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Faut-il réformer le CDD en Algérie ?

par Azzedine Chaibi*

Cet article a pour but de mener une réflexion sur la loi 90-11 relative aux relations de travail, promulguée voilà plus de vingt-huit ans. Elle a mis fin à quelques règles fondamentales inspirées du statut général du travailleur (SGT). Parmi ces règles, et non des moindres, il y a celle qui a trait aux contrats de travail et à leur nature.

La loi 90-11 distingue les contrats de travail selon plusieurs critères : la catégorie des travailleurs, cadres dirigeants ou salariés, la durée hebdomadaire du travail, partielle ou pleine et enfin la durée du travail, déterminée ou indéterminée. Mais le type de contrat qui suscite le plus de controverses est le contrat à durée déterminée, pour des raisons évoquées tout au long de la présente analyse.

Même si la réforme du code du travail intervient souvent comme mesure d'accompagnement des réformes économiques, il est peut-être temps, après vingt-huit ans de mise en application, d'analyser et d'examiner les limites de la loi 90-11 dans sa globalité, sinon d'analyser le chapitre qui traite du contrat à durée déterminée. Cette analyse doit être faite à la lumière des difficultés que pose la mise en application des articles relatifs au contrat à durée déterminée que sont les articles 12, 12bis et 14. En l'absence d'étude rigoureuse portant sur la problématique du CDD en Algérie, il existe un faisceau d'indicateurs qui supposent des difficultés. Parmi ces difficultés, on peut citer la grève des enseignants contractuels1 d'il y a quelques mois, le contentieux engendré par les contrats à durée déterminée et leur reconduction quasi-systématique. Aussi, la grève des ingénieurs et mécaniciens d'Air Algérie qui s'est produite il y a quelques semaines2, est un exemple pertinent qui démontre que le contrat à durée déterminée engendre, par moment, de la colère et de la protestation. Cet exemple est pertinent d'autant que l'objet de la protestation des ingénieurs et mécaniciens fut, entre autres, la reconduction sans limites de leur CDD.

Le cadre juridique relatif au contrat de travail à durée déterminée avant 1990

Le 05 août 1978 fut promulguée la loi relative au statut général des travailleurs (SGT), qui fait office de traduction légale de la conception du statut du salarié dans une économie de type socialiste.

Par ailleurs, la mise en œuvre du statut général du travailleur a nécessité un ensemble de textes légaux pris en son application. Parmi ces textes, figure la loi n° 82-06 du 27 février 19823, relative aux relations individuelles de travail. Cette loi revêt un caractère particulier, car elle y consacre une partie non négligeable de son contenu au contrat à durée déterminée. D'ailleurs, un titre entier est consacré à la relation de travail à durée déterminée. Dans ce chapitre, la loi énumère expressément les cas pour lesquels l'employeur peut recourir aux contrats à durée déterminée. De plus, le chapitre, à travers les articles 26 et suivants, codifie la durée maximale qui ne peut être dépassée pour chacun des cas. Globalement, dans l'ensemble des cas, le contrat à durée déterminée ne peut dépasser six mois et ne peut être renouvelé plus d'une fois. Ceci signifie que la durée maximale d'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit le motif du recrutement, ne peut être supérieure à une année. L'article 28 précise que la reconduction de la relation de travail à durée déterminée de plus d'une fois, devient une relation à durée indéterminée.

La loi 82-06 prévoit quatre cas pour lesquels l'employeur peut recourir aux contrats à durée déterminée : Lorsqu'il s'agit d'un besoin temporaire, d'un remplacement temporaire d'un titulaire, d'activités à caractère temporaire ou saisonnier. Par conséquent, l'employeur peut recourir au recrutement à durée déterminée dans le cas où le salarié est appelé à exercer une activité temporaire ou saisonnière. Mais la loi fixe des règles pour ces deux cas, en définissant les termes de travaux temporaires et saisonniers, puis en fixant une durée maximale pour chacun des cas. Ces précisions sont énoncées dans l'article 31 jusqu'à l'article 36. Mais qu'il s'agisse du motif lié aux travaux temporaires ou saisonniers, le renouvellement du contrat ne peut s'effectuer plus d'une fois, sous peine de requalification du contrat de travail.

