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Homme
de lettres, romancier, dramaturge, poète, nouvelliste, anthropologue,
linguiste? Mouloud Mammeri, qui a laissé à son pays une œuvre protéiforme, fait
enfin l'objet d'un hommage particulier.
Né dans un petit village perché tout en haut d'une «colline oubliée» de Haute Kabylie, (Taourirt-Mimoun, commune de Béni Yenni), Dda l'Mouloud, écrivain algérien mondialement connu et traduit dans onze langues, fut rarement commenté et même trop souvent occulté dans son propre pays. Son nom n'apparaît que très rarement dans les ouvrages scolaires et les médias. Celui qui fut le doyen des écrivains algériens et l'un des plus importants d'entre eux n'a jamais fait l'objet d'une reconnaissance particulière. Rares sont ses ouvrages, parus après Le Banquet, qui ont fait l'objet d'une analyse ou d'un compte rendu dans la presse écrite, la radio et la télévision. Certes, l'homme était trop discret et avait de la retenue, mais cela ne peut en aucune façon expliquer le fait que, depuis l'indépendance, aucune instance n'a osé rompre le lourd silence entretenu autour de cet homme qui a tant donné pour son pays. En célébrant le 100e anniversaire de sa naissance, le Haut Commissariat à l'amazighité (HCA) a tenu, non seulement à réhabiliter cet auteur capital, mais aussi à promouvoir son œuvre. Le riche programme concocté durant toute l'année 2017, à travers tout le pays, permettra à la jeunesse d'aujourd'hui d'aborder de front cet intellectuel qui ne manque pas d'intérêt et dont il faut discuter les idées et les œuvres en dehors de polémiques biaisées. De tous les écrivains algériens que la colonisation a contraints à l'exil, Mouloud Mammeri est l'un des premiers à regagner dès l'indépendance l'Algérie qu'il n'a plus quittée depuis. Premier président de l'Union des écrivains algériens, il a connu une période de gloire «institutionnelle» éphémère durant laquelle il a été sollicité, ici et là, donnant même son point de vue dans les journaux. Sa pièce Le Foehn fut montée par le Théâtre national algérien et l'ONCIC a produit le film tiré de son roman L'Opium et le bâton. Loin des feux de la rampe, et sans jamais recevoir d'honneur et de reconnaissance officielle, Mouloud Mammeri a mené une courte et sereine carrière d'écrivain et de chercheur, «caractérisée par une fidélité sereine à certaines idées et certains idéaux», disait de lui Tahar Djaout, et ce dernier de poursuivre «une réflexion qui échappait aux conjonctures, une grande rigueur d'analyse, une honnêteté intellectuelle indéniable». L'œuvre protéiforme d'un auteur prolifique Mouloud Mammeri, qui a écrit son premier roman en 1952, n'a peut-être pas produit une œuvre littéraire prolifique: quatre romans, deux pièces de théâtre, deux recueils de contes pour enfants en trente-quatre ans. Mais de tous les grands écrivains maghrébins qui ont débuté dans les années 50, il est celui qui a le moins publié. Ceci s'explique par l'immense contribution qu'il a apportée sous forme de travaux anthropologiques, grammaticaux, linguistiques ou littéraires au domaine culturel berbère. Sa contribution, déterminante et courageuse, est l'une des plus importantes de ce siècle. Désireux de rendre un hommage particulier à cet auteur, le Laboratoire de création d'outils pédagogiques en langues étrangères (LOAPL) de l'université Oran 2 organise deux journées d'étude (les 13 et 14 mai), à Oran, et ce dans le cadre de la célébration du centenaire de la naissance de Mouloud Mammeri, le fils de Tawrirt-Mimoun, qui a, durant les années 70, animé nombre de débats à l'université d'Oran Es-Sénia. Compte tenu du fait que plusieurs journées d'étude, colloques et séminaires, inscrits au programme de cette commémoration nationale, portent sur la vie et l'œuvre de cette grande figure de la culture algérienne, les universitaires-chercheurs d'Oran, de Mostaganem et de Saïda se proposent de revisiter un aspect précis de son œuvre protéiforme en abordant la problématique des affinités électives entre littérature et cinéma et en mettant en exergue les ouvrages de Mouloud Mammeri qui ont été adaptés au cinéma: La Colline oubliée, portée à l'écran par Abderrahmane Bouguermouh et L'Opium et le bâton, roman nominé aux prix Fémina et Goncourt, réalisé par Ahmed Rachedi. La pièce Le Foehn, montée par le TNA, est également programmée au TRO. Des spécialistes en la matière, cinéastes/critiques (A. Rachedi, B. Hadjad, A. Bedjaoui, A. Mouzaoui, Y. Nacib?), universitaires/chercheurs (Aït Belkacem S., Lalaoui-Chiali F.Z., Medjad-Grine F., El Bachir-Sayed H., Ouksel-Amhis D., Benbrahim-Benhamadouche M., Bali A., Yefsah M., Belkacem D., Ouenzar R.N., Bessaï H., Roubaï-Chorfi A?) animeront les débats, durant ces deux journées. Il y a peut-être lieu de préciser que l'histoire des rapports entre littérature et cinéma est en fait une longue suite de querelles et de malentendus. On demande au film d'être scrupuleusement «fidèle» à l'œuvre dont il s'inspire alors que le passage d'un langage à l'autre s'accompagne nécessairement d'une transformation, fruit de la rencontre profonde de deux créateurs, accordés l'un à l'autre par de subtiles affinités et néanmoins libres. Mammeri, interrogé à propos de son roman adapté à l'écran par Ahmed Rachedi, le disait: «Je n'attends pas une translation fidèle, les choses ne pouvant se dire que différemment