Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La transition ou les présidentielles ?

par Slemnia Bendaoud

Au lendemain de la démission forcée de Bouteflika, le pays entrait de plain-pied dans un branle-bas de combat de légitimité politique et constitutionnelle. Le temps suffisamment long ou assez prolongé pour faire dégager l'ex locataire du palais d'El Mouradia était mis à profit pour peaufiner toutes les retouches induites par ce plutôt brusque départ provoqué par la Rue.

Du 22 février au 02 avril 2019, les hommes du pouvoir en charge de la préparation de la succession au président déchu avaient pris le soin de régler les aiguilles de leur horloge de manière à très vite opérer au changement de la seule pièce manquante qui a lézardé l'édifice institutionnel, afin de pouvoir recomposer le puzzle traditionnel du système.

40 jours de rudes et soutenus conciliabules, au plus haut podium du pouvoir, devaient en effet déboucher sur une feuille de route qui aura réussi à imposer un black-out de fait, faute justement de pouvoir «domestiquer la rue» ou d'absorber sa grogne continue, dont tout le monde ignorait le degré du marasme de son ras-le-bol.

Durant cet intervalle-là, la Rue surexcitée par des pratiques de ruse d'une gouvernance tourmentée qui fait dans l'urgence et l'approximation, ne faisait que davantage resserrer ses rangs et monter les enchères, à mesure que ses premières revendications essuyaient un refus catégorique ou étaient ignorées par le pouvoir.

Les gardiens du temple, en leur qualité de traditionnels tricheurs et habiles triturateurs de la loi fondamentale, se sont cette fois-ci ravisés à ne plus toucher à son texte, étant par ailleurs persuadés que son article 102, à l'image d'une bouée de sauvetage, est toujours là pour reproduire le même système, au prix de quelques stratagèmes de pure forme.

Ils se font le chantre d'une Constitution qu'ils auront pourtant à l'envi piétinée au gré de leurs convenances, jusqu'à en faire un piètre cahier de brouillon d'un élève tout juste bon à être recalé ou renvoyé en fin d'année. Ils auront tout le temps violé cette loi fondamentale qu'ils sont pourtant sensés la protéger. Mais aujourd'hui, ils s'arcboutent autour de ce texte de la Constitution pour imposer au peuple ce statu quo qui ne sert que leurs seuls intérêts.

Du jour au lendemain, ceux qui ont pour habitude de violer la Constitution, volent paradoxalement à son secours. Après avoir sans succès tenté de tempérer les ardeurs d'une Rue qui manifeste encore et toujours la colère de son rejet de la solution préconisée par le pouvoir, ils s'accrochent à ce tutorat imaginaire pour imposer au peuple le dictat des puissants.

Faute d'avoir été par le passé respectée par ceux-là même qui prétendent aujourd'hui ne jamais s'en distancier, elle est juste élevée en « écran de fumée » en forme de vrai bouclier dans le seul but d'en faire un argument de nature à contraindre les manifestants à renoncer à la période de transition revendiquée.

Ainsi, en vieux roublards et téméraires briscards d'une politique très prolixe qui s'appuie essentiellement sur la tromperie et la ruse, les tenants du pouvoir actuel se donnent, à cette occasion, une tout autre légitimité : la «légitimité constitutionnelle», feignant d'oublier qu'ils ont assisté sans jamais lever le petit doigt à son viol tant répété qu'inconsidéré, tout juste pour faire plaisir à la haute cour du régime.

Ils sont tous conscients que ce mouvement continu des foules est comme un fleuve en crue, né d'une tempête imprévisible, qui risque de tout emporter sur le tracé de sa trajectoire, pour bien souvent déborder de son lit. Raison pour laquelle, ils tentent de gagner du temps, espérant éviter l'orage, et voir plus clair à l'horizon.

En effet, se disent-ils, le temps apaise les esprits, règle à sa manière les conflits, atténue les effets ou efface d'un seul trait les querelles, élimine ou circonscrit les divergences, amoindrit les différences, arrange bien les choses, rapproche les visions et les tendances, nettoie les plaies et prépare les belligérants à trouver les bonnes solutions.

