouveaux
arrivants. Donc, dès sa libération en 1953, il entra dans la clandestinité après
avoir réalisé, grâce à son sens patriotique, que la Révolution armée était
l'unique voie permettant au peuple d'arracher sa liberté.
Il commença à sillonner inlassablement les maquis d'Amrouna (Théniet El-Had)[10], du Zaccar, Oued Fodda et bien d'autres régions. Dès 54, il entama l'organisation des maquis: campagnes de sensibilisation et formation des unités d'élite. Il multiplie les rassemblements populaires et désigna partout des responsables locaux à la tête des cellules. Il eut le mérite d'avoir atteint la cime des trois faces pyramidales de pénétration des douars menant ainsi la paysannerie à s'investir au profit de la révolution: 1- sensibiliser les douars au fait colonial; 2- provoquer en eux un certain élan de solidarité; 3- les emmener à s'investir militairement dans la lutte armée. L'organisation s'implanta alors solidement dans toutes les régions. Au maquis, sa double expérience dans les domaines politique et militaire mais aussi de meneur d'hommes ne reculant pas devant l'action armée lui permirent de gravir rapidement les échelons de la hiérarchie. En 1955, Si M'hamed, l'idéaliste, fait désormais partie des principaux chefs de la Révolution en wilaya IV. Il était au nombre de ceux qui ont déclenché l'insurrection armée, une poignée de dissidents du MTLD dont personne, parmi les observateurs, n'avait pu penser à son succès. «Qui peut imaginer que ce groupe va susciter un immense engouement en Algérie et donner souffle à un mouvement inédit en faveur de l'indépendance».[11] Il devint rapidement, au mois d'août 1956[12], adjoint politique du colonel Ouamrane puis du colonel Dehiles qui apprécièrent sa culture politique. Ce dernier avait beaucoup d'affection et même d'admiration pour ce grand garçon brun et athlétique, au visage mât, barré d'une fine moustache, les cheveux noirs, drus et plantés bas, donnaient au jeune une physionomie austère qu'il éclairait parfois d'un sourire. Il ne manquait pas de répéter à chaque occasion à ses djounoud le fait que: «Face à un ennemi plus puissant, nous sommes appelés à définir dans notre lutte un type de guerre populaire pour lequel l'adversaire n'est pas préparé et notre arme absolue demeure l'organisation». Sous l'impulsion de Si M'hamed, jeune chef qui n'avait guère 27 ans, alors commissaire politique, la wilaya IV, qui regroupait tout l'Algérois sauf la zone autonome d'Alger, s'était terriblement politisée. Sa jeunesse, son habileté à établir le contact avec les hommes du maquis lui ont valu une popularité dont personne jusque-là n'avait pu se vanter dans la wilaya IV. Il faut souligner que cette dernière était un territoire qui comprenait plus de 7 de nos actuelles wilayate. De 57 à 59, sont les années durant lesquelles la wilaya IV a connu le meilleur de son organisation, des bataillons furent mis sur pied, avec le regroupement de plusieurs compagnies. Toutefois l'expérience a été rapidement abandonnée dans les autres wilayate en raison de l'inadéquation de cette forme d'organisation. L'ALN ne se présentait pas face à l'armée coloniale dans une disposition similaire à celle des Vietnamiens, permettant de concevoir une victoire militaire après une bataille de type classique opposant des unités fixes dans une grande confrontation. Par contre, aux côtés du groupe de guérilla classique comprenant quelques hommes menant un attentat, la wilaya IV, et c'est là l'empreinte indélébile du colonel Si M'hamed, est restée célèbre pour ses commandos zonaux et katibas, qui portaient généralement le nom de leur fondateur ou d'un chahid, comme les commandos Ali Khodja et Si Djamel commandés respectivement par Si Azedine et Si Mohamed Bounaâma. Le commando représentait à la fois l'élite, au sein duquel les baroudeurs aspiraient à être intégrés et une école de formation militaire ambulante. UNE WILAYA MODELE La wilaya IV était un vaste territoire d'environ 8.000 km². A l'instar des PC des autres wilayate, les postes de commandement de la wilaya IV n'avaient rien d'une forteresse, à l'intérieur de laquelle des généraux peaufinent des plans militaires. Rien de tout cela. Mais rien que ça pour que les généraux aillent combattre des moudjahidine mal habillés, mal nourris et mal armés qui, malgré cela, leur ont donné des soucis. En face de cette armada, il y avait une chose primordiale que n'avaient pas les militaires français: des djounoud qui avaient la foi en la justesse de la cause, animés par l'idéal révolutionnaire, qui sont le fer de lance d'un peuple qui refuse obstinément l'hilotisme abject dans lequel la France s'entête à le parquer. Quelques «gourbis»[13] constituent l'ensemble des installations du PC composées de cuisine, infirmerie, bureau du colonel avec le service des transmissions et du secrétariat. Il cachait