Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Pandémies, monnaie, dépossession, contrôle social, surveillance et guerres au sein et contre les populations (1ère partie)

par Mohamed Belhoucine*

«Ce que l'on ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation de l'homme en soi, c'est l'humiliation de l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie (Code de l'indigénat), les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique (Code noir)».

Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme (1950), Paris, Présence Africaine, 2011, p.14

[Il faut savoir que l'Etat français colonial donnera pour sa part un cadre «juridique» aux guerres de races avec le Code noir en Martinique et Guadeloupe (1685) et le Code de l'indigénat exclusivement dirigé contre les Arabes d'Algérie (1881)].

L'accumulation primitive est une condition d'existence qui accompagne sans cesse le développement du capitalisme et de sa principale dimension, le capital financier. Accumulation primitive ou accumulation par dépossession sans elle le capitalisme ne peut survivre. La «civilisation des peuples» est bâtie sur le Surplus (Toynbee et Braudel l'ont mis en évidence et théorisé dans leurs remarquables travaux), n'est autre que l'accumulation du capital. Le capital financier transmet l'illimité (de sa valorisation) à la guerre perpétuelle en faisant de cette dernière une puissance sans limite (la guerre totale). Production illimitée pour la guerre illimitée [à lire la vision exaltée de la guerre totale, un chef d'œuvre de stratégie par Erich Ludendorff, Général en chef des armées allemandes (1916-1918), La Guerre totale (1935) Flammarion ; et aussi le travail pionnier de l'historien Léon Daudet, La Guerre totale, librairie nationale, Paris, 1918]. L'accumulation des grandes richesses ne se fait pas uniquement en exploitant autrui dans les manufactures, les usines et la société entière (travail physique et cognitif) mais également par l'expropriation, l'escroquerie, le pillage et la prédation des nations les plus pauvres. La prise de l'accumulation primitive ne vient pas seulement «au début» du capitalisme, elle s'exerce également, y compris sous ses formes les plus «moyenâgeuses», dans le capitalisme le plus développé. L'accumulation par dépossession se poursuit dans toutes ses formes d'expropriation d'une accumulation continuée, de nos jours, alors les guerres de classes, de races, de sexe, de subjectivité (04 concepts que j'emprunte à Michel Foucault, La Biopolitique) sont perpétuelles Sans Fin et Sans Répit. Ceux qui relèvent de la subjectivité sont : les traditions, les institutions, les coutumes, les codes, les esprits, les monuments historiques, les langues et surtout les banques...Le colonialisme est la vérité et la matrice historiques de l'ensemble de ce procès qui, rappelons-le, est celui de l'accumulation primitive continuée dans le «capitalisme industriel» en gestation militaire, où la force armée n'a jamais cessé de s'exercer aux dépens des nations les plus faibles et les plus colonisables. Protection militarisée des richesses de l'accumulation, la sécurité intérieure devient militariste (la police en France est dotée de plus en plus d'armes de guerre en face du prolétariat intérieur (gilets jaunes) et de la population endocolonisée, stigmatisée et précarisée des banlieues dans le feu roulant de sa projection à l'extérieur). La guerre et la course aux armements sont à la fois conditions du développement économique et de l'innovation technologique et scientifique depuis le début du capitalisme. La violence sans limite du capitalisme, un mode de production bâti sur le pillage et la violence aveugle sous couvert de «valeurs universelles», notamment, par ses guerres contre le prolétariat intérieur, au centre (Les pauvres et les femmes en Europe) et le prolétariat extérieur, à la périphérie (les peuples colonisés racialisés ou néo-colonisés). La guerre au sein de la population dans les métropoles impérialistes à recours à l'instrumentalisation de la race et de la liberté des femmes sur le dos de la population endocolonisée (le musulman, l'étranger, le migrant, le réfugié, la femme voilée), c'est à travers ce champ superficiel limité de connaissance que se construit toute la vulgate zemmourienne qui se fait une fixation exclusive sur les endocolonisés. La transformation des enjeux politiques en conflits religieux et en guerres de civilisation faisant fond sur la «question raciale» est sciemment poursuivie par le capital via tous ses dispositifs médiatiques (zemmour) et de pouvoir, plus particulièrement en France. La pacification obtenue par tous les moyens «sanglants» et «non sanglants», est le but de guerre du capital comme «relation sociale». La monnaie et la guerre constituent la police militaire du marché mondial. Sans l'exercice de la guerre à l'extérieur, et sans l'exercice de la guerre civile par l'Etat à l'intérieur des frontières, jamais le capital n'aurait pu se constituer.