On peut légitimement s'interroger sur l'utilité de connaître les dispositions d'une loi abrogée. Mais, l'expérience acquise à l'épreuve du terrain montre que beaucoup de comportements, de situations et de pratiques tiennent leurs origines d'anciens textes, quand bien même ceux-ci sont remplacés, au fil du temps, par d'autres. Tous les professionnels de la gestion des ressources humaines ont entendu dire, par exemple, au moins une fois dans leur carrière, que pour pouvoir renouveler un contrat à durée déterminée, la rupture de la relation de travail, pour au moins un jour, est nécessaire. Ainsi, on pense à tort que l'élaboration d'un nouveau contrat de travail à durée déterminée, après rupture de la relation de travail ne peut être considérée comme un renouvèlement du contrat précédent. Bien entendu, cette pratique n'a aucun fondement, puisque d'une part, le texte auquel on se réfère, c'est-à-dire la loi 82-06, n'est plus en vigueur et d'autre part, la loi actuellement en vigueur ne fixe aucune limite en matière de renouvèlement du contrat à durée déterminée.

L'analyse de la loi 82-06 permet, par ailleurs, de mieux comprendre l'esprit de celle qui viendra l'abroger, c'est-à-dire la loi 90-11.

Le cadre juridique relatif au contrat de travail à durée déterminée après 1990

Le 21 avril 1990 fut promulgué la loi 90-11 qui a servi ?et sert toujours- de cadre de référence aux relations de travail. Elle est constituée de plusieurs titres dont le troisième qui est consacré, en partie, au contrat à durée déterminée. Mais contrairement à la loi 82-06, le contrat à durée déterminée n'est pas traité dans un chapitre ou un titre particulier. Les règles qui régissent le contrat à durée déterminée sont contenues dans un article, en l'occurrence l'article 12 qui stipule que «Le contrat de travail peut être conclu pour une durée déterminée, à temps plein ou partiel, dans les cas expressément prévus ci-après :­ lorsque le travailleur est recruté pour l'exécution d'un contrat lié à des contrats de travaux ou de prestation non renouvelables;­ lorsqu'il s'agit de remplacer le titulaire d'un poste qui s'absente temporairement et au profit duquel l'employeur est tenu de conserver le poste de travail; lorsqu'il s'agit pour l'organisme employeur d'effectuer des travaux périodiques à caractère discontinu; lorsqu'un surcroît de travail, ou lorsque des motifs saisonniers le justifient; lorsqu'il s'agit d'activités ou d'emplois à durée limitée ou qui sont par nature temporaires. Dans l'ensemble de ces cas, le contrat de travail précisera la durée de la relation de travail ainsi que les motifs de la durée arrêtée».

On voit bien que l'esprit de la précédente loi y est maintenu, en ce sens que le recours au contrat à durée déterminée reste subordonné à des motifs liés au caractère temporaire ou saisonnier des travaux. De plus, le contrat à durée indéterminée demeure la règle générale et le contrat à durée déterminée l'exception. Mais on notera aussi que le législateur a soigneusement évité de fixer des durées maximales à ne pas dépasser. Le contrat à durée déterminée devient alors un contrat sans limitation légale de durée, si bien que le législateur exige comme seule condition un motif légal.

C'est ainsi que beaucoup de sociétés se retrouvent à reconduire le contrat à durée déterminée ad vitam aeternam, au motif que la raison de l'embauche reste de mise pendant toute la durée des renouvellements. Mais un contrat de travail reconduit pendant plusieurs années est-il à encore durée déterminée ?

La durée maximale d'un CDD

On a vu que la loi 90-11 ne fixe pas de durée maximale au contrat à durée déterminée. C'est d'ailleurs la même idée qui prévaut dans le nouveau code du travail, qui reste encore au stade de projet. Même si le nouveau code du travail, en discussion depuis fort longtemps, apporte un début de solution en limitant le nombre des CDD à trois, la question de la durée maximale reste encore sans réponse. Et le terme de début de solution est utilisé à dessein, car la limitation du nombre de CDD ne signifie pas nécessairement sa limitation en durée. Ainsi, si la durée de chacun des contrats est, par exemple, de trois ans, l'employeur pourra embaucher en CDD le même salarié pour une durée totale de neuf ans. Or, un contrat à durée déterminée de neuf ans peut sembler paradoxal.

La question centrale, en ce qui concerne le cadre juridique relatif au contrat de travail à durée déterminée en Algérie est donc la suivante : Faut-il fixer une durée maximale au CDD ? Un bref regard sur les pratiques au sein de certains pays, comparables à l'Algérie à certains égards, montre que la durée maximale est fixée à chaque fois qu'il s'agit de contrat à durée déterminée. On est donc tenté de répondre à la question par l'affirmative.

