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Algérie - France : « Le pétrole sans la bagnole ; la bagnole sans le pétrole ! »

par A. Boumezrag*

« L'Algérie est sans la France ce que le pétrole est sans la bagnole et la France est sans l'Algérie ce que la bagnole est sans le pétrole » aurait déclaré un chef Etat africain, il y a de cela plusieurs années.

L'Algérie française a échoué par l'épée, elle a réussi par l'esprit. « Il n'y a pas plus aliéné qu'un esprit colonisé ». La France coloniale a quitté le territoire, mais ses méthodes de domination demeurent. L'Algérie était plus qu'une colonie, c'était « un morceau de la France ». La France ne pouvait se « dépiécer » sans de profondes déchirures qu'il fallait panser aussitôt avant qu'elles ne s'infectent. C'était là le rôle dévolu aux services secrets français. Il était impensable à la France de laisser les Algériens construire seul leur propre Etat, de disposer de leur économie, de choisir librement leurs dirigeants. Il est dans la pratique française de coopter subtilement et sournoisement les dirigeants de ses ex6colonies ; ce qui ne fut pas le cas des Britanniques pour leurs propres colonies. La couronne britannique permettait à ses sujets de choisir leurs propres dirigeants. Il faut dire que l'empire britannique était plus expérimenté et plus avisé que l'empire français dans la connaissance des mentalités et des ressorts des peuples arabes. Dans les faits, l'Etat indépendant continue l'Etat colonial, il reste séparé du peuple et proche de la métropole. Les rapports Etat colonial-société « indigène » n''ont pas été rompus, l'Etat national reste coupé du peuple.

Les conflits idéologique et identitaire entre « civilisés » et « barbares » qui existaient à l'époque coloniale ont été reconduits. Les « modernistes » pour la plupart des francophones imprégnés de la culture française apparente et de bas étage, dite des « lumières » qui investissent les lieux où s'exercent le pouvoir économique et social (les banques, les entreprises, le commerce, les syndicats, les associations) et les « traditionnalistes » des arabophones de culture musulmane qualifiée des « ténèbres » qui envahissent le pouvoir politique et culturel (le parti du FLN, l''école, la justice, les mosquées). Le pont qui relie ces deux rives opposées est l'armée, qui elle-même est traversée par les mêmes contradictions. Ces deux courants de pensée ont lamentablement échoué. L'un a débouché sur l'échec des politiques de développements menées à l'abri des baïonnettes (chômage massif des jeunes diplômés, l'exode des cerveaux vers des contrées de plus en plus lointaines, l'exode des familles dans des embarcations de fortune, la dépendance alimentaire suicidaire vis-à-vis de la métropole, la concentration des richesses entre des mains oisives... etc.). L'autre sur la guerre civile par la manipulation des masses qui a fait des milliers de morts et de disparus, certains au nom de l'Etat, les autres au nom de l'Islam. Les deux à l'orée du pouvoir. Malheureusement, aucune élite ne veut faire son mea culpa. Toutes sont partisanes de la politique de l'autruche. « Ce n'est pas moi, c'est l'autre » semble être leur réponse. Question : qui est l'autre, il n'est rien d'autre que soi-même. L'armée ne sait plus à quel saint se vouer, elle est prise dans son propre piège. « la faiblesse de la force est de ne croire qu'à la force » écrivait Paul Valéry au siècle dernier. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. On ne tire pas les leçons du passé. On répète à l'infini les mêmes erreurs.

Et cela ne date pas d'aujourd'hui. L'Algérie française a échoué par « l'épée », elle a admirablement réussi par « l'esprit ». La France a su imposer à l'Algérie indépendante un ordre politique, administratif et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. Reprenant à son compte le discours colonial, le nouvel Etat indépendant décrète l'immaturité du peuple algérien le rendant inapte à la démocratie. La légitimité nationaliste n'a pas en effet dispensé le nouvel Etat d'user de la violence légale pour réprimer toute opposition et toute contestation au pouvoir établi. Son discours sur le développement et l'indépendance lui a permis de justifier son refus de toute démocratie dans le pays. Un développement illusoire, une indépendance factice. Après la victoire des forces de libération nationale, l'intervention étatique pour vaincre le sous-développement fut un principe admis sans discussion. « L'Etat est tout, la société est rien ». L'enjeu n'est pas le développement mais la conservation du pouvoir. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont affirmé que le développement est l'unique but de leurs actions, mais ces dirigeants ne définissent nulle part de quel développement il s'agit, ne précisent jamais vers quel type de société, ils entraînent leur population. Depuis l'indépendance, on ne cesse de parler de la construction d'un Etat fort dans le sens de l'absorption de la société civile par l'Etat empêchant son éclosion.

Car d'un côté les ressources en devises du pays ne couvrent la totalité des besoins de la population dans sa grande majorité et de l'autre on décourage systématiquement les citoyens à se prendre en charge. Le résultat est connu : une insertion plus étroite dans le système économique mondial dominant dans une position aliénante. Faut-il rappeler que les couches dirigeantes du pays ont adhéré totalement aux valeurs et aux modèles de consommation occidentale sans pour autant assimiler les sciences sociales, les techniques de production et de gestion qui les sous-tendent et de surcroît en refusant la liberté de recherche, de critique et d'opposition prônée par la culture politique occidentale pour limiter l'arbitraire et les abus du pouvoir de l'Etat.

L'Algérie a eu son indépendance grâce à une révolution armée. Une révolution conduite par des hommes produits de l'école française et pétris par la religion musulmane. Après l'indépendance, l'Islam devait s'effacer de la vie publique pour permettre la construction de « l'Etat national ». C'est ainsi que l'Algérie va opter pour un régime présidentiel à parti unique (travesti plus tard en un multipartisme de façade aux couleurs chatoyantes) s'inspirant à la fois de la France gaullienne et de la Russie stalinienne, dans un contexte de guerre froide entre le bloc l'Est et le bloc de l'Ouest. Comme la voiture, l'Algérie va clignoter à gauche pour tourner à droite et se retrouver en fin de parcours, dans le décor.

Une voiture livrée sans notice d'emploi-contre un pétrole brut de bonne qualité acheminé en grande quantité à bon port et à bon prix traversant la Méditerranée transformée au fil des années d'exploitation en un cimetière à ciel ouvert de jeunes Algériens morts noyés à la fleur de l'âge en quête d'un emploi productif sur la rive nord inhospitalière chauffée au gaz algérien livré à domicile au dollar symbolique. Sur la rive sud, une population locale musulmane attendant la rupture du jeûne tout en scrutant l'arrivée prochaine d'un bateau de blé tendre français, une élite bureaucratique, pléthorique et budgétivore s'épuisant à la rédaction d'un cahier des charges pour l'importation de véhicules neufs de marque française de préférence... financée sur découvert bancaire... en attendant le retour du FMI afin de solliciter des prêts dans des conditions drastiques inhumaines auprès du club de Paris. La France est pour l'Algérie ce que le cavalier est pour son cheval, le cheval se cabre mais ne désarçonne pas son cavalier. C'est le cheval qui court et c'est le cavalier qui se glorifie. L'industrie au nord, le désert au sud. La voiture et le chameau. « Un chameau c'est un cheval dessiné par une commission d'experts » Francis Blanche. « La voiture, le troisième testicule de l'homme moderne ».

*Dr



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