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Boufarik ne se réveille plus aux senteurs de l’orange ou de la zlabia. Elle scrute, impuissante, les horizons en attente d’une quelconque autorité qui mettra fin au drame humain qui se joue sur ses territoires.
La scène est bouleversante. Elle se passe sur un site jouxtant le stade où s’entraînent les sportifs boufarikois. Un site qui n’est pas loin du marché de gros. C’est dans cet endroit que vivent près de 800 Nigériens, entre femmes, hommes et enfants. «Vivre» est un terme décent au regard des conditions dans lesquelles sont parquées ces nombreuses familles venues de contrées africaines lointaines et pauvres. Originaires du Niger, ces «émigrés» qui n’ont aucun statut, ont traversé l’immense désert algérien pour rejoindre le nord à la recherche d’une vie moins pénible. Ils ont pensé que le nord était plus clément que «leur» sud que le soleil brûlant écrase éternellement. Ce jour-là, les nombreuses familles nigériennes parquées sur le site en question, commençaient à sortir le peu de couvertures et de vêtements qu’elles possèdent pour les étendre au soleil. Tout était trempé par les eaux des pluies qui s’étaient déversées la veille. Ils étalaient tout à même le sol ou sur le «toit» de l’amas de plastique qui leur servait de gite. De loin, on pouvait penser que c’était de grands sacs noirs qui jonchaient le sol. Mais quand on s’en approche, on se rend compte que ce sont des tentes qui ont été dressées l’une à côté de l’autre pour permettre à tous les Nigériens de «s’installer.» Des tentes larges d’un mètre et demi en général, peut-être plus, deux, sous lesquelles s’entassent des familles entières, le père, la mère et leurs cinq ou six enfants. Avec comme seul lit, des couvertures en lambeaux, pourries, et ce jour-là, complètement trempées par la pluie. «Nous sommes venus de Tamanrasset», nous lance une maman d’une voix joviale. Elle nous explique que ses compatriotes ont décidé de rejoindre le nord algérien depuis pratiquement un an. « D’autres continuent de venir dans ce camp à partir aussi de Ouargla, Ghardaïa ou In Guezzem», ajoute-t-elle. Elle semblait en bonne sante, elle est jeune et robuste. Pourtant, elle a affirmé qu’il y a trois mois, elle a accouché, toute seule, sans aide médicale, de Zeineb, une jolie petite fille aux yeux noirs mais au corps frêle et fragile, à l’intérieur du camp, sous une tente d’un mètre de large, étouffante, sale, humide, encerclée, plantée au milieu de centaines d’autres tentes. Les rares bouts de sol qui les séparent les unes des autres, sont jonchés de détritus, dégageant des odeurs nauséabondes à en nouer l’estomac. Les ustensiles de cuisine traînaient à même le sol, au milieu des eaux sales et de la nourriture qui pourrissait au soleil. Avec tout ça, deux ou trois tentes servaient de snack ou de fast-food. De jeunes Nigériens préparaient des sandwichs et les vendaient à leurs compatriotes, enfin ceux qui n’avaient pas le temps de cuisiner. Autrement, les «restaurateurs» mais aussi les familles, locataires du site, se débrouillaient à le faire sur des trépieds et dans des marmites ou casseroles crasseuses. Il y avait beaucoup de plaquettes d’œufs qui étaient déposés sur des sortes d’étals improvisés avec les moyens de bord. Ce sont en général des estrades en bois que les commerçants du marché de gros jettent et que les Nigériens récupèrent. Il y a même une tente où des fils électriques sont entremêlés et servent à charger les téléphones portables. CES ODEURS TENACES QUI VOUS FONT DETESTER JUSQU’A LA VIE Au fond du camp, des toilettes, trois, pour tous les habitants des tentes. Toilettes qui n’ont pas de portes mais des rideaux poisseux. Les enfants faisaient leurs besoins à l’air libre. Pas loin, des bassines pleines d’eau à partir d’un tuyau accroché à un robinet. Une eau qui, nous dit-on, est captée du château d’eau du quartier. L’eau n’est cependant pas courante. Elle est rationnée à raison d’une heure ou deux par jour. Il y avait partout des détritus. Aucune poubelle. Les camions de nettoyage de l’APC ne passent pas. Ils préfèrent peut-être ignorer jusqu’à l’existence de ces âmes errantes. Les odeurs nauséabondes empestent