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Vers un nouvel ordre monétaire international : Ajustements, crises et douloureuses mutations

par Medjdoub Hamed *



Suite et fin

Ainsi, par les achats de bons de Trésor et des obligations s éligibles et non éligibles, des dettes publiques, la FED, la BCE, la Banque d'Angleterre et du Japon Banques centrale européenne ajustent, grâce aux liquidités fournies à leur système bancaire, leurs taux de change sur les marchés dans une fourchette concertée entre les deux parties. De plus, ces pays soutiennent, grâce aux liquidités injectées, les prix des produits à la consommation (subventions), ce qui explique la faible inflation que peuvent susciter ces émissions. Evidemment, ces injections monétaires se traduisent par une hausse de l'endettement des pays A et B.

Pour les pays du groupe C, la situation est différente. Les excès des liquidités qui ne sont pas « absorbés » dans les transactions internationales, se « logent » dans les prix du pétrole et des matières premières. Le prix du baril de pétrole dépasse aujourd'hui les 100 dollars. Une hausse qui s'est étendue aux autres produits de base. Ce qui a suscité une spirale inflationniste dans les pays C. L'Afrique, l'Asie et l'Amérique du Sud sont confrontées à une « spirale inflationniste de hausses des prix des matières premières et alimentaire-hausses des salaires ». Ce qui explique d'ailleurs la prudence des banques centrales européennes et américaines dans l'assouplissement quantitatif. S'ils tirent trop sur la corde monétaire, les « quantitative easing » se traduisent par une crise pétrolière et alimentaire dans le monde. A l'été 2008, le baril de pétrole a atteint 147 dollars, et tous les prix des matières premières et alimentaires ont connu une hausse similaire. D'ailleurs une grave crise politique est survenue dans le monde musulman, le « Printemps arabe ». Le mal-vivre, le chômage? et la brusque hausse des prix des produits de base de consommation a terminé le reste. Ces craintes poussent les autorités monétaires à imposer aux Etats européens, américains? des cures d'austérité dans le but évident de diminuer la pression sur les quantitative easing que les gouverneurs centraux ne cessent d'avertir qu'ils ne sont qu'un soutien. Que la réduction des déficits budgétaires et commerciaux doit s'opérer et, bien sûr, passer surtout par un gain de compétitivité face aux pays émergents. Ce qui est difficile à regagner, vu l'écart, et ne peut que passer par un processus lent et douloureux. Pour les pays A et B, il y a peu d'alternatives. Les grands travaux publics (politiques keynésiennes) sont difficiles à mettre en œuvre pour la simple raison qu'une grande partie des capitaux injectés vont d'abord soutenir la protection sociale, financer les déficits commerciaux, acheter la dette des Etats défaillants, etc.

Imaginons maintenant que cette spirale d'assouplissement monétaire quantitatif commence à susciter des interrogations dans les pays C. « Combien de temps les Banques centrales des pays A et B doivent recourir à l'assouplissement monétaire quantitatif » ? Certes ces liquidités injectées, en soutenant les économies des pays A et B, i.e. les États-Unis, l'Europe et le Japon, favorisent aussi le commerce mondial. Les pays C, i.e. la Chine, la Russie, les pays arabes exportateurs de pétrole, etc., continuent d'accumuler des réserves de changes issues précisément de ces liquidités. Et ces réserves de changes sont converties en bons de Trésor américain, européen, etc., parce qu'ils offrent plus de sécurité mais aussi pour les pousser à importer des produits chinois, du pétrole, etc. Cependant le problème de « soutenabilité des dettes publiques pour ces pays va se poser un jour », et une hausse continue des dettes publiques ne peut que nourrir de la défiance. Les risques sur les investissements souverains opérés par la Chine, la Russie et les pays arabes sont réels d'autant plus qu'ils sont libellés en dollars et en euros qu'il ne tient qu'à la FED et la BCE d'en émettre. Le risque est qu'ils se feront à terme « rembourser par l'inflation ».  

Imaginons qu'un noyau dur des pays C émerge. Très compétitif, ce noyau représente les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Appelons-le D. Comme on l'a déjà dit, il surpasse les pays A et B dans le commerce international.

