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Le commerce des idées: la connaissance dans l'économie (Suite et fin)

par Lakhdar Ydroudj*

Il aurait été impossible pour le public des pays sous-développés de connaitre les fonds marins sans les programme de Calypso de l'équipe de plongée de Jacques Yves Cousteau, ni les volcans avec Haroun Tazieff, durant les années 70-80 pour ne citer que ces deux grands réalisateurs de documents de vulgarisation. Le film scientifique est le meilleur support qui contribue à l'accumulation des connaissances et la dissémination des savoirs, c'est pourquoi par exemple la revue Sciences et vie s'est métamorphosée en chaine thématique, et des pays ont tout simplement lancé aussi leurs propres chaines spécialisées dans la vulgarisation et la culture scientifique de masse.

Il serait très intéressant de s'attarder sur le fait que pour vulgariser il faut produire, et c'est bien le cas de ces pays qui ont innové dans ce domaine et ont exécuté des stratégies leur permettant de couvrir des domaines aussi variés que diversifiés et complexes, explorer les mondes et manipuler des expériences technologiques pour le grand public. C'est l'industrialisation massive qui crée le besoin et le satisfait par une dictature de l'offre des produits qui véhiculent la science et le savoir. Les groupes sociaux suivent toujours la tendance imposée par les courants dominants, elle crée aussi le reflexe de choisir et de payer pour lire, s'informer et se cultiver.

Il est très difficile pour des pays qui ne produisent presque pas de connaissance de vulgariser une quelconque culture.

C'est le cas des pays arabes. A titre d'exemple, les pays arabes ont produit un total de 58.771 articles scientifiques en 2018. En ce qui concerne l'édition et la circulation du livre dans le monde arabe on se contentera de la déclaration du président de l'Union des éditeurs arabes, Mohamed Rashad, qui évoque les problèmes qu'affronte l'industrie du livre, et reconnait les l'absence de moyens pour faire face à des difficultés chroniques «parce que les gouvernements arabes ont du mal à reconnaître que l'édition est une industrie comme les autres» (23). Pour l'Afrique, disons que ce continent peut encore avancer et dépasser les pays arabes, si les gouvernants arrivent à faire taire les armes et arrêter les coups d'Etat militaires synonymes d'instabilité et d'affrontements ethniques afin de réunir les conditions nécessaires à amorcer une cohabitation entre les différentes parties pour une véritable relance du continent.

Algérie: économie ou science et connaissance

Nous devons admettre comme préalable à l'analyse de la situation en Algérie de l'économie de la connaissance que cette dernière est une tendance politique et non pas un impératif culturel, économique et institutionnel du fait que les structures restent en deçà de la moyenne y compris en ce qui concerne le capital humain et surtout que l'Algérie n'a pas défini un projet culturel qui peut être la plateforme de cette nouvelle industrie. C'est aussi le cas de la numérisation qui est flottante entre des initiatives privées et des textes de loi idéologiques car au lieu de porter la stratégie et l'inscrire dans une échelle de temps, l'Etat algérien la souscrit dans des limites des discours politiques. Tout cela parce que la connaissance et le savoir ne sont pas encore considérés comme une ressource génératrice de croissance puisque le pays reste toujours dans le chemin d'une économie de la rente. Selon le classement effectué par Global Innovation Index Database, 2022 l'Algérie est à la 115e place sur 132 pays analysés et scrutés selon les standards de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle(24).

Les indicateurs de l'économie de la connaissance en Algérie clignotent au rouge puisqu'ils ne poussent à aucun optimisme dans la mesure où les institutions de l'Etat fonctionnent sans projet clair pour l'avenir, avec de faibles budgets, des librairies se transforment en fast-foods et autres magasins, le prix du livre s'enflamme et peut représenter jusqu'à 25% du salaire minimum, l'absence des revues et des périodiques scientifiques des étals des librairies garnis par des journaux qui scandent les slogans des autorités, des bibliothèque fermées à partir de 17 h avec des rayonnages qui peinent à se renouveler depuis des années, l'importation de la «science» n'est pas une priorité, le secteur privé n'est pas participatif au développement de ce secteur, etc.

Il faut que l'Algérie développe ses industries culturelles avant de formuler des engagements pour l'économie de la connaissance.

L'Algérie a produit 5231 articles scientifiques en 2018 et édite un nombre dérisoire de livres et de revues scientifiques. On trouve rarement une revue de culture générale spécialisée dans la vulgarisation scientifique et technique, les enfants ne lisent que 6 minutes par an comparé à 12.000 minutes pour un enfant des pays de l'Ouest selon le rapport de Reading index établi en 2017 par l'Unesco.

