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La révolution de la productivité sera-t-elle reportée ?

par Barry Eichengreen*

BERKELEY ? La croissance de la productivité change tout. Dans les économies avancées disposant d'un stock de capital déjà important, et où la main-d'œuvre connaît une croissance lente, ce phénomène représente en général la majorité de la croissance de la production.

Cela signifie que le moyen le plus direct et le plus immédiat d'améliorer la performance économique consiste à stimuler la productivité. Par exemple, si la croissance annuelle de la productivité totale des facteurs aux États-Unis atteignait 2%, contre 0,5% dans les cinq années qui ont précédé la COVID-19, le taux de croissance du PIB doublerait par rapport aux 1,5% prévus par le Fonds monétaire international pour 2023-26.

Une croissance aussi rapide de la productivité n'est pas sans précédent. Elle serait presque exactement identique à celle du secteur des affaires américain entre 1996 et 2004, les années de la «Nouvelle économie», où des processus numériques innovants ont été adoptés dans les secteurs de la vente en gros, de la vente au détail et de la finance.

Imaginez toutes les retombées bénéfiques si la productivité se remettait à augmenter à un rythme comparable. Les revenus doubleraient en une génération, plutôt qu'en deux. Les pouvoirs publics auraient davantage de revenus et de plus petits déficits budgétaires. Augmenter le dénominateur du ratio dette publique/PIB permettrait de stabiliser et même de réduire le fardeau de la dette. Le problème est que nous avons été incapables de reproduire la croissance rapide de la productivité de la période de la Nouvelle économie.

La COVID-19 va-t-elle changer la donne ? Les optimistes comme McKinsey & Company mettent en avant l'essor du travail à distance comme la preuve que les entreprises organisent leurs opérations plus efficacement. Des efforts ont été renouvelés pour automatiser les opérations, comme dans le conditionnement de la viande, un secteur qui a longtemps résisté à la mécanisation. En outre, la pandémie a stimulé un changement vers les transactions de détail en ligne, la montée en puissance de la télésanté et l'adoption de la technologie même par mon propre secteur d'activité, l'éducation. Tout cela nourrit l'espoir d'une plus grande efficacité.

Mais d'autres tendances sont plus inquiétantes. Les investissements dans la technologie numérique se concentrent dans de grandes entreprises. Les petites entreprises sont à la traîne et une plus grande domination par les grandes entreprises va signifier moins de concurrence et moins de pression sur les leaders du marché pour innover.

Alors que l'immunité collective à la COVID-19 semble de plus en plus improbable, les entreprises du secteur de l'hôtellerie vont faire face à des coûts de plus en plus élevés. Si votre ville natale a rouvert les salles de restauration en intérieur, vous aurez remarqué que les restaurants espacent plus largement leurs tables et servent moins de repas, mais continuent pourtant à louer la même superficie qu'auparavant.

Les progrès scientifiques ? incarnés par le développement rapide de vaccins à base d'ARN contre la COVID-19, mais s'étendant également aux métamatériaux, à la génomique humaine, aux nanotechnologies et à l'intelligence artificielle ? sont les motivations les plus fondamentales de l'optimisme actuel. Mais la raison la plus fondamentale du pessimisme est que ces progrès prendront probablement des années pour apparaître dans les statistiques de productivité.

Pensons un instant aux lendemains de la pandémie de grippe de 1918-20, qui ont fait suite aux progrès du moteur à combustion interne et au développement de la chaîne de montage par Henry Ford. Ils ont a suivi l'invention du récepteur superhétérodyne, qui a permis à la Radio Corporation of America, la principale société de haute technologie de l'époque, de vendre des postes de radio capables de capter des signaux sur de plus longues distances. Ils ont fait suite à des processus chimiques mis au point durant la Première Guerre mondiale, qui ont réduit les coûts des engrais, au profit du secteur agricole. Mais bien qu'il y ait eu une certaine accélération de la croissance de la productivité dans les années 1920, l'impact total n'en a été ressenti que dans les années 1930. Les entreprises ont utilisé les temps d'arrêt durant la Grande Dépression pour réorganiser la production, et ceux qui n'ont pas su se recycler ont quitté le marché. Les pouvoirs publics ont investi dans les routes, ce qui a permis à l'industrie naissante du camionnage de stimuler la productivité dans la distribution. Mais plus d'une décennie a d'abord dû s'écouler avant que les innovations en question ? datant des années 1910 ? n'aient été publiées dans les statistiques de productivité.

Ce retard prolongé nous inspire deux leçons importantes. Premièrement, un certain retard est probable avant que la croissance de la productivité ne se matérialise, et les responsables du budget et les banques centrales devraient s'organiser de manière à en tenir compte. Deuxièmement, le gouvernement peut prendre des mesures pour s'assurer que l'accélération commence le plus tôt possible. Dans les années 1930, cela signifiait investir dans les routes et les ponts afin d'encourager le camionnage.

Aujourd'hui, cela signifie investir dans le haut débit de sorte que les avantages de la numérisation en termes d'efficacité profitent à l'ensemble de l'économie. Le président américain Joe Biden a clairement misé sur une croissance plus rapide de la productivité. C'est la seule façon de concilier les 4,1 mille milliards de dollars supplémentaires de dépenses de son Plan américain pour l'emploi et du Plan américain pour les familles avec une économie qui est au plus de mille milliards de dollars inférieure à ce qu'elle aurait été s'il n'y avait pas eu la pandémie. Une croissance plus rapide de la productivité est la seule base raisonnable pour écarter les inquiétudes concernant la surchauffe économique et l'inflation.

Il serait évidemment contre-productif de réduire les dépenses d'infrastructure, car cela ne ferait qu'aggraver les perspectives de croissance de la productivité à court terme, ou les dépenses d'éducation de la petite enfance, ce qui nuirait également aux perspectives à long terme. Mais plus l'on s'inquiète d'un retard avant que la croissance plus rapide de la productivité ne se matérialise, plus il faut insister fermement sur le fait que les plans de dépenses de Biden soient financés par des impôts afin d'éviter le scénario de surchauffe.

*Professeur d'économie à l'Université de Californie de Berkeley. Il a publié de nombreux livres, notamment The Populist Temptation: Economic Grievance and Political Reaction in the Modern Era.



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