Mais ils oublient, cependant, que l'isolement ou le refus de collaborer attise le feu de la colère et ravive la buche de la haine, impose la nécessité de bien communiquer sans tarder, pousse l'adversaire ou le « partenaire » à plutôt durcir sa position, à faire dans la surenchère, et condamne irrémédiablement les parties en conflit à faire des concessions, pour ensuite engager le débat qui débouche sur des solutions concertées et durables.

Mais pourquoi fondent-ils leur raisonnement exclusivement sur ces seuls arguments qui se trouvent être bien malheureusement incompatibles avec la nature même des revendications brandies sur les pancartes érigées en vrais étendards par les manifestants du Hirak ?

Dans ce cas d'espèce que peut alors signifier cette « légalité » si jalousement défendue face à cette légitimité populaire qui ne souffre aucune contestation, exprimée chaque vendredi sous la forme d'un authentique référendum à travers d'une « urne à ciel ouvert » qui exclut tout commentaire ?

Mais pourquoi cette gouvernance de fait du pays ne met-elle plus en avant les articles 07 et 08 de cette même Constitution, comme précédemment annoncé à travers ses propres déclarations, de manière à les rendre fusionnels et complémentaires avec ce fameux article 102, qui a fini être appliqué pour néanmoins d'autres raisons que celles longtemps revendiquées par l'opposition !

La Rue, de son côté, juge justement ce « mode d'emploi » inapproprié, inconvenant, trompeur et très compromettant pour l'avenir de la démocratie en Algérie. Et il réussit à éviter toutes les chausse-trappes auxquelles a eu recours le régime pour le détourner ou le dissuader à abandonner l'idée d'une réelle et très sérieuse transition.

Elle ne peut mettre fin à son combat pour ?en contrepartie- si peu de résultats obtenus à la l'arrivée, sous peine de définitivement compromettre sa Révolution, engagée ?il est vrai- sur les chapeaux de roues et dans des conditions qui pouvaient à elles seules justifier sa réussite, de sorte qu'elles forcent le respect et suscitent une grande admiration.

Et comment donc rapprocher ces deux positions jugées comme très contrastées ?

Faut-il souligner qu'au pays des paradoxes, tout se fait de travers ou à l'envers. Ce sont les limites qui se touchent, les constantes qui bougent, les logiques qui disparaissent, les théorèmes se transforment en axiomes et les vérités tangibles qui prennent le sens des probabilités peu probantes ou impossibles à tenter ?

C'est que dans pareil cas, c'est la logique qui s'efface, laissant la place à l'improvisation, à l'intrusion et à la confusion des rôles et des espèces. À telle enseigne que le bon sens fout le camp. Et pour de bon ! En termes plus clairs, l'intérêt du peuple se trouve être à l'antipode de celui des responsables en charge de la chose publique. D'où toute cette très grande difficulté à résoudre l'équation proposée !

Mais pourquoi ce stand-by si étrange qui dure dans le temps ?

Pour arriver à bien saisir les vrais contours de la problématique, il est nécessaire de mettre l'accent sur la nature de la divergence qui existe entre ces deux tendances : il y a, d'un côté, un pouvoir qui veut toujours rester le Maitre des horloges pour s'imposer à la mobilisation populaire, et l'autre, une Rue qui se réveille brusquement après un long sommeil politique, pour ne jurer que par un Etat libre et démocratique.

On est donc face à un pouvoir, encore très jaloux de ses « nombreux attributs », ne voulant, par ailleurs concéder la moindre portion de terrain sur ce qu'il considère lui appartenir en toute propriété ; mais aussi devant un peuple, qui a vraiment soif de liberté et de démocratie, et qui lutte de toutes ses forces, pacifiquement, pour recouvrer des droits qui lui sont depuis longtemps spoliés.