En résumé à cette situation on peut affirmer que la carte documentaire des pays arabes y compris celle de l'Algérie n'est pas propice au lancement de l'économie de la connaissance, puisque tous les facteurs sont en faveur de l'ignorance. Même l'enseignement et l'éducation ne sont pas en mesure de changer ces nouvelles traditions d'analphabétisme général.

Pire encore, les programmes de l'éducation fabriquent des étudiants qui ne sont pas dotés de reflexes scientifiques ni de connaissance. La culture née depuis des décennies est une culture toxique à la science et elle nuit à tout l'environnement scientifique parce que la politique domine la science et c'est la politique et l'idéologie qui gère les facteurs dont dépend le développement ce qui résulte dans des choses ne sont pas faites de manière savante.

Notre objectif n'est pas de faire un diagnostic détaillé du panorama du savoir et de la connaissance, ni de la politique culturelle du pays mais de s'appuyer sur des chiffres qui nous renseignent sur les difficultés pour une transition vers l'économie de la connaissance qui ne peut pas être décrétée par un discours ni institutionnalisée par un ministère parce que l'économie de la connaissance est tout simplement une production soumise à des processus universels. C'est-à-dire un investissement dans l'enseignement, l'éducation, la recherche scientifique (publique et surtout privée), une industrialisation des supports, une politique de vulgarisation nationale dans ses différents cycles, une écologie adéquate des environnements optimaux d'apprentissage à la science opérationnelle, en plus de la disponibilité des moyens financiers pour la consommation des produits culturels et scientifique dans le milieu socioculturel. Le contexte éditorial en Algérie n'est pas favorable à cette économie, puisque des « dizaines de librairies ont fermé au cours de ces dernières années ». (?) « Nous avons moins de 150 librairies sur tout le territoire national » (25).

Soumise au marché de l'incertitude la société savante en Algérie, elle ne sera pas édifiée durant les prochaines années parce que l'éducation mérite une attention prolongée, l'enseignement supérieur doit revoir ses ambitions qualitatives pour les basculer sur les autres générations, parce que pour pouvoir tirer profit des industries culturelles et scientifiques, l'activité des manifestations scientifiques doit retrouver une place dominante dans la société (colloques, séminaires, symposiums, conférences, journées et manifestations culturelles, etc.), relance de l'édition et de la lecture et il faut une base intellectuelle suffisamment adaptée et une base économique matérielle capable de faire face aux outputs du produit immatériel du savoir. Ainsi, l'économie de la connaissance comme vecteur du développement exige une infrastructure et des conditions matérielles et institutionnelles pour être transversale dans toutes les autres environnements notamment celui de la mobilisation des connaissances. L'Algérie peine à produire périodiquement des revues et autres collections scientifiques dans le domaine de la recherche, tout en les mettant à la disposition de la communauté scientifique et le public, malgré la présence de 37.000 chercheurs selon les statistiques officielles. Il est vraiment étonnant de ne pas trouver une seule revue éditée et imprimée en papier chez le buraliste du coin.

Le maintien d'une publication pour une dizaine d'années de suite nous semble une des opérations les plus difficiles. On évitera d'évoquer la littérature et les outils de l'éveil scientifique pour les enfants car c'est un secteur qui mériterait une autre étude spécifique détaillée.

Conclusion :

L'unique feuille de route qui pourrait mener vers l'économie de la recherche est la prise en charge effective de la recherche, la réforme de l'enseignement en révisant les objectifs par la transformation des programmes pour former des esprits critiques et savants. Les vagues d'innovation de l'ère numérique et de la science ?opérationnelle' peuvent être déployées efficacement si les autorités se mêlent concrètement des produits de l'économie de la connaissance en industrialisant la culture, la science et la créativité car la croissance de la productivité induite par l'innovation et son effet sur notre bien-être seront palpables et importants. Pour démarrer cette industrie, commencerons par le marketing du commerce des idées en démontrant le rôle de celles-ci dans le processus du développement des esprits. Il nous servira certainement à mettre en évidence le rôle de l'information dans les différents processus de l'Homme y compris la création de la richesse à travers les idées et ses produits.

* Ex-Secrétaire général du Centre de Recherche sur l'Information Scientifique et Technique, Fondateur et responsable de la rédaction

de la Revue RIST.

Notes

23 Interview Disponible sur le site: https://hebdo.ahram.org.eg/News/38510.aspx.

24 WIPO: Global Innovation Index Database, 2022, Page 51. Disponible sur le site : https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo-pub-2000-2022-section3-en-gii-2022-results-global-innovation-index-2022-15th-edition.pdf.

25 https://www.lepoint.fr/culture/algerie-la-rude-vie-des-editeurs-et-des-libraires-06-11-2018-2268889_3.php#11



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