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CLÔTURE CE SOIR DU 76ème Festival de Cannes: Mouloud Aït Liotna, le Kabyle du futur que personne n'attendait

par Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem

Bonne surprise, l'Algérie qu'on croyait totalement absente s'invite en fin de Festival avec un moyen-métrage sélectionné par La Quinzaine des Cinéastes.

«La Maison brûle, autant se réchauffer» de Mouloud Aït Liotna, tourné en Kabylie et en langue kabyle, a le goût délicieux d'un fruit amer.

C'est un film sans histoire, et c'est peut-être le seul message que veut nous transmettre cet étonnant moyen-métrage : Les histoires, c'est fini ! Si vous voulez vous raccrocher à une intrigue, un conte, une fable ou un récit, désolé mais ce film a autre chose à faire, voyez-vous.

On passe son temps à se demander ce qui se passe dans ce film, fasciné par ce qu'on regarde, et si on ne décroche jamais, c'est parce que quelque chose qu'on appellera cinéma faute de mieux nous retient du début jusqu'à la fin. La scène inaugurale (et nocturne) est un véritable électrochoc. Un jeune meurt, électrocuté, alors qu'il tentait de sectionner les câbles d'un poteau électrique. Désemparé, le copain qui l'accompagnait le laisse sur place et s'enfuit.

Plus tard, quand le jour se lève sur le beau et désolant bled montagnard des environs de Tazmalt où se déroule le film, on n'en saura guère plus sur le défunt, et d'ailleurs personne dans le village kabyle ne semble bouleverser outre-mesure par sa tragique disparition. Un jeune qui meurt aussi brutalement c'est bien triste, mais c'est le destin, c'est comme ça. Gardez vos émotions et vos larmes pour d'autres fictions à la fraise moisie, puisqu'on vous dit qu'ici, il n'y a pas d'histoire et surtout on ne veut pas d'histoires !

Il n'y a pas d'histoire, vraiment ? Ce que le film suggère en finesse c'est que toutes les histoires ont eu lieu avant la première scène, tout a été dit, tout a été tenté et que maintenant c'est fini, tout le monde est usé, fatigué ! Pourtant, les trois amis d'enfance du film auraient pu être les joyeux protagonistes d'un buddy-movie made in Bougie, sauf qu'ici, ils vont disparaître fatalement les uns après les autres, et leurs souvenirs se désintégrer sous nos yeux. Ici, les «gens sont déjà partis avant même qu'ils ne quittent le pays» pour reprendre une réplique du film qui pique.

Trois amis donc, même pas la trentaine, et une amitié en phase finale avancée. Le premier qui survivait en vendant des câbles électriques dérobés la nuit crève dès la première scène du film sans avoir eu à se présenter. Celui qui l'accompagnait (Mehdi Ramdani) s'apprête à quitter le pays pour s'installer à l'étranger. Le troisième (étonnant Mohamed Lefkir) a déjà opté pour l'exil intérieur, dans le sud du pays, autant pour des raisons économiques que? métaphysiques, oui. Fuir le village aimé de peur de le détester et se réfugier loin de tout, «là où il n'y a enfin personne la nuit quand on veut vivre seul avec les étoiles». Si le troisième homme revient au village, c'est juste pour enterrer le premier et souhaiter bonne chance au second. Alors puisque tout le monde se barre, que voit-on, que vit-on avec La maison brûle, autant se réchauffer ?

Ce n'est pas un film contemplatif, mais un inventaire contemporain d'expériences de vie et de survie en milieu rural, un panorama des renoncements et des renaissances. Qu'est-ce qui est de l'ordre de l'immuable et qu'est-ce qui témoigne des mutations sociologiques ? Des maisons poussent dans une sauvagerie architecturale mais n'altèrent en rien la beauté majestueuse de la montagne kabyle, des intérieurs de maisons où la dignité d'une culture ancestrale tord autant que faire ce peu à la pauvreté, des visages marqués par tout ce qu'on devine dans des minibus fatigués qui sillonnent les villages, on croit sentir l'air dans ce film d'atmosphères. C'est un film fragile certes, mais qui ne perd jamais pied, et qui sonde aussi bien la résignation des hommes et des femmes que le temps suspendu à jamais qui les protège autant qu'il les emprisonne. Ce film a le goût amer d'un fruit exquis qui pousse dans une terre sanguine. C'est par ailleurs une illustration parfaite de la résilience, ce mot horrible qui retrouve ici toute sa grâce en version kabyle; et enfin c'est un film qui scanne un territoire, un pays, un tamurth, avec une minutie et un amour qui empruntent autant à la poésie de Maatoub Lounès (explicitement cité) qu'au cinéma de Jean Rouch. Le titre de cet étrange moyen-métrage de 40 minutes est, apprend-on, un proverbe kabyle. La maison brûle, autant se réchauffer. On ne saurait dire s'il est en phase avec la situation climatique actuelle, ou au contraire pas du tout.

Au pays des Ni-Ni, est donc né un film qui a la pertinence de n'être ni cocasse, ni mélancolique, ni rageux, ni révolutionnaire, alors qu'il avait toutes les raisons légitimes de cocher ces cases fatidiques. La maison brûle, autant se réchauffer est juste un petit film qui ambitionne d'être le plus juste possible, convaincu de sa bonne cause et souvent convaincant. Si on défend cette première œuvre cinématographique de Mouloud Aït Liotna c'est parce qu'elle est d'une profonde humanité vis-à-vis des siens et rien que pour cela, on ne souhaite qu'une seule chose à son jeune auteur de 32 ans : qu'il ne lâche jamais la caméra et qu'il continue à nous étonner.



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