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Le ventre de la nature n'a pas horreur du vide

par Notre Envoyé Spécial A Cannes : Tewfik Hakem

Premier bilan des films vus dans les différentes sélections qui font la part belle aux thèmes écologiques.

Avant d'arriver au bout de cette 68ème édition, et donc du film de clôture «La Glace et le ciel» réalisé par Luc Jacquet (qui rem- porta l'Oscar pour «La Marche de l'empereur»), d'autres films se soucient du réchauffement climatique et de ses conséquences, mais à leur manière, c'est-à-dire sans en faire un sujet à thèse ou une conférence filmée genre chronique d'une catastrophe naturelle annoncée.

A commencer par «Petite Sœur», le très beau film japonais du non moins merveilleux Kore-Eda. Une histoire faussement légère sur trois sœurs qui vivent ensemble et qui décident d'adopter à la mort de leur père leur petite sœur née d'une autre mère. Chroniques d'une famille recomposée ? Certes, mais pas que. Cette chronique familiale est suspendue poétiquement à une autre, celle de l'éternelle recomposition de la nature. Le film se déroule dans la jolie petite ville balnéaire de Kamakura à une heure de Tokyo, ville que l'on connaît par cœur sans jamais y être allé car elle a beaucoup servi de décors naturels au supra-maître Ozu. Mais surtout «Petite Sœur» de Kore-Eda se déroule pendant «Sakura», joli terme qui désigne cette saison entre fin mars-début avril qui voit l'éclosion des cerisiers en fleurs. Kore-Eda filme Sakura comme si c'était la première et dernière fois, nous laissant seul face aux bonnes questions sur nos environnements.

On pourrait aussi préciser qu'en Egypte «Sakura» se dit Cham El Nessim, que tous les Egyptiens, toutes confessions confondues, fêtent depuis des millénaires. Ce jour-là, toutes les familles sortent dans les jardins et les parcs dès le lever du jour pour un pique-nique célébrant le retour du printemps. A l'époque des pharaons, on fêtait cet événement le jour de l'équinoxe de printemps car on pensait que ce jour marquait le commencement de la création. D'ailleurs ce sont les pharaons qui appelèrent cette fête Chamus, ce qui signifie « Résurrection ». Des siècles plus tard, Chamus est rebaptisée Cham par les coptes, puis on lui ajoute le mot Nessim pour faire référence à l'arrivée du printemps. Dans «Je suis le Peuple», le beau documentaire de Anna Roussillon (voir notre édition d'hier), on voit les villageois de la région de Louxor célébrer Cham El Nessim comme leurs ancêtres, sauf que cette fête qui annonce aussi la saison des moissons a aujourd'hui le goût amer de l'eau qui devient rare et polluée, et de la maffia du foncier qui ne respecte pas les dons de Dieu tout miséricordieux et puissant soit-Il.

Dans le très étrange «Sea of Trees» de Gus Van-Sant, un Américain décide d'embarquer pour le Japon pour se donner la mort dans une forêt gigantesque située au pied du mont Fuji et connue pour accueillir les aspirants au suicide venus du monde entier. L'allégorie est on ne peut plus claire et n'a pas besoin de dessin. Plus explicite, «El Abrazo de la Serpiente» de Ciro Guerra nous entraîne dans la jungle amazonienne à la recherche d'une fleur magique aux puissants pouvoirs hallucinogènes. Abonnée au Festival de Cannes, la Japonaise Naomi Kawase a une filmographie qui célèbre la nature et les éléments tels que l'eau, la végétation et les astres -le soleil en premier. Dans son dernier opus, «An», elle nous révèle l'existence d'une autre forêt japonaise qui a servi longtemps et jusqu'à une période très récente de camp de réfugiés lépreux. Le film narre les affinités naissantes entre un restaurateur mutique et dépressif et une vieille pâtissière de talent et ancienne lépreuse. La vieille est spécialisée dans le confit de haricot rouge, farce des dorayakis ces petites crêpes fourrées que les Nippons adorent déguster. Le message gros comme un chêne millénaire dit que le goût culinaire ne va pas sans celui de célébrer la nature, la forêt, la lune et le soleil, et encore et toujours les cerisiers en fleurs comme le dernier signe que peut-être tout n'est pas encore totalement détraqué...

Enfin, dans «The Lobster», le Grec Yorgos Lanthimos nous entraîne dans une forêt menaçante pour une fable un peu délirante où les célibataires sont changés en animaux s'ils n'arrivent pas à trouver leur moitié. De deux choses l'une, soit on a rien compris à ce film (peut-être une critique de la dictature de la normativité sociale?), soit on a beaucoup dormi durant la projection. Mais la conclusion de ce papier de fond (volontairement léger pour des raisons écologiques) ne change pas pour autant: oui, on préfère manger des crêpes fourrées à la loubia hamra avec une vieille lépreuse japonaise qui connaît et respecte la nature que de partager une infecte pizza à la mayonnaise avec un jeune et beau quidam algérien qui reste indifférent quand les autorités de son pays déciment d'une manière systématique les rares arbres qui restent encore debout.



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