Invité de «La Conférence d'Oran», rencontre que l'université d'Es-Sénia
organise à la fin de chaque mois, le professeur Nacer Djabi a choisi le thème
«Les élites ministérielles arabes entre les changements de la société et
l'immobilisme des systèmes politiques». Précédé par sa réputation de chercheur
et surtout d'auteur d'un récent ouvrage intitulé «Pourquoi le Printemps arabe
est en retard en Algérie», Djabi a dressé du monde parmi les enseignants et les
étudiants de magister et de doctorat. Il a commencé en dressant un bilan non
exhaustif des études réalisées sur le sujet dans le monde arabe. Le
conférencier avancera des hypothèses tirées de ces études, dont la première est
que «le système arabe n'est pas allé de pair avec les changements qu'a vécus la
société». Il va essayer de vérifier cette hypothèse à partir de certains
angles. Le premier, et le plus important, est que le système politique arabe ne
«mobilise» pas la femme et ne lui a pas permis l'accès à la sphère politique
(ou décisionnelle) en dépit de son accession au savoir en raison de
l'élargissement de l'enseignement supérieur dans le monde arabe ces dernières
cinquante années. «Les islamistes», se posant comme alternative, n'ont fait
qu'aggraver cette exclusion. L'autre constat relevé est que les institutions,
telles que le parti politique (y compris le Baâth au temps de Saddam Hussein)
ne produisent pas de «ministres». Par ailleurs, il remarquera une certaine
banalisation de la fonction de ministre, devenu une sorte de haut fonctionnaire
ou de commis de l'Etat. Cette perte de la fonction politique du ministre a eu
lieu en Europe, mais au «profit de l'institution». Dans le monde arabe, c'est
«le Président-roi» qui en a profité, signale Nacer Djabi. Ce qui explique que
nous «assistons à des décisions fantaisistes et subjectives» de la part de ce
«Président-roi», remarque l'intervenant. Il remarquera que «la production
artistique, du cinéma au théâtre en passant par le roman, a exprimé cet état de
fait». Concernant les changements survenus après «le Printemps arabe»,
«l'expérience est encore à ses débuts», note-t-il. Il a, en outre, relevé que
«les révolutions survenues en Tunisie, Lybie, Egypte n'ont pas encore produit
ou propulsé ?ses propres élites'». Par ailleurs, il a constaté que suite aux
«Printemps arabes», il y a eu «un déplacement des conflits» qui se sont
«installés» au niveau de «la composition des gouvernements». L'intérêt est
désormais porté sur le rôle de l'exécutif et non de l'instance législative,
ajoute-t-il. Avec cette nouvelle donnée: «la rue est devenue sur-politisée et
devient un acteur de pression». Quant à la nouveauté enregistrée, elle se
révèle dans «le plus de transparence dans la nomination des membres de
l'exécutif». A la fin de sa conférence, et dans le cadre des débats, Nacer
Djabi a été sollicité pour établir un parallèle avec l'Algérie. Il dira que «le
cas de l'Algérie ne présente pas une exception», puisque même notre pays «n'a
pas su tirer profit des changements survenus et dont le régime a été le
principal initiateur, à commencer par la généralisation de l'enseignement
supérieur». Ainsi, «le ministre disposant de compétence scientifique est celui
qui bénéficie de moins de pouvoir politique». Il remarquera que les grandes
entreprises (SNS, Sonelgaz et Sonatrach) ont fourni le maximum de membres de
l'exécutif. Aussi, dira-t-il, certaines wilayas «n'ont fourni aucun ministre»,
par contre d'autres «ont toujours été surreprésentées au niveau
gouvernemental». A titre de comparaison, Fès a toujours fourni l'essentiel des
ministres au Maroc. «Les stratégies d'alliances matrimoniales visent à
reproduire cette domination de cette région». Concernant les Frères Musulmans
en Egypte, Nacer Djabi les a qualifiés de thèse «institution de mariage
interne». S'agissant des femmes, il soulignera «qu'uniquement vingt femmes ont
accédé au gouvernement depuis 1982», ce qui lui permet d'avancer que «les
valeurs sociales dominantes sont toujours opérantes» présentement sur ce plan.
L'Islam politique a accentué davantage le blocage relevé sur ce registre,
notamment dans les pays qui ont vécu «le Printemps arabe». Dans une autre
réponse, le conférencier, SG du Conseil arabe des sciences sociales, a rejeté
d'un revers de la main la thèse «du complot ourdi par les puissances
occidentales» dans les changements survenus dans plusieurs pays arabes.