Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Cannes 1989

par Samir Farid

«En 2017, 70ème round du Festival de Cannes, cela fera cinquante ans que je couvre cet évènement. La première fois, c'était en 1967, j'avais 23 ans. Je n'ai pas raté une seule année entre 1971 et 2016, si bien que le Festival fait partie de ma vie et, si l'on additionne le nombre de jours que j'ai passés à Cannes, j'y ai vécu à peu près trois ans au total.

J'aime cette petite ville française, je la connais bien, peut-être aussi bien que ses habitants. J'y ai des souvenirs partout, tôtels, restaurants, cafés, rues et places. Je dois au Festival de Cannes une bonne partie de ce que je sais du cinéma mondial. Je venais d'Egypte, où seuls les films hollywoodiens étaient projetés, à une époque, avant la révolution numérique, où on ne pouvait voir les films que dans une salle de cinéma. À l'inverse, le Festival me doit une bonne partie de sa renommée en Egypte et dans le monde arabes puisque j'ai été le premier à le couvrir pour un quotidien cairote en langue arabe Al-Gomhuria, grâce à son directeur, le grand romancier Fathy Ghanem (1924-1999), qui décida de m'envoyer en France aux frais du journal en 1967.

À. cette époque, une chambre, petit déjeuner inclus, à l'hôtel PLM coûtait 13 Frans la nuit et l'on comptait sur les doigts de la main le nombre de journalistes et de critiques du monde arabe. Ils sont une centaine aujourd'hui.

1967 qui marquait les 20 ans du Festival de Cannes, fut réellement une année historique, d'un point de vue cinématographique. La programmation incluait des nombreux films qui allaient devenir des classiques et comptait d'innombrables réalisateurs parmi les plus grands.

C'était une année historique pour moi aussi qui quittais pour la première fois mon pays. Je vis en chair et en os des légendes telles qu'Antonioni, qui remporta la Palme d'or par Blow Up ou Vanessa Redgrave. Je dansais même avec Shirley MacLaine alors membre du jury, à l'occasion d'une de ces fêtes qui commencent après minuit dans un restaurant en plein air surplombant la baie et ne se terminant pas avant l'aube. Les étoiles pour moi étaient descendues sur terre. Les étoiles s'étaient incarnées. Le Festival se déroulait en mai. Le 5 juin éclatait la guerre des Six jours entre l'Egypte et Israël, qui devait se terminer par la défaite égyptienne. Cet évènement bouleversa radicalement ma vie et celle de tous les jeunes de ma génération. C'était la fin d'une époque bénie, du moins que nous croyions bénie (?).

Plus que tout autre, le Festival de Cannes écrit la chronique de l'histoire du cinéma, pas seulement à travers ses récompenses, mais grâce à toutes ses sélections, compétition officielle, Semaine de la critique, Quinzaine des réalisateurs. Le Festival relie le passé et le présent et fabrique le futur. Pour marquer le 100ème anniversaire du cinéma, 1989 célébra Chaplin, Cocteau, Dreyer et Gance de plusieurs façons. Dans mon article du 13 mai, je prédisais que Meryl Streel remporterait le Prix d'interprétation pour son rôle dans le film australien Un cri dans la nuit de Fred Schepisi; la suite me donna raison. Le 14, je prédisais que le film de Steven Soderbergh, Sexe, mensonge et vidéo remporterait la Caméra d'or. Le jury, présidé par Wim Wenders, et qui incluait Peter Handke, Héctor Babenco et Krzysztof Kieslowski, fut plus courageux que je ne le pensais. Le film reçut la Palme d'or, et son acteur James Spader le prix du meilleur acteur. (?)

Sur les rivages de Cannes, je rencontrai dans les années 1970 Lindsay Anderson pour son film O Lucky Man ( Le Meilleur des mondes possibles) en présence de Milos Forman. Je vis aussi Jean Eustache, dans son hôtel, pour La Maman et la Putain? J'ai rassemblé ces interviews ainsi que bien d'autres dans mon livre «Dialogues entre le cinéma arabe et mondial» paru en 1991.

Les Festivals répondent à un besoin permanent et réel. Au cinéma, comme dans tous les arts, le besoin de sélectionner la crème de la crème parmi des milliers d'oeuvres produites quotidiennement est réel. Le besoin de dialogues entre artistes, critiques et public est réel. Sartre plaçait la critique à la croisée des fois libertés: celle du créateur, celle du public et celle du critique. C'est à cela que servent les festivals».

(Texte de Samir Farid traduit de l'anglais par Carole d'Yvoire)

Le nombre de journalistes qui «couvrent» -comme on dit- Cannes est en constante évolution. Cette année pour la couverture du 70ème le compteur affiche 4000 journalistes - sans compter les 400 photographes postés en bas des marches. Les 2100 médias accrédités proviennent de 89 pays selon les chiffres fournis par le service de presse du Festival de Cannes.



Télécharger le journal