Une halte s'impose pour connaitre toute la genèse de la crise :

Elle met aux prises ce même pouvoir de l'Algérie de 1962 face à une toute nouvelle génération. Et qui est donc cette Génération nouvelle ? Est-elle à l'identique de ses devancières dont elle se dit être l'authentique héritière ? A-t-elle le même mode de réflexion et le même comportement ? Est-elle capable de remporter quelques défis ou encore porteuse de quelconques projets d'avenir ? Sinon reste-t-elle plutôt blâmable sur quelques écarts ?

Est-elle crédule à satiété au point de lui faire avaler des couleuvres de tous genres ? Ou alors est-elle si difficile à embobiner au point où elle exige que tout lui soit démontré avant même d'adhérer à toute initiative ou de prendre un quelconque engagement ?

Ces champions de la politique du mensonge savamment instrumentalisé sont-ils en mesure de lui damer le pion, pour toujours lui imposer leur seule raison de demeurer maitres du podium ?

Cette génération ne croit guère aux mirages, encore moins aux mystères de la providence. Et toute sa foi ne tient qu'à la vérité de la chose démontrée, vérifiable, justifiable et surtout quantifiable. Car elle reste tout le temps accrochée à ces gadgets qui meublent son quotidien, le façonnent, le transforment et lui procurent cet intérêt certain de leur rester toujours fidèles.

Cette génération communique beaucoup et s'informe énormément, de manière régulière, très rapide et surtout profitable. Elle reste persuadée que la politique qui domine en ce moment n'est que le produit de la science des forbans, pas une doctrine des croyants en un avenir meilleur du peuple et de la nation.

Toujours convaincue que cette politique-là se moque éperdument de la piété pour faire dans le pire des tirades et honteuses galéjades. Bien loin du possible pour toujours épouser le vil mensonge et la subtile dérobade.

Au fait, la politique n'est-elle cet art de la dissimulation au nom de l'efficacité ? Contre des loups, ils savent pertinemment que ça ne sert à rien d'employer les bons sentiments. De faire dans le conformisme qui sied au monde des sages de la planète. Comme alternative au changement espéré, ils demeureront d'une terrible inefficacité. Un espoir vain? !

Se battre avec des armes autrement plus performantes et très persuasives, plus efficaces et très percutantes fut leur unique salut. Nul besoin donc de leur faire un exposé pour le comprendre, un essai pour y adhérer ou même une caricature s'en convaincre. Ce monde d'aujourd'hui appartient à ces nouvelles techniques de communication qui lui ont formaté l'esprit de manière cartésienne. Pour s'adresser à ses pairs, nul besoin de prendre le téléphone ou d'aller leur rendre visite. Il lui suffit de rester sur place accroché à son précieux gadget ou scotché à son tout petit appareil. Un simple clic sur une souris très distraite, et c'est une ballade qui prend l'allure d'un long voyage qui ne connait aucune limite quant à sa navigation pour que le monde dans toute sa grandeur et diversité soit à sa portée, sous l'angle de perception qu'il aura préalablement choisi ou qu'il désire le voir.

C'est ce monde-là qui intéresse la nouvelle génération de nos jours. Ils ont cette capacité de rapidement déverrouiller l'écran de leur quotidien pour passer immédiatement à la navigation qui leur ouvre de nouveaux horizons. Ils ne restent jamais cloisonnés dans ces esprits anciens et claustrophobes, ou emprisonnés dans leurs croyances et illusions de certitudes.

C'est sur cette comète des grandes découvertes que se nichent justement les plus folles préoccupations quotidiennes de cette jeunesse qui cherche à mieux profiter des bienfaits de la science et des opportunités de son environnement. Vivre et consommer, voyager et découvrir le monde, se cultiver et s'inspirer demeurent des segments-clefs de sa vie quotidienne.

Les jeunes d'aujourd'hui attachent beaucoup d'importance au rêve. Ils rêvent de faire comme leurs aïeux : devenir utiles, s'inspirer de leurs combats pour marquer de leur empreinte la Grande et légendaire Histoire de la Nation, et surtout pour s'imposer à leur monde par la science et des projets novateurs.

