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Chroniques des années d'absence

par T. H.

LA 67ÈME EDITION DU FESTIVAL DE CANNES S'OUVRE CE SOIR. TRÈS ATTENDUS, LES DERNIERS FILMS DE MOHAMED LAKHDAR-HAMINA, POURTANT PALME D'OR EN 1975, ET DE LIÈS SALEM, N'ONT PAS ÉTÉ RETENUS. TENTATIVE D'EXPLICATION D'UNE SI LONGUE ABSENCE DU CINÉMA ALGÉRIEN EN SELECTION OFFICIELLE CANNOISE.

Qualifiée pour la coupe du monde de football, l'Algérie sera présente au Brésil et nous avec. Enfin une équipe nous représentera, nous, et nous fera exister avec les autres terriens, ce n'est pas rien. Même si cela ne doit durer que le temps de quelques matchs, car on sera sans doute les premiers à être éliminés on le sait bien, mais au moins, pendant ce laps de temps court, on va exister aux yeux du monde et avec le tout le monde. Et c'est important.

Mais avant juin, il y a le joli mois de mai, le mois de la coupe du monde annuelle des films de cinéma. Et dans cette autre compétition hautement symbolique, cette année, une fois de plus, encore une fois, l'Algérie a été disqualifiée par tous les sélectionneurs du Festival de Cannes (zéro film algérien, toutes sélections confondues.

Pas simple de faire un petit pont entre les deux évènements : comment trouver les mots pour dire sans trop faire rire que le cinéma c'est au moins tout aussi important que le foot?

Les raisons de la disparition progressive de l'Algérie de la carte du cinéma-monde sont principalement à chercher du côté algérien (absence de volonté politique pour aider au développement d'une industrie cinématographique, refus obstiné des autorités d'ouvrir le champs audio-visuel, financements publics conditionnés par une quasi allégeance au pouvoir politique en place, et pour faire vite, les rares talents dans le domaine sont sommés de choisir entre la valise ou l'alcoolisme).

Pourtant, par on ne sait quel miracle, des films algériens continuent à se faire dans ce contexte particulièrement hostile. Des films de commande voulus par le régime en place, d'autres films qui se font sans l'aval de ce même régime mais plus ou moins financés par lui, et plus ou moins tolérés à leurs sorties; des films co-produits avec la France qui a une enveloppe pour maintenir un semblant de coopération avec ses anciennes colonies ; et enfin même des vrais films de cinéma, SOUVENT bricolés avec ruse. S'il y a incontestablement des films algériens, il n'y a pratiquement plus de lieux pour les montrer en Algérie. Quant à la politique du «rayonnement de la culture algérienne » à l'étranger, il n'y a pratiquement personne pour faire voir les films, les défendre, les vendre.

Aujourd'hui l'homme cinéma de l'Algérie de Mr Bouteflika et de Mme Toumi, l'ex-ministre de la culture, est Mr Ourif. A travers «l'agence» qu'il préside, l'AARC (L'Agence Algérienne pour le rayonnement culturel), Mr Ourif, entre autres taches et budgets à gérer, a pour mission de faire «la promotion de la cinématographie algérienne dans le monde et l'accueil en Algérie des filmographies étrangères».

Le moins que l'on puisse dire c'est que Mr Ourif n'a pas pu défendre les derniers films de Lakhdar-Hamina, «Le Crépuscule des ombres» et le deuxième long-métrage de Lies Salem «El Wahrani», refusés tous les deux par le festival de Cannes.

Selon nos informations, Mr Ourif a bel et bien tenté d'imposer les films en question. Mais en utilisant le réseau diplomatique classique, comme cela ne se fait plus depuis au moins la fin de la guerre froide. Drôle de méthode qui renseigne sur la culture du responsable: au lieu de développer des vrais liens avec les acteurs du cinéma et les festivals du monde entier, M. Mustapha Ourif préfère passer par les circuits officiels qui ne mènent visiblement à rien.

Les incompétences algériennes expliquent en partie l'absence chronique du cinéma algérien à Cannes, mais sans doute pas tout. Au festival de Cannes, contrairement à la coupe de foot, il semblerait que les règles ne soient pas les mêmes pour tout le monde. La subjectivité s'invite mais pas que. Arrivé à un certain stade d'étonnement il est tout aussi nécessaire de questionner la politique arabe du festival de Cannes. Donc, cette année les deux seuls films arabes retenus en sélection officielle sont «TIMBUKTU» du réalisateur mauritanien Abderahmane Sissako (en compétition) et le documentaire du syrien Mohammed Ossama «Eau Argentée» (hors compétition). Au programme donc l'actualité, le Mali et l'islamisation, la Syrie et la guerre civile. De même que l'année des révolutions arabes, le Festival de Cannes avait mis en compétition officielle des films en prise directe avec l'actualité certes, mais d'une qualité on ne peut plus discutable. «A Cannes, quand tu es un cinéaste arabe, tu n'es pas là en tant que cinéaste avec ton propre univers, tu es contrait à représenter ta région, ta cause» soupire Nadir Moknèche qui a vu ses quatre longs-métrages refusés par les différentes sélections du Festival de Cannes.

Pas d'amertume dans les propos de l'auteur de «Viva Laldjéri» et de «Délice Paloma», juste un constat dit-il et surtout une envie de voir les choses évoluer : «Le public français a évolué puisqu'il se déplace pour voir des films venus du monde entier, la critique française a évolué puisqu'on est traité comme des cinéastes à part entière, mais pas les festivals. Et c'est dommage, car on a vraiment besoin de cette rampe de lancement qu'est le Festival de Cannes» confie-t-il.

Le cas Moknèche à Cannes est intéressant à plus d'un titre. Que son premier film «Le Harem de Mme Osmane» ait été refusé, après tout, rien de bien extraordinaire, sur les 2000 films vus par an en moyenne, seuls 50 sont retenus au final. Le second, «Viva Laldjéri» a un temps retenu l'attention du comité de sélection dirigé par Thierry Frémaux, le délégué général, avant d'être finalement écarté pour une raison qui peut se défendre: «fallait-il prendre le risque de représenter l'Algérie par un film qui fait parler les Algériens entre eux en français?», le troisième film de Nadir Moknèche «Délice Paloma» a été longtemps dans la liste des films susceptibles d'être retenus. Quelques heures avant l'annonce officielle du programme, la productrice du film reçoit la mauvaise nouvelle et s'effondre. Pour le réalisateur qui voulait offrir à son actrice fétiche Biyouna le tapis rouge de Cannes, le coup est dur, mais ce coup sera démultiplié l'année d'après quand il apprendra que Biyouna ira à Cannes avec d'autres actrices arabes pour présenter le film «La Source des femmes» de Radu Mihaileanu. Que ce film soit au mieux médiocre tout le monde semble à peu près d'accord, mais il a eu l'avantage de faire défiler sur le tapis rouge des actrices arabes venues de partout, dont certaines, françaises, ont déjà une notoriété glamour et cinéma (Leïla Bekhti et Hfsia Herzi). On pense d'abord au tapis rouge, aux femmes du village qui viendront en tenues traditionnelles, et à la fantasia folklorique qui s'improvisera au pied des marches du Palais. On peut comprendre les motivations du Festival de Cannes mais on préfère soutenir ceux qui n'ont qu'un bon film à montrer. Que ce film soit étrange ou étranger à son pays d'origine après tout peu importe. Le meilleur de Cannes reste la politique des auteurs que les sélectionneurs revendiquent et appliquent à (presque) toutes les cinématographies du monde.



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