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Une dame, deux presences

par Stephane Hessel, Ambassadeur De France



La sociologue et Anthropologue Betoule Fekkar Lambiotte, animera samedi prochain à Oran, une conférence-présentation de son ouvrage «la double présence».

La manifestation se déroulera à la salle de Conférences Mahmoud Darwich de l'Insitut de développement des ressources humaines (IDRH), à Canastel.

Quel privilège de pouvoir cheminer avec Betoule Fekkar-Lambiotte, au long des étapes d'une vie exceptionnellement riche en expériences humaines, en engagements politiques et sociaux, en approfondissement de soi par l'exercice de la foi islamique ! La double présence à laquelle se réfère le titre de ce récit très personnel me paraît constituer le fondement même de la personnalité de son auteur et de sa relation aux autres.

Dès les premières pages de son introduction, l'auteur se propose de jeter des passerelles, y trouvant avec ce qu'elle appelle une «modeste authenticité», sa propre légitimité : être musulmane et riche d'un double registre de valeurs et de traditions, celles de l'Algérie et celles de la France.

Avec lucidité, elle relie en elle les apports d'une tradition familiale, dont les racines plongent au plus profond des valeurs de l'Islam, bien en amont de la colonisation, aux ambitions de sa culture d'adoption, celles d'une république française laïque, qu'elle éprouve comme la gardienne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Le violent choc psychologique que déclenche en elle le constat qu'elle ne trouvait pas sa place au sein du Conseil français du culte musulman (initié par Jean-Pierre Chevènement, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur) est le détonateur qui la conduit à s'exprimer ici et à vouloir nous faire mesurer ce qui reste à faire pour donner à l'Islam de France toute la place qui lui revient, dans son authenticité et sa spécificité, dans notre pays.

C'est en nous faisant partager, dans un récit de haute valeur littéraire, le parcours que lui a valu l'histoire des relations entre sa patrie familiale et sa patrie d'adoption, qu'elle nous aide à comprendre à travers ce «puzzle» - comme elle définit sa double personnalité - ce que les musulmans français peuvent apporter de meilleur à notre culture contemporaine. Dans le contexte national et international actuel, cette analyse est du plus grand intérêt.

J'ai rencontré Betoule Tandjaoui (le nom qu'elle portait avant son mariage avec Maurice Lambiotte) en 1962, année de l'indépendance algérienne. Très jeune encore, elle sortait à peine d'une phase dramatique de sa vie au cours de laquelle elle avait connu les violences et les dangers d'un conflit atroce, les privations extrêmes, les atteintes à sa liberté. Au long de ces années terribles, elle avait lutté en vraie patriote pour l'indépendance de l'Algérie.

Devenue Française par mariage, sans renier ou renoncer à ses origines algériennes, elle venait prendre sa place dans une carrière diplomatique et culturelle dont les étapes ont enrichi sa personnalité. Son élégance, sa chaleur et sa vivacité, sa volonté d'apporter à ses deux patries, la pleine contribution de son énergie et de ses compétences, faisaient d'elle une partenaire irremplaçable dans cette période, encore enthousiasmante pour ceux qui en étaient les acteurs, des relations franco-algériennes.

Je n'ai jamais cessé depuis lors, de rechercher et de bénéficier de son influence. Elle m'a permis de mieux appréhender les problèmes que posent les relations entre l'Islam et les autres religions ou irréligions des terres méditerranéennes, de mieux percevoir les risques d'une interprétation crispée de chacune d'elles, de mieux mesurer la fécondité d'une ouverture mutuelle, respectueuse des valeurs de chacun.

Partout où elle exerçait un rôle de responsable ou de conseillère, sa parole portait un message de sagesse, profondément empreint de spiritualité soufie. Jamais je ne l'ai vue céder sur les points essentiels de ses convictions humanistes.

Elle était habile à détecter ce qui risquait d'enfermer les partenaires des dialogues interculturels dans des positions incompatibles. Elle parvenait à rapprocher et transcender les points de vue par un appel à des valeurs fondamentales communes.

Je m'étais efforcé de l'encourager à participer aux efforts des gouvernements français successifs afin de créer une instance de concertation avec l'Islam, convaincu que si sa vision pouvait s'y faire entendre, le résultat serait constructif.

Sa «déconvenue» a été motivée par les concessions, qui lui ont paru démagogiques, octroyées par les concessions, octroyées par les interlocuteurs français à ceux dont elle redoutait l'intransigeance. De l'erreur méthodologique commise lors de la mise en œuvre d'une idée en elle-même valable, elle s'explique dès le premier chapitre de son livre.

Ayant compris, mais regretté son retrait, nous avons été plusieurs à souhaiter qu'elle s'en explique. Elle le fait ici en analysant sa double appartenance : celle-ci se manifeste à chaque page, doublement généreuse de sa sagesse, doublement confiante en un avenir à construire ensemble.



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