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SLIM, LE FESTIVAL DE CANNES ET MOI

par Tewfik Hakem



Slim, accompagné de son épouse et de plusieurs dessinateurs du monde a fait sa première montée des marches. Le célèbre dessinateur des premiers héros de la bande dessinée algérienne (Zid ya Bouzid, Zina, El Guet M'digouti...) figure dans le documentaire «Caricaturistes, fantassins de la démocratie», initié par le réseau Cartooning for peace de Plantu and co, projeté en séance spéciale dans le Grand Théâtre Lumière de Cannes.

On ne pouvait imaginer un plus beau cadeau pour les 50 ans de Bouzid, euh oui déjà!, le héros national de la Bd algérienne: son créateur Slim est au Festival de Cannes, et toute la presse internationale veut le rencontrer. Slim, de son vrai nom Menouar Merbatène, né à Sidi Bel Abbès, a réservé sa première interview au «Quotidien d'Oran». C'était la moindre des choses...

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Lors de la montée des marches tu portais le smoking/papillon de circonstance et la femme de ta vie t'accompagnait en robe de soirée. Franchement tu aurais pu opter pour la gandoura et le bâton de Bouzid et de demander à ton épouse d'enfiler le haïk mrama de Zina ?

- SLIM: Jamais, tu es fou... Mais je suis très content de mon costume made in Turkey que j'ai acheté à Ben Aknoun.

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Alors heureux d'être au Festival de Cannes ?

- SLIM: C'est une grande surprise, jamais je n'aurai pensé un jour foulé de mes pieds le tapis rouge de Cannes. Et puis être mitraillé par les flashs des photographes ça fait quand même un drôle d'effet, c'est quand même une expérience à vivre, surtout quand on sait qu'elle ne se reproduira plus (rires). Je n'imaginais pas que c'était comme ça Cannes, des centaines de milliers de fourmis qui travaillent dans tous les sens, des montagnes d'argent, des centaines de reporters, des producteurs déguisés, des peaux bananes, c'est un monde extraordinaire, une machine incroyable et d'ailleurs rien ne m'interdit de faire venir Bouzid à Cannes. Dans la dernière aventure sur laquelle je planche actuellement, Bouzid, dégouté par ce qui se passe en Algérie, décide de quitter le pays et devient «harrag» pour rejoindre l'Europe via l'Espagne. Ensuite il va retrouver Paris...

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Est-ce que Slim partage les désillusions de son héros Bouzid ?

- SLIM: Totalement, c'en est fini de l'Algérie dont nous rêvions au début des années 60. Avant quand il n'y avait que des pénuries on était quand même heureux, le manque de tout nous faisait rire et nous inspirait. Il y avait des queues partout mais au moins les gens étaient unis par les queues (rires). Souvent je rencontre des gens qui me disent «Avant y avait rien mais c'était bien»... l'Algérie c'est devenu l'Irak et vice-versa, avec des attentats de temps en temps, un peuple de mangeurs de pizza et de femmes voilées en noir, aujourd'hui je me sens comme un touriste là-bas. Et quand je vends mes bandes dessinées je reçois que des jeunes gens affables qui me disent «je viens acheter «Bouzid» mais pour mon père ou pour ma mère»... Mais bon, c'est la vie.

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Peux tu me raconter ton déjeuner avec Gilles Jacob, y avait qui et on vous servait quoi ?

- SLIM: Plein d'acteurs connus, autant de visages familiers dont les noms m'échappaient comme par hasard, et sans doute des metteurs en scènes tout aussi célèbres... Par exemple, ce n'est qu'à la fin du repas qu'on m'a dit que mon voisin était Roshdy Zem, je me disais bien que j'avais déjà vu sa tête quelque part. Mais enfin, je dois dire que ce qui m'a le plus impressionné c'est la bouffe. Quel banquet! Et attention pas genre traiteur de luxe, mieux que ça! De la gastronomie haute voltige avec un chef étoilé qui est venu nous parler. Au dessert je lui ai demandé quelque chose de doux et de mou, il est revenu avec une coupe dans laquelle il y avait un baba au Rhum avec une pipette pour aspirer le rhum, c'était très bon. Bravo le Festival de Cannes.

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: As-tu profité de cet excellent Leben qu'on sert dans des coupes lors des fêtes cannoises ?

- SLIM: Non, car à mon âge il ne faut pas abuser de Leben (rires)

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Parlons cinéma, on est à Cannes. Tu as fais des études de cinéma à l?indépendance, comment es-tu devenu dessinateur par la suite ?

