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Après certains responsables du football français, c'est au tour d'un élu
de droite de s'en prendre aux binationaux, c'est-à-dire aux ressortissants
français qui possèdent la double nationalité.
Claude Goasguen, député de Paris (UMP) et ancien membre du mouvement d'extrême droite Occident, a ainsi avancé l'idée d'une limitation «des droits politiques» des binationaux, jugeant «gênant qu'une personne puisse voter en France et dans un autre Etat». Celui qui est aussi maire du 16° arrondissement a aussi évoqué la création d'un «registre des binationaux ». Des propos qui ont provoqué la colère de nombreux élus de gauche et qui ont même créé le trouble au sein de la majorité. Retour sur cette affaire avec Séverine Labat, politologue et chercheuse au CNRS. Le Quotidien d'Oran.: L'affaire des quotas dans le football français et les déclarations de Goasguen ont placé la question des binationaux sur le devant de l'actualité. Severine Labat.: En écrivant mon dernier livre consacré aux binationaux franco-algériens, je me doutais que, des deux côtés de la Méditerranée, la question finirait, tôt ou tard, par se poser (*). En effet, on pouvait observer que, concernant l'immigration algérienne installée en France de longue date, acculturée à la société française par le biais, notamment, du syndicalisme ouvrier, et qui avait, en 1962, massivement opté pour la nationalité algérienne comme le prévoyaient les Accords d'Evian, apparaissait, depuis le milieu des années 80 avec l'émergence d'un mouvement «beur» porteur de revendications citoyennes au sein de la société française, un sourd mouvement de basculement d'une immigration de travail à une immigration de peuplement. Arrivés à la retraite, les vieux ouvriers algériens, afin de mettre en conformité leur statut social et leur statut national pour, notamment, bénéficier des avantages sociaux qu'ils méritaient au terme de décennies de dur labeur (singulièrement en termes de droits à la retraite), commençaient à opter pour la nationalité française tandis que leurs enfants, par le jeu du droit du sol, étaient eux-mêmes Français de facto et, par le biais du droit du sang, étaient également Algériens de facto. Voilà pour la première catégorie de binationaux. Q.O.: Dans votre livre, vous montrez que le phénomène des binationaux franco-algériens s'est poursuivi? S.L .: Mes travaux sur l'islamisme algérien m'ont ensuite conduit à réaliser que les élites algériennes que je fréquentais, réfugiées en France durant les années 90 à la faveur de l'insurrection islamiste, optaient elles-aussi, et de façon beaucoup plus rapide, pour la nationalité française et venaient, de ce fait, grossir les rangs des binationaux. Même si le sujet demeurait tabou, tant il était indissociable du passé colonial et du délitement du sentiment d'appartenance nationale que j'observais en Algérie, il ne pouvait avoir échappé à la sagacité des pouvoirs français et algériens. Plusieurs indices en témoignaient. Tandis que l'Algérie, qui avait perdu la main sur ses ressortissants présents en France depuis la désuétude de l'Amicale des Algériens à partir d'octobre 1988, le pouvoir algérien nommait un secrétaire d'État auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé de la Communauté nationale à l'étranger en la personne de Halim Benatallah qui multipliait les séjours à Paris. Côté français, ces derniers mois ont vu certains candidats à l'élection présidentielle de 2012, tels que François Hollande ou encore Manuel Valls, défiler à Alger, sans doute en quête d'un vote binational en leur faveur. En outre, on assistait, en France, à la multiplication d'associations de binationaux, médecins ou entrepreneurs notamment. Il ne pouvait donc, même si le sujet n'était jamais évoqué publiquement, échapper à nos dirigeants que le phénomène de la bi-nationalité était une réalité, notamment en termes électoraux. Q.O.: Une réalité qui crée désormais des polémiques? S.L.: La surprise, à laquelle je ne m'attendais pas, fut qu'elle apparut dans l'arène publique à la faveur d'un scandale footballistique. Tandis qu'en 1998, on avait tenté de nous «vendre» une illusoire France «black-blanc-beur», voilà que les instances du football, lieu, s'il en est, de l'expression de l'appartenance collective nationale, s'adonnaient, à leur tour, à une manière de crispation hexagonale et se livraient au calcul de quotas pour le moins nauséabonds. Mais, pour surprenant que c'eut été, à bien y réfléchir, il était logique que cette ethnicisation du lien social, à l'heure de la globalisation des migrations et de l'affaiblissement de l'État-nation au profit de nouvelles formes d'appartenance et d'allégeance, s'exprime dans l'un des derniers lieux d'affirmation de l'appartenance nationale. Défaites, en de maintes occasions, par des équipes, le plus souvent issues de l'ancien Empire, et formées pour partie d'anciens joueurs formés en France, les instances footballistiques françaises ont décidé, en contravention avec tous les principes au fondement de notre République, de recourir à une politique de quotas visant les binationaux singulièrement issus de nos ex-colonies. C'est une pratique inadmissible et, au surplus, totalement illégale. Et il est fort dommage que l'affaire ait été si vite enterrée par le ministère des Sports, privant ainsi la société française d'un débat sein et serein quant au phénomène, appelé à prospérer, de la bi-nationalité. Faut-il