l’atmosphère. Elles sont tenaces. Comme si elles s’étaient collées à jamais aux narines, même après avoir quitté ces lieux que la nature et les humains semblent maudire. Les conditions dans lesquelles habitent ces Nigériens vous font détester les lois, les institutions et leurs gouvernants. Ils vous font détester jusqu’à la vie même. Zeineb nous fait des sourires. Sa maman allait l’amener pour mendier. «Sadaka !» est pour ces Nigériens, le mot magique qui leur permet de se nourrir. Les femmes étaient ce matin-là, nombreuses à s’apprêter à aller mendier. Il paraît que c’est un «rituel» quotidien que les familles nigériennes ont adopté pour tenter de vivre. Ce qui est curieux, c’est qu’elles ne s’en plaignent pas. Elles se targuent même de bien gagner leur journée. Pourquoi avez-vous choisi Boufarik pour vous installer ? leur avons-nous demandé. «Il y a de l’argent ici, en plus de ce que nous gagnons en mendiant, les Algériens sont très sensibles à notre sort», disent beaucoup d’entre eux. A Boufarik, il y a certainement de l’argent. Le marché de gros de la ville connaît une activité intense de commerce et d’échanges. Les mandataires sont connus pour être de gros richards. Ils brassent quotidiennement des milliards. Le marché de gros de Boufarik est un endroit où l’illicite nargue les lois de la finance et des transactions commerciales. Reste qu’à la vue de ces malheureux émigrés, les mandataires et commerçants de tous bords, ont la main sur le cœur. Paraît-il qu’ils donnent de l’argent à tous ceux qui leur tendent la main. Les Nigériens apprécient le geste. Ils reconnaissent aussi que les familles algériennes habitant non loin du site, sont très généreuses. « Beaucoup nous ramènent du couscous avec de la viande, surtout le vendredi,» reconnaissent-ils. Abdellah vient vers nous avec une main pleine de monnaie. On lui demande de nous donner quelques pièces. Il nous les donne toutes avec un large sourire. Il a à peine trois ans. Il était pieds nus. «Je n’ai pas de chaussures», nous a-t-il dit quand nous lui avons demandé pourquoi il marchait pieds nus. Les Nigériens ne se plaignent pas beaucoup. Quand ils parlent de leur vie dans cet endroit malfamé, ils le font sereinement. «Nous sommes venus à cause de la faim, nous étions à Tamanrasset mais on n’avait plus rien à manger», racontent plusieurs d’entre eux. Depuis un an et demi qu’ils ont élu domicile à Boufarik, ils avouent qu’ils ne se rappellent pas que le président de l’APC est venu les voir, encore moins le wali de Blida. Par contre, ils évoquent avec beaucoup de respect le nom d’un policier qui, disent-ils, vient nous contrôler tous les jours. «Abdelkader est gentil, il vient pour nous demander si nous avons des problèmes» disent des Nigériens. Ils ne craignent rien en parlant de la police. «Nous sommes en règle, nous avons nos cartes consulaires signées par le consulat du Niger à Tamanrasset, nous ne sommes pas des clandestins,» affirment-ils. Ils reconnaissent au passage que certains Nigériens qui n’avaient pas ce document ont été expulsés sans délai par les policiers. Mehdi, un jeune Algérien, voisin des Nigériens, nous dit que «c’est Edoula (l’Etat) qui leur a dit de s’installer ici à Boufarik». Ailleurs, renchérit son copain «on les chasse». Les Nigériens ne se déplacent que pour mendier ou travailler à la sauvette. Ils se déplacent à bord de taxis clandestins qui, nous disent les jeunes Algériens, les arnaquent en leur imposant des prix faramineux pour de petites courses. A l’entrée du site, des véhicules étaient déjà stationnés en ce matin humide. « Ce sont les chauffeurs de taxis clandestins, ils attendent pour prendre des clients nigériens» nous dit Mehdi. Ces taxis ne sont pas les seuls vautours qui tournent autour de ces proies de ce camp sans âme et sans vie. De jeunes Algériens ont pris l’habitude de racketter les Nigériens dès leur retour de leurs heures de mendicité. L’un d’entre eux était ce jour-là sur les lieux. Il avait un poignard à la main et faisait aux Nigériens le geste de les égorger plus tard. Eux, le regardaient avec des pelles à la main, manière de lui dire qu’ils ont les moyens de se défendre. |
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