La «guerre civile» est «l'état permanent» du capitalisme. C'est une guerre perpétuelle que se livre le capital contre le prolétariat intérieur (les pauvres en occident) et le prolétariat extérieur (la population pauvre mondiale).

La majorité des passages, suivis de mes commentaires qui vont suivre dans cette partie, ont été tiré in extenso de la lecture du Capital, quoique reformulés et adaptés en y mettant de l'ordre pour un texte d'emblée inaccessible, certes remplis d'idées pénétrantes mais composé d'un véritable fouillis qui découragera tout lecteur pressé ou démotivé. Seule l'approche d'une lecture systémique réussie et revisitée cent fois en d'incessants allers et retours (en empruntant et en faisant appel à un vaste champs de connaissances), va nous permettre à accéder et à distiller ce texte extrêmement difficile à lire, acéré et ardu. Karl Marx, Le Capital. Critique de l'économie politique, livre premier : le procès de production du capital, trad. dirigée par J- Lefebvre, Paris, Presses universitaires de France, 1993. (Les numéros entre parenthèses qui suivront renvoient aux pages correspondantes du Capital).

Si vous voulez connaître une question, faites-en l'histoire. L'idée, selon Marx, que l'accumulation initiale (primitive) a eu lieu une bonne fois pour toute, dans un passé reculé, puis qu'elle a cessé d'avoir des effets significatifs, n'est pas exact. Les théories critiques marxistes récentes, Ernest Mandel ( les ondes longues du développement du capitalisme, édit. Broché, 1993), David Harvey (Le nouvel impérialisme Paris, Les prairies ordinaires, 2010, p.192) et celles inaugurées par Rosa Luxemburg au début du XXe siècle (L'accumulation du capital (ouvrage publié en 1913), Paris Maspero, 1967, troisième partie, chapitre 31) tendent à démontrer que le procès d'accumulation initiale est au contraire une constante de la géographie historique du capitalisme. Marx avait tort de reléguer l'accumulation initiale à la préhistoire du capitalisme, et, de limiter le processus d'accumulation initiale à une époque antédiluvienne (XVIe siècle). Le capitalisme aurait disparu depuis longtemps s'il n'avait constamment eu recours à l'accumulation initiale (primitive) ou de dépossession, et surtout à la violence impérialiste. Tous les aspects spécifiques de l'accumulation initiale décrits par Marx ? la dépossession des populations paysannes ; l'exploitation coloniale, néocoloniale et impérialiste ; l'utilisation de la puissance étatique au profit de la classe capitaliste ; le clôturage (enclosures) des terres communales ; la privatisation des terres et des ressources appartenant à l'Etat ; le système international de la finance et du crédit ; sans parler du lucratif marché de la dette souveraine et du trafic d'être humains, en particulier des femmes et des enfants, qui s'inscrit dans la droite ligne de l'esclavage ? aucun de ces aspects-là n'a disparu, et certains, comme le système de crédit, le clôturage et la privatisation ont même acquis une place prépondérante au cours des dernières décennies (voir mon papier sur El Watan du 02 janvier 2018, sur la dystopie néolibérale et le bradage de l'outil économique public de l'Algérie suivi par toute une série de mesures scélérates arrêtées par la conférence tripartite siégeant le 27 décembre 2017 sous la présidence de 3 principaux acteurs et instrumentateurs qui se retrouvent aujourd'hui incarcérés).

L'accumulation initiale n'a pas disparu et a permis au capitalisme de survivre ; dans certains cas elle a même eu tendance à s'intensifier et à engendrer de violents conflits (en Inde les paysans sont expropriés pour créer des zones économiques spéciales, au Brésil les indiens sont expulsés de leur forêt pour la culture du soja pour nourrir le bétail des grasses prairies du Middlewest et Middleeast des Etats-Unis, y compris au Congo des populations entières sont transférées et entassées dans des bidonvilles, dépossédées de leur terre riche en métaux stratégiques (le cobalt (60% de l'offre mondiale), le colton, le germanium , le palladium, le molybdène etc..). En outre, la dette souveraine et le système de crédit, que Marx présente comme des aspects essentiels de l'accumulation initiale, ont désormais pris une ampleur démesurée, au point de devenir le système nerveux central qui régule le flux des capitaux. Aucune des pratiques présentées par Marx n'a donc disparu, et certaines se sont développées à un point que personne à son époque n'aurait pu imaginer.