Imaginons encore un autre pays, le plus puissant du groupe D, i.e. la Chine. Appelons-le E. Non seulement ce pays est l'atelier du monde, mais il cherche à se parer des aléas des monnaies des pays A et B. Par le troc, l'usage des monnaies nationales, l'achat de l'or, l'acquisition des parts d'entreprises et partenariats avec des sociétés étrangères (gazières, pétrolières, etc.), des investissements dans des concessions minières, de terres agricoles pour de longue durée, une diversification des réserves de changes, il s'emploie à diminuer la part du dollar et de l'euro dans ses réserves de changes et ses transactions commerciales. Ce pays E, i.e. la Chine, est conscient que, malgré son statut de deuxième puissance économique dans le monde, sa dépendance sur le plan monétaire à l'égard de l'Occident n'en fait de lui qu'une puissance économique « dominée » et ses réserves de change accumulées resteront toujours dépendantes de la valeur que la FED et la BCE leur auront attribuée. C'est la raison pour laquelle la Chine a accéléré l'internationalisation de sa monnaie. Plus encore, elle cherche même à facturer ses importations de pétrole et de matières premières en yuans ? elle le fait déjà avec certains pays ? dans le but évident, lorsque le yuan devient une monnaie internationale, de partager le privilège du dollar, en tant qu'unité de compte internationale.

Dès lors, la Chine aura à pratiquer les politiques monétaires d'assouplissement quantitatif, comme les quatre grandes puissances monétaires. Ce qu'elle ne peut faire aujourd'hui, avec son yuan «dirigé» et «sous-évalué». Si la Chine arrivera à mener à son terme l'internationalisation du yuan, la configuration économique, financière et monétaire du monde changera fondamentalement. Aucune puissance monétaire ne pourrait alors pratiquer une « politique monétaire non conventionnelle ». La raison est simple, les assouplissements quantitatifs menés par les quatre puissances (États-Unis, zone euro, Banque d'Angleterre et du Japon) et la Chine seraient pratiquement « à somme nulle ». Aucune puissance n'y gagnerait ni ne pourrait répercuter ses déficits sur les « autres pays du monde ». Si ce processus serait prolongé tacitement entre les cinq, la Chine répercuterait à son tour, grâce à son yuan (qui deviendrait monnaie de réserve dans les Banques centrales du monde et de compte internationale sur les marchés), ses déficits sur le « reste du monde ». Ni l'Inde, ni la Russie, ni le Brésil, ni le « reste des pays du monde » n'accepteraient le monopole monétaire des « Cinq » (Occident-Chine). Par conséquent seule la fin des politiques non conventionnelles pourrait « débloquer la situation de crise » dans le monde. Ce qui se traduira, grâce au contrepoids que sera la Chine sur le plan monétaire international, par l'interdiction des politiques monétaires non conventionnelles, elles-mêmes suscitant des mesures pendantes : la fin de la hausse artificielle du pétrole et des matières premières et alimentaires qui auront été ? on pourra alors parler au passé ? des « valeurs refuges du surplus de liquidités émis par l'Occident ». Une fin d'un processus qui sera extrêmement mal vécu pour une grande partie du monde, en particulier ceux qui ont usé de cette donne, i.e. l'Occident et les pays arabes exportateurs de pétrole.

LA FIN DES «PETRODOLLARS». PRONOSTICS SUR LES EVENEMENTS A VENIR DANS LE MONDE

On comprend alors pourquoi la fin des « pétrodollars » et celle de la hausse des prix des matières premières, même si elle a été salutaire à plus d'un titre, aura néanmoins des effets déstabilisants dans nombre de pays. Evidemment, les interférences américaines dans la hausse des prix du pétrole et des produits de base cesseront. Les ajustements des banques centrales occidentales et les émissions monétaires ex nihilo (QE, LTRO, MES, etc.) sur la seule faculté fictive de s'endetter sur soi-même ne pourront plus faire recette. Désormais toute émission de liquidités internationales doit le plus souvent être adossée à des contreparties monétaires productives réelles, et tout excès est sanctionné par les marchés. Un pays dont la monnaie se déprécie voit son gain dans les exportations fortement rogné par la hausse du coût de ses importations. Ces nouvelles donnes amèneront progressivement un consensus, et qui poussera, par conséquent, à une refonte du système monétaire international.