Ainsi, la Tunisie, par exemple, prévoit une durée cumulée maximale de CDD successifs de quatre années4. De même, le code du travail du Maroc fixe la durée maximale du CDD à douze mois5. La législation française en la matière est encore plus édifiante. Elle prévoit des durées maximales pour chacun des motifs ayant présidé au recrutement en CDD. En France, globalement, le CDD ne peut pas durer plus de trente six mois6, et ce, quel que soit le motif.

Par conséquent, il est plus judicieux, à notre avis, de fixer une durée maximale au contrat à durée déterminée, plutôt qu'un nombre de contrats à ne pas dépasser. Toutefois, une exception peut être faite aux nouveaux chantiers dont la fin est incertaine.

Ce cas est d'ailleurs prévu dans l'avant-projet du code du travail non encore adopté7.

Si les difficultés d'ordre opérationnel ainsi que la comparaison des cadres juridiques régissant le contrat à durée déterminé dans certains pays montrent la nécessité de la refonte de la loi en Algérie, la jurisprudence milite, elle aussi, en faveur de cette refonte.

La jurisprudence en matière de CDD en Algérie

1. Le licenciement abusif avant l'expiration de la durée :

La compensation pécuniaire prévue à l'article 73 de la loi 90-11, en cas de licenciement abusif, ne peut être inférieure à six mois de salaire. Cependant, cette règle ne peut pas s'appliquer au licenciement abusif intervenant dans le cas du CDD. C'est un arrêté de la cour suprême datant de 2012 qui précise que dans le cas de la relation de travail à durée déterminée, la règle applicable est le code civil et non pas la loi 90-11. Bien évidemment, la compensation pécuniaire, dans ce cas, devrait être inférieure.

2. Le contrat de travail à durée déterminée et le préavis :

La notification au salarié de la fin du contrat de travail n'est pas une obligation incombant à l'employeur. C'est un arrêté de la cour suprême datant de 2014 qui précise que la loi n'oblige pas l'employeur de notifier au travailleur la cessation de la relation de travail à durée déterminée. L'argument de la cour suprême provient de l'article 66 de la loi 90-11 qui stipule que parmi les cas de cessation de la relation de travail figure l'arrivée à terme du CDD.

3. Le contrat de travail à durée déterminée à travers une convention collective:8

Dans une affaire datant de 2005, la cour suprême réaffirme le principe selon lequel seuls les motifs, expressément prévus par la loi 90-11, peuvent justifier le recours au CDD. La réaffirmation de cette règle fondamentale fait suite à une affaire dans laquelle un employeur a prévu, au moyen de la convention collective, le recrutement par voie de trois CDD successifs. La convention prévoyait également qu'à l'issue de l'expiration de la durée du dernier contrat, le salarié bénéficiera d'un contrat de travail à durée indéterminée.

Par conséquent, la cour suprême a considéré que les articles de la convention collective traitant du contrat à durée déterminée n'avaient pas de fondement légal.

Dans l'hypothèse où l'avant-projet du code du travail intégrerait des changements relatifs au code du travail, il est judicieux qu'ils tiennent compte des arrêtés de la cour suprême cités dans cet article.

Si l'avant-projet introduit comme seul changement, en matière de contrat à durée déterminée, la limitation du nombre de contrats, la réforme pourra être alors considérée comme partielle.

*DRH/formateur

Notes :

1- Sur le problème des enseignants contractuels, consulter l'article via le lien :http://www.algerie-focus.com/2016/04/marche-de-la-dignite-la-contestation-se-generalise/

2- Voir à travers le lien https://www.liberte-algerie.com/actualite/colere-des-mecaniciens-et-ingenieurs-dair-algerie-285150 , le cas des ingénieurs et mécaniciens d'Air Algérie.

3- Loi accessible en utilisant le lien : https://www.joradp.dz/FTP/Jo-Francais/1982/F1982009.pdf

4- Sur la durée maximale du CDD en Tunisie, consulter le lien : http://www.ilo.org/dyn/eplex/termdisplay.empContracts?p_lang= fr&p_ checkbox= Y&p_country=TN&p_all_years=Y&p _expandcomments= N

5- Sur la durée maximale du CDD au Maroc, consulter le lien : http://www.svp.com/article/quel-contrat-de-travail-au-maroc-100004533

6- Sur la durée maximale du CDD en France, consulter le lien : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vos droits/F31211

7- C'est l'article 25 de l'avant-projet du code du travail qui prévoit expressément les cas du recours au CDD.

8- Arrêté de la cour suprême accessible en utilisant le lien : http://lejournaldelemploi.dz/a-propos-de-trois-aspects-du-droit-de-travail-service-national-contrat-de-travail-a-duree-determinee-et-le-depart-volontaire



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