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Quand
on manque d'inspiration, il suffit de regarder le JT de l'ENTV : ce dernier
bastion de l'esthétique socialiste et de la propagande dure. Les «réalisations»
y sont toujours triomphantes, les femmes y sont appelées «sœurs», les
générations y sont «montantes» et les sacrifices «immenses» face aux «ennemis
envieux». Pour cette fois, ce fut l'occasion du 08 mai 1945. Date du
traumatisme colonial et de l'électrochoc de notre histoire : on ne peut pas
être Français et on est Algériens. L'ENTV parla donc de Ould Abbas à
Mostaganem, et d'une marche de «jeunes» à Sétif pour «célébrer cette date».
Avec le même lyrisme qui travaille sans cesse l'histoire de la guerre de libération
comme seule histoire universelle de la création du monde, de l'éternité des
anciens, et de la préséance du martyr sur le nouveau-né. Un monde où le jeune
doit être reconnaissant, le vieux magnanime, souffrant et paternaliste,
l'histoire réduite à un acte d'héroïsme d'une seule génération, le passé à rien
avant le FLN et le présent à des distributions d'aliments et de biens
postcoloniaux enfin retrouvés. Le JT montra donc, dans la logorrhée de la
célébration, un ancien combattant «infirme», une veuve éplorée, un jeune
reconnaissant porteur du «flambeau», des photos d'archives en noir et blanc et
parla de crimes et de bravoure. Le tout destiné à «travailler» la culpabilité
de ceux qui n'ont pas fait la guerre ou subit la Souffrance Majeure et la suprématie
de ceux qui sont morts ou de ceux qui ont survécu.
Comme depuis que je suis né. Sauf que cette fois, l'amplitude du rite sonnait comme faux. Comme risible. Comme un peu forcée et presque comique. Le rite et ses stèles et ministres du temps, ont été célébrés pendant que Bouteflika et les siens se soignent en Occident (accusé de complot ourdi) et en France l'ancien colonisateur. Malgré les réserves que l'on s'impose, l'on ne peut ne pas penser à cette moquerie : on continue ici de travailler les jeunes générations sur la légitimité révolutionnaire et le droit de cuissage au nom de la guerre de libération, et on va se faire soigner là-bas, en France justement, en Suisse pour Sidi Saïd et en Espagne pour l'autre. Sauver sa peau et sa vie est légitime et le chroniqueur l'aurait peut-être fait. Sauf qu'il s'agit là d'une génération qui continue de nous assommer avec sa biographie dorée et qui continue de traire la vache du mythe révolutionnaire et de la décolonisation. En plus cru et en plus simple, on continue de nous servir cette soupe froide et avec le même mensonge que celui de «nos ancêtres les Gaulois» remplacé par «notre ancêtre le FLN». La guerre de libération, les sacrifices de ceux qui sont morts et qui y ont connu la souffrance est une histoire qui est la nôtre, profondément, fièrement et légitimement. Mais cette histoire été transformée en légitimité et la légitimité en propagande et la propagande en quelque chose de détestable que l'on nous force à écouter pour mieux nous tromper. Et c'est cette tromperie parfois comique qu'il faut encore et encore dénoncer. L'histoire d'un pays, son identité, ses racines et sa présence au monde ne peuvent pas se construire sur l'exclusivité d'une seule génération, sur les actes d'un parti encore unique et sur le souvenir d'une seule guerre et sur la gloire d'une seule génération. Cela est fatiguant et pousse à partir ou à s'enfermer. L'histoire de l'Algérie est plus grande que la biographie d'une seule génération et que l'on cesse donc de nous obliger au remerciement et à la reconnaissance éternelle. On est arrivé à vomir cette version. Et cela devient même monstrueux cette propagande à usage d'indigènes quand, dans les moments de crise, c'est à l'Occident que l'on pense pour sauver sa peau, son argent et ses enfants. Combien de temps faut-il encore attendre pour décoloniser des décolonisateurs, leurs discours, leurs propagandes, leurs rapacités et leurs violences ? Jusqu'à quand cette génération va nous obliger à l'applaudir au lieu de célébrer nos ancêtres dans le calme, la paix et l'acceptation ? |
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