Les États-Unis auront cessé de mener une politique « au bord du gouffre». N'échappant pas à la « falaise fiscale», ils auront à opérer, comme l'Europe monétaire, la Grande-Bretagne et le Japon, à des ajustements douloureux de leurs économies. Ces ajustements ont d'ailleurs commencé, des deux côtés de l'Atlantique, par des cures d'austérité « nécessaires » et pourraient être encore plus éprouvantes. Les États-Unis proposent déjà un « OTAN économique », i.e. une zone de libre-échange, compte tenu des nouveaux enjeux dans le monde. Un nouveau type d'« OTAN » deviendra certainement nécessaire. Un « fédéralisme fiscal » en Europe ne sera pas de trop, atténuera certes le « choc » en limitant la disparité des politiques budgétaires entre les Etats européens, mais n'apportera pas la compétitivité de l'Occident face aux pays du BRICS. Celle-ci doit être regagnée par la « relocalisation », une politique de subvention aux entreprises, un « dégraissage » des secteurs budgétivores qui ne concourent pas à la croissance, une politique protectionniste ciblée, et surtout « tisser un réseau d'alliance économique avec les aires géopolitiques immédiates ». L'Occident ne doit plus faire la fine bouche, doit chercher à s'en sortir et il ne pourra pas le faire seul. Cependant, contrairement aux pays arabes exportateurs de pétrole qui resteront dépendants d'un pétrole en chute libre, l'Occident aura assez de ressources en lui pour dépasser les crises et reprendre le cap de la croissance. N'ayant plus le privilège exorbitant de l'« arme monétaire », une « malédiction » qui trouve son origine dans le « pétrole » par le libellé monétaire et a fait délocaliser une grande partie de son industrie vers l'Asie, il pourra alors compter sur ses propres forces et porter sa « propre locomotive » au lieu d'être une « locomotive pour les autres ».

Quant aux pays arabes exportateurs de pétrole, leurs économies fortement dépendantes des hydrocarbures, la fin des « pétrodollars » sera très mal vécue. Des économies gravement déstabilisées bouleverseront les régimes politiques en place. Le système politique, économique, monétaire et social de ces pays sera remis en cause. Une crise bien plus grave que le « printemps arabe » affectera ces pays. Mais cette «nécessité de l'Histoire» amènera les peuples musulmans, après de nombreux avatars, à sortir des sentiers battus pour reprendre leur destinée en main, et pourquoi pas, de «tisser de nouvelles relations avec leur grand voisin du Nord », déjà en crise.

Pour la Chine et les pays émergents, les avancées technologiques et leur compétitivité les mettra dans un premier temps relativement à l'abri des retombées mondiales de la crise. Mais il sera certain que la plupart de ces pays auront ensuite à connaître de graves difficultés. L'atelier du monde devra soutenir son économie et augmenter sa consommation intérieure. Le « découplage » des pays émergents des pays occidentaux ne pourrait être ni une solution ni n'apportera la croissance à leurs économies dépendantes des exportations vers les pays du reste du monde (qui leur assurent des importations en pétrole et en matières premières pour leurs économies). «Une crise monétaire à l'échelle mondiale retentira certainement sur l'absorption mondiale», i.e. une baisse de la demande mondiale qui aura des effets négatifs sur leurs exportations. Ce qui se traduira forcément par du chômage de masse et une forte baisse de leur croissance.

Devant cette situation, des accords internationaux seront nécessaires au sein du G20 et dans l'intérêt de tous. Toutes les puissances doivent s'accorder pour « relancer la demande mondiale et diminuer le chômage de masse dans le monde ». Le problème n'est pas que le « yuan détrône le dollar » comme le laissent entendre de nombreux analystes, mais qu'il s'opère une meilleure régulation dans les échanges économiques internationaux, ce qui ne pourrait s'opérer qu'en promouvant une neutralité des monnaies dans les échanges.

Tels sont les défis, tels sont les pronostics sur les événements à venir dans le monde. Une nouvelle page de l'histoire aura à s'écrire pour l'humanité. Evidemment, cette analyse n'est qu'une approche, qui peut être juste ou fausse. « Juste » parce que les facteurs, les forces, les événements le donnent à penser, voire même l'annoncent. « Fausse » parce que l'homme ne détient pas la vérité. La vérité, il la subit parce qu'il croit savoir alors qu'il ne sait pas.

* Officier de l'ANP en retraite (Forces Navales) Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective.



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