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Quand le café dépoussière la toile littéraire

par B. Khelfaoui

«La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. »1

Il fut un temps, appelé nostalgiquement « Bon Vieux Temps », où le simple fait d'évoquer, avec un double ton, gustatif et olfactif (dit-on !), le mot - tant chose qu'outil - « Café », laisser dégager une sen sation pavlovienne sous l'effet de laquelle tous nos sens (y compris le sixième, au grand dam des forçats de la plume qui peinent alternativement, entre prose et rimes, sous le joug des boulets de la page blanche? !) se hâtaient à occulter, le temps de savourer les délices enchantées qu'offraient la mystérieuse tasse - parait-il, hantée - dont les secrets et énigmes, tant vantés, - n'en déplaise aux voyantes, dignes du monde de Dante ! - demeurent des voies impénétrables, les attentions sous les œillères desquelles ils étaient emprisonnés?

Une tasse de café ! Voilà une expression dont la charge sémantique - linguistique, philosophique voire générative -, qui mérite plus qu'un espace de colonnes journalistiques (loin de nous la prétention d'oser nous hasarder dans une telle aventure réservée aux initiés?) porte en elle plus d'une éruption régénératrice?

De la torréfaction subtile de nos grand-mères qui utilisaient ingénieusement leurs Tagine et Kanoune d'où s'en dégageait une senteur exotique plus qu'ensorcelante notamment en période enivrante de Ramadhan - ne garde-t-on pas une « nostalcafé « devenue comme un mythe des mille et une tasses? ! - aux épiciers torréfacteurs parfumés à longueur de journée par les marques les plus aromatiques de cette boisson favorite, plusieurs eaux ont alimenté et coulé sous les bras des machines de presse de ce dynamisant? !

Chemin faisant, ce contenant de vertus et méfaits2, se verra glorifié par le baptême du « café de la Place du Palais-Royal «3! Un » Café littéraire «, un espace, un refuge, une bouffée d'oxygène, un bouillon culturel et intellectuel où trouvaient du plaisir et de l'opportunité spatiotemporelle à se regrouper les gens de Lettres et de culture?Ainsi, et au fil des grains dorés des sabliers de l'activité intellectuelle caractérisant la civilisation humaine, cet espace s'est imposé comme un site incontournable tant dans l'échange et le partage que pour régénérer et promouvoir la création artistique en général et littéraire en particulier?

La ville des eaux, où s'étaient abreuvés « (?) De Jules Verne à Habib Sayah en passant par Guy de Maupassant, Isabelle Eberhardt, Nadia Ghalem, Arezki Mellal, Danielle Djamila Amrane-Minne, Aïcha Bouabaci, Achir Kerroum et Abdelkader Khelil. Saïda, vénérée, étalant sa beauté et résistant aux convoitises. (?) Une pléiade d'auteurs qui consacrèrent le berceau de leur enfance, exprimant entre les lignes de leurs productions littéraires un attachement indéniable au passé, au présent et à l'avenir de Saïda.           

Le rayonnement de ce que fut leur ville est repris dans une forte émotion nostalgique mais aussi empreint d'une espérance à chaque fois renouvelée » 4, ne pouvait demeurer sourde, tentée par le chant envoûtant des sirènes momifiées dans les étalages poussiéreux des bibliothèques colonisées par les toiles d'araignées? Digne mère ayant enfanté sur ses pages des plumes phares et fertile mer ayant offert sur ses rivages de superbes perles rares, elle ne pouvait que donner, encore une fois, une renaissance d'un petit coin phénoménal au sein de son théâtre régional, arraché au calendrier tumultueux de l'actualité sociopoliticofinancière, une louable initiative perçue, conçue, pensée et pansée par des Gens de Lettres entre autres: le directeur du Théâtre Régional de Saida, le Dr OUARDI Brahim et l'écrivaine BOUABACI Aicha? En effet, Si « Les années lumière de l'apogée culturelle de la ville nous sont remémorées à travers les écrits littéraires, comme pour nous suggérer implicitement que ce passé, pas si lointain, pourrait être ressuscité. L'espoir est permis. Il suffit de croire fortement au rêve heureux, celui des enfants de cette citadelle de toutes les convoitises. L'histoire de toutes les villes est une histoire d'élite, de conception avant-gardiste, de gestion dans le temps et le lieu de communication et de rapprochement des uns des autres, pour la même cause : construire ensemble nos rêves collectifs.» 5, ce Café Littéraire, qui a, chaque première semaine du mois du semestre écoulé, invité des plumes telles que : BOUABACI Aicha, ZAKAD Abderahmane, MAKHLOUF Ameur, BOUZIANE Benachour et récemment HAMID Grine, non seulement illuminera les sentiers de la gloire mais contribuera, par sa pierre angulaire ajoutée à l'édifice, à la restauration des ruines d'un âge d'or communément appelé « Les Années Soixante Dix » ! Et comme il n'est pas interdit de nourrir l'espoir d'un horizon meilleur, « On doit continuer à chercher pour trouver. Quand le soleil se perd dans la nuit, l'espoir guette un reflet » 6, de telles initiatives, plus que vivifiantes, qui investissent pour tout un projet de société en manque de repères, doivent susciter non seulement l'admiration voire l'encouragement de la société civile mais principalement et « obligigatoirement » la foultitude des intellectuels dissouts dans la plèbe anonyme à la quête insatiable pour farcir les tubes digestifs « Ce n'est pas le champ qui nourrit, c'est la culture » 7 ? Sinon, et Dieu Tout Puissant nous en préserve, « Vivre sans espoir, c'est cesser de vivre » 8? !? Bon courage et bonne continuation pour les hommes et femmes qui travaillent et prennent de la peine pour maintenir allumée, dans les bas fonds ténébreux, la bougie de l'espoir?Amen !

Notes

<!--[if !supportLists]-->1- 1- <!--[endif]--> André Malraux, Hommage à la Grèce

<!--[if !supportLists]-->2- 2- <!--[endif]--> La science a démontré l'existence tant de vertus que de méfaits de la caféine <!--[if !supportLists]-->3- 3- <!--[endif]-->Premier «Café littéraire» qui serait fondé en 1681, l'un des premiers cafés de Paris, rebaptisé, en 1715, pour devenir «Café de la Régence»

4, 5- REMMAS Baghdad, «El Watan» du 20/03/2010

6- Citation de Louise Gélinas

7- Proverbe russe

8- Citation de Fiodor Dostoïevski