Leurs référentiels sont autrement bien différents que ceux voulus par leurs aïeuls ou ceux qui leur sont imposés à la maison par les gouvernants du pays. Ils en ont marre de toujours poireauter dans cette grande salle d'attente d'une gare par laquelle ne passe pas ce train de l'espoir qu'ils désirent monter à son bord, pour y voyager au plus lointain espace de leur rêve le plus risqué, le plus fou et très envoûtant.

Dans les milieux familiaux, des opinions s'accordent à dire que les temps ne sont plus les mêmes, les personnes également. La différence réside, en fait, dans la propre certitude de chaque génération. Car le flou politique conjugué à l'ascension sociale imméritée aura supplanté les pourtant hautes valeurs de l'éducation et le grand mérite des sciences.

La trajectoire de la réussite sociale est, dès lors, tracée bien autrement. La société, désormais attachée à des concepts purement matérialistes, en faisait des prisonniers de « l'immédiateté ». Aussi, l'investissement dans l'esprit a tendance à devenir plutôt d'essence mercantile. Ce qui est en nette contradiction avec les connaissances acquises à l'école et inculquées à la maison. D'où d'ailleurs ce besoin pressant d'y mettre de l'ordre, afin de faire triompher nos ancestrales valeurs humaines. Les jeunes ne pouvaient accepter que leurs consciences soient sur surveillance et que leur pays soit otage d'une très valide gérontocratie.

Ils se sont tous dits : «le moment est donc venu de passer à l'offensive : Jetons-nous à l'eau, Dieu y pourvoira !» Ainsi fut donné le signal pour passer désormais à l'action, après que toutes les voies du dialogue avec le pouvoir leur furent fermées au nez. Sinon obstruées par des parasites qui veillaient sur la pérennité du système.

Ils voulaient que ce même système comprenne que leur long silence ne fut guère le symbole d'une perte de voix, ni même une résignation face à cette situation endémique de non-droit qu'ils ne pouvaient plus jamais encore supporter ou à tout le moins continuer à la cautionner.

Voilà pourquoi ce soulèvement populaire était, selon de nombreux observateurs, prévisible. Car, à la limite de l'insensé, il fut en quelque sorte vraiment provoqué par une société au bord de la dérive et une gouvernance tyrannique. Sinon comment expliquer cette avalanche de maladresses commises par la gouvernance du pays, si ce n'est que pour justement pousser la grogne citoyenne à son extrême ?

Et depuis lors, il y eut toute une cascade de mouvements d'une population, comme piquée dans son amour-propre pour se préparer à riposter, et par tous les moyens répliquer à ce qu'ils considéraient telle une insupportable humiliation. Aussi, le vent du changement a été tellement puissant qu'il a provoqué un violent séisme politique au plus haut faîte de la hiérarchie de la gouvernance du pays.

Aussitôt après l'apparition des premiers signes de la terrible tempête politique, voilà que le fleuve de la colère citoyenne, longtemps à sec, charrie toute cette marée humaine qui crie son mal à la face de ses gouvernants despotes.

La confusion régnait en maitre absolu des lieux. On y décelait un épais brouillard politique où l'improvisation le dispute à la précipitation. Et quand « le soleil a des pattes, c'est déjà le signe de la rage », dit-on. Le pouvoir était surpris par la très forte tempête. Fort diminué, il s'apprêtait à livrer sa dernière bataille, dans l'espoir de recouvrer ce territoire qu'il pensait perdu d'un seul coup.

Se sauver du présent ou rafistoler la vitrine de la gouvernance du pays avaient déjà montré leur limite. Ceux qui sont en charge de la chose publique s'étaient enfin rendu compte qu'ils ne pouvaient encore persister dans cette voie qui ne faisait qu'hypothéquer l'avenir des enfants de l'Algérie. Ils ne pouvaient voir l'écume du mauvais temps et ignorer la colère sourde de la houle qui gronde à l'horizon.