s'attendre, désormais, à découvrir que des politiques de quotas sont appliquées aux binationaux dans d'autres secteurs ? La question est désormais posée. Q.O.: Peut-on, en France, limiter les droits, notamment politiques, des binationaux ? S.L.: L'article premier de notre Constitution pose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.». Au regard de notre loi fondamentale, il ne se peut pas que certains de nos concitoyens soient privés de leurs droits, au premier rang desquels le droit de vote, n'en déplaise à Claude Goasguen, député UMP qui, il faut le rappeler, a débuté sa carrière politique dans les rangs du groupe fascisant «Occident». Mais il est plus que jamais nécessaire de demeurer vigilant. La proposition de Claude Goasguen consistant à vouloir priver les binationaux de leur droit de vote émane-t-elle d'un individu isolé dont on connaît la propension aux outrances droitières ou bien représente-t-elle une manière de ballon d'essai destinée, aux yeux du gouvernement en place, à tester les esprits ? A l'approche d'une élection présidentielle qui promet, afin de permettre au président sortant de braconner sur les terres du Front National comme il le fit en 2007, tous les excès et toutes les transgressions, notamment en matière d'immigration, on peut le craindre. Mais il faudra à la majorité, dont nombre de ses membres sont certes atteints d'une véritable «lepénisation» des esprits, trouver des biais, tant du point de vue législatif et juridique français - heureusement sanctionné par la vigilance du Conseil Constitutionnel -, que du point de vue du respect des législations européennes, qui ne semblent pas, à première vue, des plus aisées à concevoir. Mais, même s'il n'est, pour des raisons historiques compréhensibles, pas encore simple pour les binationaux d'apparaître comme tels dans l'espace public français (comme Algérien d'ailleurs), il est nécessaire, pour défendre leurs droits légitimes, qu'ils s'organisent et fassent la démonstration que, compte tenu de leur poids, il faudra désormais compter avec eux. Q.O.: Connaît-on le nombre de binationaux franco-algériens ? S.L.: La législation française interdit la collecte de statistiques ethniques même si l'affaire Laurent Blanc a prouvé que certaines institutions violent allègrement cet interdit. Il est donc extrêmement difficile de chiffrer avec précision le nombre de binationaux franco-algériens. Les consulats algériens ne disposent que des seuls chiffres d'Algériens qui y sont inscrits. Par extrapolation, il se dit que les binationaux représenteraient quelque quatre millions d'individus, statistique communément admise par les autorités françaises. Même si cette proportion doit être considérée avec prudence, elle signale l'ampleur du phénomène. Si l'on y ajoute les autres binationaux ressortissants de notre ex-Empire, notamment les Tunisiens, les Marocains et les Sénégalais (désignés sous le vocable de «Sénèfe), sans compter les binationaux issus d'autres contrées, on réalise aisément que la classe politique puisse être aux aguets ... Mais il convient, et c'est essentiel, de noter que peu lui chaud que des Français possèdent la nationalité américaine ou norvégienne, comme c'est le cas d'Eva Joly, candidate potentielle à la présidentielle de 2012 ... Q.O.: Mais il n'y a pas que les binationaux «franco-africains »? S.L.: Ce qui focalise l'attention de nos gouvernants, et c'est fort dommage, c'est la bi-nationalité de ressortissants de notre ex-Empire. L'imaginaire français n'a pas, tant s'en faut, achevé de se décoloniser. La France, toutes sensibilités politiques confondues, ne parvient pas à admettre son caractère fondamentalement postcolonial, au plan humain, démographique et culturel. En témoigne la crispation générale à l'idée de toute forme de reconnaissance des crimes commis au nom de la colonisation. Tandis que Jacques Chirac a reconnu, en rupture avec ses prédécesseurs, singulièrement avec François Mitterrand, les crimes de Vichy, Nicolas Sarkozy, lors de son discours de Toulon de 2007, a exclu toute éventualité de «repentance» (même si le terme est très mal choisi et totalement inadéquat), laquelle visait explicitement, ne nous le cachons pas, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés par notre pays en Algérie. Aussi bien, la question de la bi-nationalité risque-t-elle, pour le plus grand mal de notre pays, de se focaliser uniquement sur les ressortissants d'un Empire dont nombreux sont ceux qui ne se sont pas résolus à sa perte. Ce serait, dans pareil cas, une occasion manquée de nous réconcilier autour d'un pacte républicain refondé, où les expressions de la diversité seraient enfin reconnues dans le but d'apaiser des tensions par ailleurs attisées par certains boutefeux peu soucieux, voire hostiles, à l'émergence d'une France qui pourtant, si elle veut, selon la formule consacrée, demeurer «éternelle», ne peut se permettre d'en faire l'économie. C'est la raison pour laquelle je conçois mon livre comme un ouvrage certes universitaire, mais aussi militant. Nous sommes nombreux à être les parents d'enfants binationaux. Ils représentent une richesse en tant qu'ils sont les futures passerelles entre les deux rives d'une Méditerranée qui est un bien commun (mare nostrum) et devrait être un espace de coopération, a fortiori à l'heure des révoltes arabes et de leur promesse d'un avenir démocratique dont l'Europe se doit d'assurer la survie économique. |
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