au cinéma. Rachedi a suivi très fidèlement le roman. Il n'en faisait pas bien sûr un compte rendu, mais un film». L'approche transdisciplinaire entre les deux domaines de création, tout en nous incitant à relire, revoir et repenser textes et films, pose des problèmes d'articulation. On a trop souvent tendance à penser que les deux arts sont distincts. Ce qui empêche de comprendre les interactions entre les deux œuvres de création. Pour un artiste, comme pour un usager (lecteur ou spectateur), la séparation des deux domaines n'a pas forcément d'importance. Un texte porté à l'écran cesse d'appartenir à la littérature. Dans l'autre sens, le ou les films qui inspirent un texte littéraire cessent d'appartenir au cinéma. En effet, les dialogues d'un livre prononcés dans un film changent d'espèce (au sens fort du terme) pour s'incorporer au langage cinématographique. Parce que les mots sont performés par un acteur, ils entrent en relation avec les autres composantes du langage filmique (décor, cadrage, découpage, mouvements d'appareils?). En décrivant les processus de cette façon, on voit bien que l'examen des ressemblances et des différences entre un livre et un film est un exercice limitant. Ecrivains et cinéastes ou romanciers devenus réalisateurs en savent quelque chose. De Cocteau à Duras, en passant par Malraux et Robbe-Grillet, de Flaubert à Chabrol, de Simenon à Pagnol, en passant par Victor Hugo, Balzac, Stendhal, de Kurosawa à Welles, en passant par Shakespeare et Dostoïevski, la rencontre des écritures a fait du siècle précédent un siècle d'inspiration intarissable avec pour conséquence des œuvres inoubliables tels, Le Guépard, Le Salaire de la peur, Au nom de la rose, Les Misérables? entre autres. Une culture purement audiovisuelle s'avère aujourd'hui insuffisante pour qui veut pratiquer le transfert sémiotique. La lecture approfondie des œuvres littéraires est donc une des tâches primordiales du metteur en scène désireux de se mettre derrière la caméra. Encore faut-il que cette lecture se fasse avec intelligence et minutie. Les aléas du transfert sémiotique : qu'en est-il en Algérie des œuvres textuelles portées à l'écran ? Première réponse: elles sont rares. El Hariq, feuilleton télévisé de Mustapha Badie, à partir de la trilogie de Mohamed Dib, Le Vent du Sud de Benhadouga, adapté par Slim Riad, l'Opium et le bâton et La colline oubliée, de Mammeri adaptés à l'écran respectivement par A. Rachedi et A.Bouguermouh, Morituri, Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra, portés à l'écran par Touita Okacha et Alexandre Arkadi, constituent des exceptions. Peut-être est-il temps de faire table rase des clichés tenaces concernant les rapports entre littérature et cinéma ? Peut-être est-il nécessaire d'abolir la frontière entre les Arts ? Ce geste fort peut avoir pour conséquence de défaire les approches trop spécialisées de la littérature ou du cinéma, en favorisant les rencontres et les métissages. Les deux Journées d'étude, organisées à Oran en hommage à Mouloud Mammeri s'inscrivent précisément dans cette perspective de réflexion. Romancier, dramaturge, poète, nouvelliste, anthropologue, linguiste? Entre La Colline oubliée (1952) et La Traversée (1982), on ne décèle peut-être pas d'évolution notoire ou d'innovation au niveau de l'écriture. Cependant, dès son premier livre, l'idée mûre et précise de son style, de la forme et de la structure, assignée à toute son œuvre est là. Styliste traditionnel, peu novateur, Mammeri écrivait une langue «léchée» mais ni éclatée ni prospective. Il ne se privera d'ailleurs jamais de rappeler sa dette à l'endroit de la littérature classique française ou universelle, son admiration pour Racine. Il se distingue ainsi de Mohammed Dib qui, dès 1962, engagera son écriture dans des voies inexplorées. «Ce qui retient dans l'œuvre de Mammeri, c'est cette apparence de profondeur et de densité plus que d'innovation ou de creusement. Aucun livre du romancier ne donne l'impression d'un livre hâtif ou conjoncturel. On sent partout la conscience, l'application et le métier de l'écrivain qui n'écrit que lorsque la nécessité et la perfection sont toutes les deux au rendez-vous», précisait Tahar Djaout le 24 novembre 1986 dans L'Ivresque. Un livre comme Le sommeil du juste ne va-t-il pas dans ce sens-là ? Il a été conçu comme élément de plaisir, de beauté et - pourrait-on dire - d'un regard vers la postérité. Conte tenu du fait que notre intellectuel polyvalent, dont la carrière s'étend sur plus de trente ans, va faire l'objet d'un colloque particulier, organisé par l'université de Tizi-Ouzou, portant sur toute son œuvre et sur les facettes de cette carrière qui méritent d'être discutées, l'attention des universitaires-chercheurs d'Oran va se focaliser sur la problématique de «L'Adaptation cinématographique des œuvres littéraires», module enseigné à l'université Oran 2, en privilégiant les ouvrages de l'écrivain anthropologue adaptés à l'écran. Notre souhait est qu'on puisse enfin lire et découvrir, en dehors de toute polémique extra-littéraire, l'un des plus attachants de nos écrivains. Signalons enfin que Mouloud Mammeri a été aussi à l'origine du scénario et des commentaires du long-métrage documentaire «L'Aube des Damnés» que présentera son réalisateur à la cinémathèque d'Oran. |
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