Mais face à ce très sérieux écueil, le fard politique avec lequel ils ont toujours maquillé leurs pratiques sournoises pour garder à jamais le pouvoir a fondu comme neige au soleil. Ils éprouvaient d'énormes difficultés à affronter le regard furieux de cette jeune génération survoltée et surexcitée. Fuyant la véritable solution, ils se rabattent sur la ruse politique, dans l'espoir de gagner du temps. Le peuple algérien est sorti manifester dans la rue, pour faire table rase sur un passé dont il a trop longtemps souffert le martyr. Il l'a fait pour remettre les conteurs politiques à zéro et repartir après d'un bon pied. Les manifestants qui ne crient pas très haut leur ras-le-bol en ont, eux aussi, gros sur le cœur. Leur silence en dit long sur leur terrible vécu, sur leur cauchemar qui dure encore dans le temps.

Ce peuple qui a investi la Rue avec une colombe dans une main et l'emblème national dans l'autre, était convaincu de pouvoir réaliser une Révolution joyeuse : celle-là même qui allait susciter l'admiration des peuples du monde entier. Il s'est retrouvé face à ces tenants du pouvoir qui avaient le couteau entre les dents, cherchant à lui voler la vedette en tentant de lui sacrifier son précieux trésor et beau volatile, véritable symbole de sa liberté, objet de fierté et raison de vivre.

Dans cette ambiance significative, festive et très répétitive, c'est la lame pourtant fuyante et très luisante du couteau, mais surtout assassine, froide et vraiment traitre, qui a grincé dans un tout dernier geste, pour refuser manifestement de quitter son étui.

La colombe, plus que jamais décidée à lui mener un combat des braves, sait qu'il est psychiquement incapable de lui faire la guerre. Dans un battement d'ailes somptueux, elle prend son envol et ses quartiers dans un ciel uni, nu et bleu azur, complètement lavé de ses nuages de la veille. Elle se met à chanter : liberté, paix, démocratie? !

Ces jours-là, il soufflait sur le pays comme un vent d'espoir. La brume politique, des semaines auparavant pâteuse et des plus compactes, s'est comme par enchantement dissipée de manière soudaine, pour laisser place à un ciel lumineux et très gai, paré de son beau et grand soleil.

Il soufflait, en cette première semaine de la grande démonstration, ce très furieux vent de contestation, tout à fait attendu et très perceptible, mais surtout violent et très profond, émis à gorge déployée par les jeunes générations et fusant de leur intime sentiment et grande conviction de changer sans tergiverser leur morose quotidien.

Le pouvoir ne semblait pas l'avoir pressenti. Il ne pouvait en être autrement. Et pourtant, il fut le mieux placé pour mesurer à quel point il a poussé à l'excès, en tentant contre toute logique ou décence politique, cette aventure suicidaire d'opter pour une « traditionnelle continuité » qui aura beaucoup nui au pays et au peuple algérien.

Pourtant, il ne fallait pas être sorcier pour deviner le sens du vent. Gratter ensuite le vernis permet déjà de monter dans le bon wagon. Et tout le reste n'est qu'une question de temps. Les premières loges sont plutôt réservées depuis longtemps aux plus entreprenants.

Et vinrent dans la foulée les clameurs tonitruantes d'une jeunesse assoiffée de liberté pour dire basta à l'ignominie faite à ce peuple et à sa nation par le fait de ces vilaines pratiques d'un système qui ne se soucie que de sa propre pérennité et intérêts personnels.

Il reste que le mouvement soutenu de la Rue a poussé cette gouvernance de fait à toujours jouer sur sa défensive, puisque prise au dépourvu. Il l'a irrémédiablement condamnée à se recroqueviller sur elle-même, à rentrer dans sa boule de cristal, pour jeter de temps à autre des ballons de sonde destinées à tester avec les véritables forces des foules compactes qui manifestent dans la Rue.

Il répond de vive voix à cette manœuvre sournoise de perpétrer un régime qui s'est imposé par la force des armes à un peuple qui ne pouvait totalement jouir d'une indépendance gagnée par le sacrifice de ses vaillants martyrs de la guerre de libération. Bouteflika en fut ce dernier rempart érigé contre la volonté du peuple. La sémantique de sa cooptation théâtrale intervenue sous forme de troc clandestin en 1999 en fut d'ailleurs un chef-d'œuvre du genre. Il fut réalisé à la perfection par cette boite noire du régime, qui depuis la mort du Cardinal Larbi Belkheir a cessé de faire dans cette prospective politique pour berner avec le peuple algérien au sujet de ses légitimes choix, perspectives et avenir.

