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Beaucoup plus efficace que Ken Loach qui déçoit, l'Allemande Maren Ade signe avec «Toni Erdmann» une charge contre l'ultralibéralisme. Ce film devrait trouver sa place dans le palmarès de cette 69ème édition. Le dernier film de Ken Loach nous fait vivre quelques petits drames vécus par la «working class» de Newcastle, le nord-est de l'Angleterre. Mère sans ressources avec deux enfants à élever et à nourrir, un vieil ouvrier amoindri par son cœur malade qui n'arrive pas à recevoir des indemnités-chômage, des jeunes Noirs qui s'adonnent au marché parallèle avec la complicité de leurs homologues chinois rencontrés sur la toile...«Moi, Daniel Blake» est un film militant, ce qui l'honore, résolument du côté des pauvres déclassés, ce qui est la moindre des choses, mais assez prévisible et platement réalisé, ce qui nous navre de devoir l'écrire. On le sait, les bonnes causes et les meilleurs sentiments n'enfantent pas forcément des chefs-d'œuvre. A 79 ans, Ken Loach est un peu comme Woody Allen, 80 ans. Ces deux papys tournent encore des films, mais ils tournent en rond. Au point où l'on se demande si ce ne sont pas de petites mains chinoises ou autres qui fabriquent leurs derniers films comme autant de variations sur les mêmes thèmes pour faire fructifier les deux marques, des contre-façons contrôlées en quelque sorte... Les bonnes surprises nous viennent d'ailleurs. D'Allemagne pour commencer, avec le glaçant «Toni Erdmann» de Maren Ade qui raconte l'histoire d'une jeune femme d'affaires redoutable, consultante dans une grande société allemande basée à Bucarest dont le travail consiste à optimiser les résultats des multinationales. Autrement dit, elle est chargée de licencier en Europe et de délocaliser les unités de production dans des pays où la main-d'œuvre est bon marché. Elle sera ébranlée par la visite inopinée de son père et de la question aussi simple qu'excentrique qui va d'emblée lui poser : «Es-tu heureuse ?». La confrontation entre le père soixante-huitard et la fille du libéralisme prend les allures d'une fable, menée de main de maître par la réalisatrice allemande de 39 ans. Cette charge contre l'ultralibéralisme brille par son humour décapant et ses scènes surprenantes. Dans le rôle de la businesswoman, la merveilleuse Sandra Hüller, sèche et dynamique, qui arrive à incarner tout le cynisme de notre époque. C'est le grand retour de l'Allemagne au Festival de Cannes. «Toni Erdmann» de Maren Ade marque la première sélection d'un film outre-Rhin dans la compétition officielle depuis Wim Wenders (Palermo Shooting) en 2008. Après un prix spécial du Jury au Festival de Sundance en 2003 pour son premier film Der Wald vor lauter Bäumen et un Ours d'argent remporté à la Berlinale 2009 pour son deuxième film Alle Anderen, la réalisatrice signe un troisième long métrage qui a d'ores et déjà toute sa place au palmarès du Festival de Cannes 2016. L'autre surprise nous vient du Chili, Pablo Larraîn signe avec «Neruda» un film stupéfiant d'audace. Il ne s'agit pas d'un bio-pic du célèbre poète chilien, figure tutélaire de la démocratie sud-américaine, mais d'un petit film qui ose cerner un des aspects les moins connus de l'illustre personnage. Et pour cause, Pablo Neruda apparaît ici comme un type aussi sympathique que Chakib Khellil et le film impertinent met en scène le décalage entre le discours pro-prolétaire du poète engagé et son mode de vie bourgeois. Neruda en dandy moche et cynique, infect avec ses domestiques et hautain avec ses camarades. Neruda et son appétit de pouvoir, son ego démesuré. Ce portrait désavantageux ne s'inscrit pas dans le cadre d'un film réactionnaire, bien au contraire, mais Pablo Larraîn entend revisiter une page de l'histoire de son pays avec l'impertinence de la jeunesse (il n'a que 39 ans) et la maturité d'un cinéaste installé (6ème long-métrage). En axant son film sur une période très courte, la fin des années 40 quand le poète politique est traqué par la police et avant sa fuite clandestine pour Paris, le réalisateur chilien donne le rôle principal du film non pas à Pablo Neruda mais au flic qui le poursuit. Ce flic est un vrai prolo, fils de prostituée, tout à la fois attiré par la poésie et l'émancipation par les mots, mais sans cesse rappelé à son origine sociale et méprisé par les hommes de lettres «révolutionnaires». C'est Gael Garcia Bernal qui campe le rôle du flic, avec toute l'ambiguïté nécessaire pour servir l'impertinence de ce film. On n'ose pas imaginer pareil film chez nous. |
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