- SLIM: C'est une histoire de désillusion, jeune j'étais bercé par le cinéma, j'ai toujours adoré ça. Quand j'ai eu l'opportunité de faire des études de cinéma en 1964 à Ben Aknoun, j'ai sauté sur l'occasion et c'est là que j'ai rencontré Merzak Allouache, Sid Ali Mazif, Debboub Yahia, et beaucoup d'autres. Je me suis spécialisé dans l'image, c'est ce qui me passionnait le plus, mais très vite je me suis rendu compte qu'un chef opérateur ne devait qu'exécuter les envies des metteurs en scènes, et comme certains d'entre eux étaient déjà débiles je me suis dis fuyons... Je me suis dirigé vers le cinéma d'animation et on m'a envoyé en formation en Pologne, dans les studios Filmov Rysunkove à Biasko-Biala, non loin d'Aushwitz où j'ai rencontré un grand maître du cinéma d'animation M. Nehrebtski, un génie d'une humilité incroyable. Quand je suis rentré en Algérie je me suis vite rendu compte que personne ne voulait me faire travailler, il faut dire qu'à cette époque même la France ne s'intéressait pas aux films d'animation, un peu en Belgique où on faisait chez Bellevision les premiers Tintin animés, mais c'est tout. Il me restait heureusement le dessin, et la bande dessinée... D'ailleurs c'est Merzak Allouache qui m'a soufflé l'idée de ma première bd «Moustache et les frères Belgacem» c'était l'époque où venait de sortir «La Bataille d'Alger», film sacralisé, et il m'a proposé d'en faire une parodie déguisée... J'ai fais donc ma propre bataille d'Alger en rendant hommage aux bordels de la Casbah, je les ai tous cités, mais j'ai remplacé bordel par hôtel, seuls les initiés pouvaient comprendre...

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Tu as aussi réalisé quelques affiches de cinéma cultes pour des films qui le sont devenus plus ou moins, je pense à «Omar Gatlato» de Allouache, et à «Leila et les autres» de Sid-Ali Mazif.

- SLIM : Oui, mes anciens camarades de l'Institut de cinéma continuaient à me demander de travailler avec eux. J'ai mis 20 jours pour faire l'affiche de «Leila et les autres». J'ai fais un petit film sur l'affiche de «Leila et les autres», genre une plongée dans l'affiche, une promenade pour saisir tous les détails. On peut trouver cette vidéo sur Youtube.

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: J'adore aussi l'affiche de Omar Gatlato, surtout le fond très violet très pop-art mais j'ai appris dernièrement que le fond n'était pas voulu.

- SLIM: Non, pas du tout voulu (rires). A l'origine il y avait derrière les deux protagonistes principaux du film joués par Boualemn Benanni et Aziz Degga, la Casbah toute déglinguée, Alger avec les poubelles avec les clochards. A l'ONCIC, les reponsables qui étaient mi-flics mi-bureaucrates m'ont demandé de camoufler l'arrière fond. Ceci dit, l'année dernière Allouache m'a commandé une fois de plus, près de 40 ans après Omar Gatlatou, de lui réaliser l'affiche de son dernier film «Les Terrasses», cette fois ce sont les producteurs français qui l'ont refusé car, selon eux, elle ne reflétait pas assez le côté dramatique du propos. Tant pis, je pense qu'ils auraient pu gagner plus d'argent avec mon affiche qu'avec le film (rires)... Non, je rigole, mais je me souviens que l'affiche de «Leila et les autres» que tout le monde aime aujourd'hui a plutôt desservi le film à sa sortie, le public pensait qu'il s'agissait d'une comédie et il ressortait quelques minutes après quand il découvrait le caractère syndicaliste et militant du film (rires)

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Quel genre de cinéma tu aimes ?

- SLIM: Les films des frères Coen, la plupart sont disponibles dans ma tablette, sinon les films noirs de Fritz Lang, d'Hitchcock, et en Algérie, j'adore «Noua» de Tolbi, le plus grand film algérien de tous les temps, et aussi les «Aventures de l'Inspecteur Tahar», qui était mon collègue à la télévision...

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Dilem, membre de Cartooning for peace, n'est pas dans le film de Plantu: «Caricaturistes, fantassins de la démocratie». C'est toi qui le remplace cette fois, pourquoi ?

- SLIM: Quand Plantu m'a appelé c'est ce que je lui ai dis toute de suite, «tu as Dilem dans ton écurie moi je ne suis même pas membre de ta fondation». Il m'a répondu que Dilem est devenu ingérable et qu'il a été insupportable lors du dernier festival de Cannes. Il m'a alors tarabusté pour que j'accepte de figurer dans son film, finalement j'ai accepté de tourner quelques scènes, ça m'a permit de venir à Cannes et de voir comment ça se passe de l'intérieur.

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Tu as plus de détails sur le divorce entre Dilem et Plantu ?

- SLIM : Oui, mais off-record.

- LE QUOTIDIEN D'ORAN: Alors terminons vite cette interview, un commentaire sur la nouvelle ministre de la culture, Mme Nadia Chraïbi ?

- SLIM: J'espère qu'elle va continuer le travail de Khalida, car moi je ne crache pas dans la soupe et je ne suis pas du genre à oublier les gens qui m'ont aidé. Mon prochain album des aventures de Bouzid, «Le Mur», dont l'impression est fiancée par l'ONDA je n'ai pu le faire que parce que Khalida a dû intervenir en personne pour que je puisse récupérer mes droits d'auteur... Je la salue et je souhaite bon courage à la nouvelle.

- A lire: «Slim, le Guat et moi» de Omar Zelig (Dalimène Editions)

- A ne pas voir: «Caricaturistes, fantassins de la démocratie»

- A surveiller dès septembre: «Le Mur» dernier album des aventures de Bouzid par Slim



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