Mais au bout de deux mandats présidentiels, le jeu fourbe savamment dissimulé devenait des plus attractifs et très plaisant à encore en profiter. Il fallait donc oser ! Et la pirouette était toute trouvée : lui laisser le temps de terminer ses chantiers déjà lancés, asseoir pour de bon la concorde civile, recouvrer à l'Algérie sa souveraineté et place privilégiée parmi les grandes nations du monde?

2008 est un vrai tournant dans l'Histoire du pays. Son président était parti pour durer. Dans les travées de sa cour, on commençait déjà à croire dur comme fer en cette impunité à bafouer les lois de la république et piller sans vergogne les innombrables richesses du pays.

Ce énième viol de la constitution fut suffisant pour faire changer de mentalité à tout le monde. Les plus opportunistes avaient déjà réglé leur montre sur ce nouvel état d'esprit dominant. De nouveaux comportements étaient apparus, depuis. L'oligarchie ne faisait que monter en puissance. Cependant, les choses allaient crescendo, et de mal en pis. Après cette criminelle forfaiture constitutionnelle opérée en vase clos, sous l'œil bienveillant et surtout consentant du conseil constitutionnel et de toutes les hautes institutions du pays, il y eut cette farce de trop qui allait imposer le mandat de la honte à un président grabataire et omnipotent.

Au lieu d'aller se soigner à l'hôpital et mourir en paix, le président, plus tard démissionné, voulait « mourir sur scène » ; c'est ce qui d'ailleurs n'a pas manqué d'écorcher la dignité et l'honneur des algériens. En jouant au héros qui cherchait après ces inutiles prolongations, il ne faisait qu'humilier le peuple algérien et sa légendaire Histoire.

Au fait, comment lui-a-t-on ouvert les portes du grand palais, lui dont tout le monde lui connaissait pourtant l'insoupçonnable habileté de flatter pour neutraliser, de séduire pour mieux conquérir, de suborner pour anéantir, et glorifier toute une nation pour tout juste en profiter pour soigner son égo ?

Tout le secret de la crise vécue présentement par le pays réside dans cette raison d'agir qui consistait à faire appel à ses services par ces mêmes responsables qui se sont pourtant très franchement opposés à lui, pour succéder au défunt Houari Boumediene à la tête de l'Etat algérien.

Tout ce discours désuet et éculé des tenants du régime ne peut proposer que des solutions en net déphasage avec des revendications citoyennes assez solides, aussi claires que franches pour être sérieusement perçues et interprétées sans la moindre difficulté. Et pourquoi pas des présidentielles dans le sillage de la transition ?

Voilà maintenant trois longs mois que la crise enfle jour après jour. Cette crise-là, les responsables en ont nié l'existence avec consistance et persistance. Sans la moindre pertinence dans leurs subtiles analyses et autres prévisions. Une solution concertée s'impose afin d'y mettre fin le plus rapidement possible.

Cependant, si le peuple a déjà indiqué à ses dirigeants la stratégie de sortie de cette crise, ses gouvernants ne font, au contraire, que manœuvrer dans le but d'habilement la contourner. Pensent-ils avoir trouvé en cet article 102 un instrument juridique de taille au service d'une tactique appropriée pour s'accrocher bec et ongle au volet constitutionnel comme possible solution de passage en force face à une crise qu'ils ont tout le temps ignorée ?

Mais ne le voilà-t-il pas venu le moment crépusculaire du régime, une fois complètement disparu l'aurore boréale de sa venue à ce monde ? Car tout système est condamné à connaitre son grand soir, comme il aura connu ses heures de gloire. Et les Grands Temples que les hommes du système auront mis de longues décennies à les ériger aux Dieux du moment, se mettront à abriter des démons ! Ainsi s'annonce leur fin qui mettra un terme à leur règne.