L'accumulation par dépossession n'est que le prolongement de l'accumulation initiale, elle est devenue une composante significative de la consolidation d'un pouvoir de classe dans le capitalisme mondial. Il ne faut donc pas croire qu'elle relève de la préhistoire du capitalisme. Elle est omniprésente, et prend des formes les plus diverses intra territoriale et extraterritoriale ? suppression de l'accès aux terres, l'appropriation des ressources de pays néo-colonisés et de leurs moyens de subsistance, disparition des droits à la retraite (mesures prises récemment en France), à l'éducation, à la santé, toutes chèrement acquises par d'âpres luttes de la classe ouvrière.

Il ne faut pas perdre de vue comment les fonds de placement privés se sont emparés des centaines d'entreprises publiques en Algérie (avec la complicité de l'Etat et de l'ancien régime), comment ils les ont dépouillées de leurs ressources, comment ils ont licencié autant que possible, puis empoché d'énormes profits sur les entreprises restructurées (Ex l'usine de Ngaous, la SNTA, les huileries, les meuneries, les câbleries, les cimenteries, gestion des ports et aéroports etc..). Autres formes d'accumulation par dépossession : le bio-piratage des sources d'eaux minérales dans notre pays, l'eau est un bien commun accaparé par les privés, une appropriation de la vie ; L'industrie du sucre entre les mains de deux familles, un scandale, ce produit stratégique de large consommation constitue une manne de plus-value financière considérable à l'échelle d'Etat de plus de 3,5 milliards d'euros / an, doit relever du bien commun de la nation (sans parler des achats à terme du sucre (RSA Londres) transformés en achats spot induisant une hémorragie et une fuite des capitaux considérable à hauteur du montant total acheté) ; le brevetage du vivant en occident ; l'appropriation de notre pool génétique, halieutique, agricole et animalier ; la disparition totale de tout notre pool génétique semencier ; L'apparition ex nihilo de tout une meute de promoteurs affairistes de l'immobilier toujours impunis ( beaucoup sont dans l'impossibilité de justifier l'origine des fonds et qui par précaution ont fait fuir leur progéniture à l'étranger), se sont accaparés le foncier urbi et orbi de nos villes avec la complicité d'une administration corrompue sous couverture politique (le cas d'Oran est illustratif, notamment sous les méfaits de deux ex Wali malfaiteurs devenus ministres et récemment incarcérés), à cela s'ajoute la gentrification sans aménagement du territoire et la production des sans-abris ; Le transfert de rente des revenus de nos hydrocarbures (ce transfert de rente est invisible et est subsumé par notre plan comptable national), se redéploie sous deux modes, d'une part par l'octroie d'indues subventions venant s'ajouter aux énormes profits des entreprises privées et d'autre part via la consommation de l'énergie quasiment gratuite au profit des industries de transformation des multinationales présentes en Algérie ; Les prédateurs de crédits qui cherchent à exproprier des familles d'agriculteurs et de pasteurs des hauts plateaux au profit de l'agrobusiness ; L'appropriation et la destruction de nos zones pastorales à l'ouest du pays et la culture agro-industrielle de la tomate (l'or rouge) centre de toutes les convoitises à l'est du pays en liaison directe avec les mécanismes bien rodés des fuites des capitaux en Algérie,etc.

L'extraction de la plus-value (sociale, physique et cognitive) est une forme d'accumulation par dépossession, puisqu'elle n'est rien d'autre que l'aliénation de la capacité du travailleur à produire de la valeur dans le procès du travail. En outre, pour que cette forme d'accumulation se développe, il faut mobiliser une population latente de travailleurs et offrir au développement capitaliste de nouveaux terrains et de nouvelles ressources. Comme, dans l'ensemble, le capitalisme mondial n'a guère réussi à générer de la croissance depuis les années 1970, la consolidation du pouvoir de classe a eu tendance à s'appuyer davantage sur l'accumulation par dépossession. Il faut bâtir une force pour contrecarrer les 2 formes d'accumulation, en rassemblant les deux dépossédés (dépossédés dans le procès du travail et les dépossédés de leurs moyens de subsistances, de leurs ressources ou de leurs droits) : tout cela participe de la dynamique du capitalisme, qui ne recule devant rien pour élargir la sphère du profit. Chose que Gramsci et Mao avaient fort bien comprise. Marx a eu tort sans doute de considérer que l'accumulation primitive et l'accumulation par dépossession appartiennent à la préhistoire du capitalisme.

A suivre...

*Docteur en physiques et DEA en sciences du Management



Télécharger le journal