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Rencontre avec Emmanuelle Bercot, réalisatrice du film d'ouverture «La Tête haute»: LES ENFANTS PERDUS DE LA REPUBLIQUE

par Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem



Soudain, quelle sensation étrange ! C'est comme si entre le Cannes de l'année dernière et celui-ci qui vient de commencer, il ne s'était pas écoulé une année. «La Tête haute» d'Emmanuelle Bercot ouvre en hors compétition cette 68e édition et on a tout de suite l'impression que c'est une variation du monumental film de Xavier Dolan «Mommy» qu'on aurait vu la veille. Sans doute parce que les deux films ont la même thématique, presque la même histoire et quasiment le même personnage central: un jeune adolescent délinquant.

Mais là où le jeune Québécois nous emportait avec sa mise en scène virtuose (prix partagé avec Godard l'année dernière), sa grande cousine française opte pour une certaine humilité qui ne fait pas de mal à son film, bien au contraire. «La Tête haute» suit la dérive violente, de ses 6 à ses 18 ans, d'un jeune voyou issu de la working class prolo, cela va sans dire, à travers la relation qu'il entretient avec une juge pour enfants (Catherine Deneuve, bien) et l'éducateur chargé de sa réinsertion (Benoît Magimel, aussi). Film psychologique mais sans prise de tête, politique mais fort heureusement dénué de morale sentencieuse, «La Tête haute» a la qualité de tous les défauts qu'il a su éviter. Autrement dit, comparé aux mélodrames sociologiques destinés aux festivaliers en nœud pap', par exemple les films à palmes des Frères Dardenne (si bien écrits et réalisés) ou donc du dernier Xavier Dolan (tellement bouleversant), «La Tête haute» d'Emmanuelle Bercot passerait pour un téléfilm. Ce qui lui confère une petite fierté du pauvre, tout à fait synchrone avec son sujet, ce qui ne nous déplaît pas.

Le Quotidien d'Oran: Le critique de cinéma Gérard Lefort a déclaré à propos de «La Tête haute» que c'est un grand film politque (1). Etes-vous d'accord avec cette formulation ?

Emmanuelle Bercot : En tout cas, ça m'honore, je n'ai pas délibérément eu l'intention de faire un film politique, mais par la force des choses et aussi en regard de ce qui s'est passé en France en début d'année, le film a acquis une dimension politique, car le film parle du rôle de l'éducation dans notre société. Tout enfant a le droit d'être éduqué et si la famille ne peut pas, c'est à la société de le faire.

Q. O.: Qu'est-ce qui vous a donné envie de traiter de ce sujet ?

E. B.: C'est lié à un souvenir très lointain parce qu'il remonte à l'été de mes 8 ans. J'ai un oncle qui était éducateur de la protection de la jeunesse, comme Benoît Magimel dans le film. Un jour, il m'a invitée à passer une journée à la plage en Bretagne où il était avec ses jeunes et ça m'a marqué. L'enfant aisé que j'étais prenait conscience de la chance que j'avais, car ces gamins qui avaient mon âge étaient déjà abîmés par la vie et sans éducation. En même temps, en tant que petite fille bourgeoise, j'étais naturellement attirée par leur côté rebelle, indiscipliné. J'ai découvert en même temps le travail des éducateurs qui étaient avec mon oncle.

Ce souvenir ne m'a jamais quitté et cela fait 10 ans que je voulais faire un film autour du trio jeune délinquant/juge pour enfant/éducateur. Et quand pour les besoins du film j'ai rencontré les juges et les éducateurs, j'ai été sidérée par l'engagement, la foi qu'ils ont de leur métier, la patience et l'opiniâtreté qu'il faut avoir pour assurer au quotidien ce travail, parce que ni vous ni moi on ne tiendrait 5 minutes avec ces jeunes, c'est très dur, ces gamins ont souvent eu des histoires très douloureuses, ils peuvent être souvent ingrats, violents.

Q. O.: Vous avez mis 5 ans à préparer ce film, qu'est-ce qui était le plus difficile à affronter ?

E. B.: J'ai regardé beaucoup de reportages sur le sujet, lu tout ce qui a été écrit, j'ai longtemps fait le tour des centres de rééducation. Cette imprégnation du réel était indispensable, car même si «La Tête haute» est un film de fiction, je voulais qu'il soit documenté.

Q. O.: Comment avez-vous réagi quand vous avez vu, l'année dernière, le film de Xavier Dolan «Mommy»?

E. B.: J'ai adoré, cela va sans dire. Et en même temps, c'est vrai que la première fois, j'ai un peu paniqué car le gamin de «Mommy» est exceptionnel, et dans le film de Xavier Dolan, il va loin dans la violence. Mais mon film était déjà tourné et ce sont en fait deux gamins différents. Le lien entre les deux films, ce n'est pas le gamin, mais le personnage de la mère toxique.

(1). A écouter toute la série «Cannes Etats-critiques» avec Gérard Lefort en podcasts disponibles

sur ITunes et sur le site franceculture.fr, à la page de l'émission «Un Autre Jour Est Possible».

Vous pouvez aussi participer à un jeu et gagner des DVD de films primés à Cannes.



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