Aujourd'hui que les conditions semblent être réunies, les manifestants ont tout intérêt à redoubler d'efforts et de se battre pour le triomphe de la démocratie et des libertés. L'occasion est inespérée, et pour tout l'or du monde elle ne peut être ratée.

Durant plus de quatre-vingt-dix jours, les manifestants ont battu le pavé. Et le Hirak a gagné en confiance et en intensité. Il a réussi à renverser le pouvoir factice. À présent, il bute sur celui incarné par l'Etat profond. En ce moment, seule la face visible de ce pouvoir de l'ombre tente de communiquer avec le peuple. Mais à sa façon !

Il le réalise à travers ce discours désuet et éculé des tenants du régime qui ne peut proposer que des solutions en net déphasage avec des revendications citoyennes aussi claires que franches pour être perçues et interprétées sans la moindre difficulté.

D'où cette impossibilité de se mettre au diapason des évènements, en vue de répondre positivement aux revendications des populations ressassées chaque vendredi, et rappelées pour l'occasion tous ces mardis des marches estudiantines.

De plus, lors du 14e vendredi de manifestation, le pouvoir est passé à une gestion beaucoup répressive des manifestants. L'ampleur du déploiement des forces de sécurité au sein de la Capitale ainsi que le grand nombre d'interpellations laissent supposer qu'on est passé à une étape supérieure dans la répression des marches pacifiques.

Pour autant, la mobilisation populaire reste importante, car peu attentive au discours du pouvoir qui tend à altérer et noyauter sa composante pour diviser ses éléments et atténuer son impact. Elle se situe bel et bien en avance par rapport à cet esprit très ancien d'une gouvernance qui se trouve en hors-champ. La voie empruntée par les tenants de la chose publique reste obsolète et désuète. La solution qu'elle propose est de l'avis de ses concepteurs en net recul par rapport l'avancée remarquable enregistrée sur le plan politique par un Hirak qui a retrouvé une seconde jeunesse durant ce mois sacré du Ramadhan.

Elle est le symbole de ces échecs répétés qui se succèdent à un rythme endiablé. Elle s'inscrit dans un agenda qui n'est plus d'actualité. Sauf à tenter de recomposer avec les mêmes éléments qu'autrefois en vue de remettre sur selle le régime et faire pérenniser le système.

Avec ce drôle de fiasco des élections du leurre politique du 04 juillet 2019, le pouvoir a finalement échoué à imposer sa feuille de route. Tout comme il n'est pas aisé pour lui de trouver une suite heureuse à sa feuille de route qu'il ne manquera pas au passage de la remanier.

Son échec le condamne à irrémédiablement composer avec le Hirak une sortie concertée de cette crise au sein de laquelle se débat le pays. Le coup de force électoral ne fut qu'une vaine tentative du pouvoir, infructueuse et très problématique. Le vide constitutionnel qui se dessine en filigrane risque d'être plus profond que celui dont le pouvoir s'y est englué, pour tout juste échapper de répondre favorablement à l'appel de la Rue.

Ce qui signifie que les autorités politiques se sont accrochées à une issue qui n'est pas réaliste et féconde. Cet échec en soi n'est pas irréversible si tant est que la leçon soit bien apprise et soigneusement retenue. Que le désir de sauver la situation se démarque de cet égo à chapeauter la transition. L'option la plus réaliste pour sortir de la crise reste le dialogue franc et fructueux. Il faut y aller sans tarder. C'est dans l'intérêt de tout le monde.

Cette « solution constitutionnelle » aussi limitée dans sa portée et réelle efficacité n'est-elle pas adoptée dans l'unique optique de justement « fuir diplomatiquement » un règlement sérieux d'une transition démocratique à hauteur des défis politiques auxquels est confronté le pays ?

Face à un esprit très grand, un corps même fort, ne peut se mesurer, encore moins lui résister.

De nos rêves dépend notre avenir. Le Hiark en est d'ailleurs bien conscient. Voilà pourquoi il tient à son destin et s'accroche à son espoir.



Télécharger le journal