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Les deux premiers
films arabes projetés dans le cadre d'Un Certain Regard se distinguent par
leurs partis pris radicaux. Le bruyant "Clash" de l'Egyptien Mohamed Diab et le silencieux "Omour
Shakhssiya" de l'Israélo-Palestinienne Maha Haj questionnent avec audace notre capacité à accepter les
différences.
Avaler beaucoup de films sans distinction, voir plein de gens très différents, faire la fête jusqu'à tard dans la nuit ... Ne plus avoir le temps à soi, se laisser emporter par les évènements, voilà le programme. Concrètement, on peut dîner avec les grands patrons des studios de cinéma et finir la soirée avec un clodo polonais, tatoué et complètement torché, échoué sur une plage cannoise, à défaut d'avoir été enrôlé par la Légion étrangère à Marseille. La folle vitesse de croisière du Festival de Cannes permet, dans son extraordinaire huis clos, de ramasser un maximum de pièces pour tenter de reconstituer le puzzle de l'état du monde actuel tel qu'il ne va pas du tout, quand les films projetés questionnent nos capacités à l'appréhender et à faire avec, à défaut de le réinventer ou, si c'est encore possible, le ré-enchanter... Cannes, dans sa structure temporelle, permet également et élégamment de passer du chaud au froid en permanence, de vilipender ce que l'on a autrefois adoré, de remettre en question toutes les convictions et thèses formulées la veille. C'est aussi La Mecque des paradoxes. "Ce ne sont ni les musulmans ni les Chinois qui sont nos ennemis mais les cols blancs de la finance", clame en substance le personnage central de "Monkey Monster", le film américain de Jodie Foster. Prenant en otage George Clooney, en animateur d'un show dédié aux transactions boursières, le rebelle terroriste va retourner le show à son avantage. Avec la complicité de Julia Roberts, étonnante dans le rôle de la productrice du show télé, la star Nespresso aux yeux de veau va peu à peu se ranger du côté du jeune homme ruiné par les lois incompréhensibles de la finance 2.0. On connaît le cynisme de l'ultralibéralisme, capable de transformer toute contestation à son endroit en produit marchand. Mais il est toujours fascinant de voir à Cannes comment ce film, qui s'attaque d'une manière frontale et jubilatoire au système économique mondial, s'inscrit lui-même dans la même démarche (sortie mondiale et promo calibrées pour faire un malheur au box-office, stars réquisitionnées pour rejouer la même partition à tous les médias du monde venus des contrées susceptibles d'acheter le film, etc.). Pour autant, "Money Monster", aussi classique dans sa dramaturgie, amorce peut-être un nouveau cinéma, celui de l'après-Lehman-Brothers, comme il y a eu un cinéma de l'après-crash boursier de 1929. Qui a dit que le plus grand festival de cinéma ne renouvelait pas assez son offre ? Sans doute pas l'Arabe de service envoyé spécial du Quotidien d'Oran à Cannes. Au moins vis-à-vis du monde arabe, le Festival de Cannes, dans son ensemble, s'ouvre à une nouvelle génération d'auteurs. Il est en effet très significatif de noter que les derniers films de Merzak Allouache (Algérie), Farid Boughedir (Tunisie) et Yousry Nassrallah (Egypte), tous prêts pour Cannes 69, ont été refusés pour laisser la place à des cinéastes plus jeunes avec des parcours atypiques et un regard critique peut-être plus aiguisé. Cela va sans doute relancer le sempiternel débat autour de la politique arabe de Cannes, les cinéastes de ces pays sont-ils sommés de venir avec du contenu politique plutôt qu'avec une approche artistique ? Peut-être, sauf que l'un n'empêche pas l'autre comme le prouvent, chacun à sa manière, les deux films vus en ce début de festival. L'Egyptien Mohamed Diab, qui a ouvert le Certain Regard avec son deuxième long-métrage "Clash", a été longtemps banquier à New York avant de se lancer dans le cinéma. En 2010 il réalise son premier film "Les Femmes du bus 678" d'après une histoire vraie, la première action en justice d'une Egyptienne pour harcèlement sexuel. L'année d'après, auréolé par le succès du film, Mohamed Diab fait partie des artistes et intellectuels qui prennent la parole à la place Tahrir pour soutenir la Révolution. Son second film est aussi bien réalisé que le premier. Dynamique, "Clash" a le mérite de la clarté. L'idée de rejouer le huis clos semble finalement aussi pertinente dans ce second opus