derrière la simplicité de son équipement des hommes (le nombre ne dépassait pas généralement une quarantaine) animés d'une volonté de fer, déterminés à venir à bout de l'hydre sanguinaire, fût-ce au prix de leur vie. Il est arrivé plusieurs fois au colonel Si M'hamed de dormir à même le sol. Il s'est empressé une fois d'offrir sa couverture à un djoundi malade, préférant un «lit» d'herbe. Il prenait ses repas en compagnie de ses djounoud autour d'une «guesaâ» de riz ou de pâtes, un menu qui était un festin royal quand les moyens de l'ordinaire le permettaient et qui leur faisait oublier le morceau de galette et le demi-oignon des jours maigres. On raconte qu'une fois[14] Si M'hamed ordonna d'instaurer une garde de nuit, les unités de protection étant assez éloignées. Il demande de le réveiller pour son tour de garde. Malgré l'immense solidarité et la simplicité de Si M'hamed, tous ont été surpris par un tel ordre. D'un commun accord, ils décidèrent de ne pas le déranger. Au petit matin, le colonel s'étant aperçu qu'ils n'avaient pas respecté sa consigne leur passa un mémorable et dur quart d'heure «Avant d'être colonel, je suis d'abord un combattant comme vous. Il n'y pas de distinction à faire. Nous sommes tous là pour la même chose. En conséquence, je vous ordonne de me réveiller la nuit prochaine». Voilà pourquoi Si M'hamed était vénéré et voilà la grande différence entre un général de palace et un colonel révolutionnaire. A défaut de véhicules, ce sont, à la limite de l'opulence, de robustes mulets utilisés pour le transport des vivres et des blessés, mais dans la plupart des cas, la marche à pied avec tout un barda sur le dos était la plus usitée. Le PC de la wilaya était en perpétuel déménagement. De l'Ouarsenis au début de la Révolution où il connut plusieurs déplacements, il fut transféré dans l'Atlas blidéen puis dans le massif du Zbarbar dans le Titteri où, une fois, Si M'hamed, en fin stratège, avait installé l'effectif réduit de son PC de wilaya en face d'un... poste français, là il ne risquait pas d'être découvert par les militaires français. Après la mort de Si M'hamed, le commandant Si Mohamed Bounaâma, son remplaçant, n'a pas trouvé mieux que d'utiliser une villa du militant Naïmi en plein centre de Blida pour implanter son PC dans laquelle il trouva la mort le 8 août 1961, après avoir été localisé par le service écoute (goniométrie) d'El-Harrach, trahi par les émissions de son poste de transmission. Certains écrits parlent plutôt de l'élimination du dernier des acteurs qui ont fait le voyage à l'Elysée. La wilaya IV disposait d'environ 3.000 hommes qui, en véritables guérilleros, devaient impérativement s'adapter aux situations de guerre très complexes. Les moudjahidine étaient en perpétuel mouvement, imposant souvent aux chefs de prendre des décisions au quotidien. La wilaya IV de Si M'hamed s'est toujours distinguée dans ses prises de décisions et réellement collectives qui étaient prises par consensus alors que d'autres wilayate étaient régies par une pesante hiérarchie. Il faut dire que l'impact du colonel Bouguera, cet homme de grande ouverture, a été très profond dans ce domaine alors qu'en wilaya V voisine, les responsables n'ont jamais mis à contribution les djounoud dans la prise des décisions n'acceptant pas de ce fait la gestion démocratique de la wilaya. Malheureusement l'avenir nous le confirmera, étant donné que le passé explique immanquablement le présent. Cette gestion démocratique de l'instance politico-militaire de la wilaya IV, comme nous le verrons plus loin, trouve son origine du fait que Si M'hamed partageait les mêmes convictions politiques qu'Abane Ramdane d'où un même projet de société postindépendance. En 1957, durant la Bataille d'Alger, l'étau de l'armée française se desserra en wilaya IV, pour satisfaire Bigeard, ce qui encouragea les responsables de la wilaya à intensifier des embuscades. Les embuscades tendues à travers la wilaya durant cette période leur ont permis de s'emparer d'un important armement. «Les routes et les pistes[15] étaient nos principales usines d'armement[16]». A suivre *Fils de chahid, retraité Notes : [10] Au début de la Révolution (Novembre 54) Si M'hamed fut désigner par le colonel Ouamrane, chef de la Zone IV (qui allait devenir Wilaya), responsable politico-militaire de la future Zone III dont le PC était établit à Amrouna ( Théniet-El-Had). [11] Sylvain Pattieu ? Les camarades, les frères. [12] Il représenta aux côtés des colonels Ouamrane et Dehilès la Wilaya IV au Congrès de la Soummam au terme duquel il fut nommé Commissaire politique au PC de la Wilaya IV. [13] Masure au toit de chaume [14] Mustapha Tounsi ?Op. Cit. page 60 [15] Il fut entendre par là les embuscades. [16] Entretien avec le commandant Azedine - Août 2008 |
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