où c'est un fourgon de police qui remplace le bus. Alors que le pays sombre dans des émeutes de plus en plus violentes et la confusion généralisée, les flics anti-émeutes embarquent d'abord deux journalistes puis, sans discernement, des manifestants des deux bords, les pro-Morsli, pro-Frères Musulmans et les pro-militaires, pro-putschistes... C'est parce qu'il a sans doute bien mesuré les limites de son dispositif que Mohamed Diab a imaginé des personnages atypiques qui portent le film d'une manière remarquable. Il faut tout à la fois saluer la subtilité du scénario qui développe des caractères complexes et le savoir-faire de tous les comédiens, à commencer par la star Nelly Karim (l'ex-danseuse étoile de l'Opéra du Caire, de mère russe et de père égyptien, lancée par Youssef Chahine dans "Alexandrie-New York"). Promiscuité intenable et ambiance électrique, Mohamed Diab orchestre la symphonie de l'Egypte moderne en pleine effervescence. Si tout le monde défend son point de vue, chacun va être invité à revoir en profondeur sa partition. Dans ce petit monde entassé dans un huis clos étouffant, on se déteste et on se fait des crasses, puis on se retrouve et on s'entraide, avant de re-sombrer dans l'hystérie et la fitna. Qu'est-ce qui rend ce film particulièrement attachant ? Sa mise en scène à l'américaine, nerveuse, stylisée, redoutable d'efficacité dans sa progression dramaturgique ? Pas seulement, la vraie force du metteur en scène est de ne pas laisser le supposé postulat du scénario vampiriser le film. Les confrontations idéologiques qui se jouent en huis clos ne sont finalement qu'un prétexte dans ce beau drame égyptien, Mohamed Diab préférant traquer l'humain qui se niche dans chacun des protagonistes. Enfin si le film est réussi, si "Clash" est une oeuvre aussi singulière qu'universelle, c'est parce qu'elle s'inscrit dans le modèle du cinéma égyptien. Il y a aussi des rires et des chansons dans "Clash", comme dans tous les films égyptiens. Co-financé par la France, notamment à travers la chaîne de télévision Arte, le film est calibré pour un public égyptien. Ce n'est pas la moindre de ses qualités. Loin de l'hystérie révolutionnaire cairote, Maha Haj Assal, la Palestinienne de Nazareth, propose un film où le silence est de mise. Comment filmer le silence pour mieux le faire entendre ? Quels traumas sont contenus dans ces paroles tues ? Un vieux couple n'arrive plus à communiquer. Le plus jeune des fils, lui, a décidé d'aller faire du théâtre de l'autre côté de la frontière, à Ramallah, et ne veut pas dire pourquoi il ne veut pas épouser la jolie fille que sa soeur lui a trouvée. Le fils aîné, dans son exil suédois, n'a qu'un lac d'un calme outrageant comme voisin. Dans "Omour Shakhssiya", la réalisatrice, qui s'est beaucoup inspirée du cinéma de son mentor Elia Suleiman, tient à distance les soldats israéliens réduits à des personnages secondaires, ce qui ne veut pas dire que la colonisation de la Palestine et la résistance au quotidien n'est pas traité en creux dans cet étrange film aux accents bergmaniens. Au contraire ! Mais à la manière de l'Egyptien Mohamed Diab, Maha Haj Assad préfère analyser les comportements des personnages confrontés à leur quotidien kafkaïen, entre les frontières imposées par les forces coloniales et les interdits ordonnés par la culture ancestrale ? Avec une subtilité si rare dans le cinéma arabe, elle donne des clés pour deviner les raisons du silence des uns et des autres tout en respectant leur intimité et notre intelligence. "Je suis Palestinienne et le film est israélien car financé par des fonds israéliens. Je ne vois pas où est le problème", a déclaré la réalisatrice aux représentants médusés de la presse arabe accréditée à Cannes. La polémique attendue prend des tournures qui le sont beaucoup moins. Le grand critique égyptien Samir Farid a salué "le courage" de la réalisatrice. "Elle est plus habile que Michel Khleifi et Elia Suleiman, car, plutôt que de s'inscrire dans l'hypocrisie habituelle des Arabes, elle installe un point de vue palestinien au coeur du dispositif cinématographique israélien". A Cannes, il nous arrive de penser tout à fait le contraire de ce qu'on a écrit la veille. Quitte à changer d'avis encore le lendemain... Et alors ? "Je ne vois pas où est le problème", comme dirait l'Israélo-Palestinienne... |
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