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Compléments d'informations à travers une version aurésienne

par Djemaa Djoghlal *

Suite et fin

Mais aujourd'hui, ce que le pouvoir colonial français proposait n'est-il pas réalisé en Algérie par les américains avec l'aide de leurs alliés de l'intérieur et de l'extérieur se demandent des jeunes Algériens en Algérie et en émigration ? Si en 2010 les nostalgiques de l'apartheid européen contre les «indigènes» attaquent de toutes parts le FLN/ALN, c'est parce qu'ils n'oublient pas qu'il fut le principal ennemi à leur ordre colonial inégalitaire. La guerre terminée Krim Belkacem déclarera «ces arrestations, les rafles de militants algériens dans les villes algériennes du 3 novembre 1954, nous ont fait perdre des collaborations acquises ou promises. Il nous faudra attendre la libération des internés pour reconstituer les réseaux urbains, sauf en Kabylie et dans les Aurès, nous ne reprendrons notre élan qu'après le 20 août 1955».

 La thèse du jeune chercheur français Mathieu Rigouste, soutenue en 2007, met à la disposition du public des documents d'archives qui expliquent comment la pensée de «l'ennemi intime» a été construite et instaurée à partir du colonisé pendant les conflits de décolonisation, pensée dont les descendants des anciens colonisés ont héritée dans les banlieues françaises : «malgré le caractère explicitement anticolonialiste de la conférence de Bandung de 1955, le courant qui s'impose dans la pensée politico-militaire est celui qui présente les soulèvements au sein des colonies françaises en Afrique comme une internationale arabo-islamique en formation manipulée par le monde communiste? »

- Germaine Tillon, les Aurès et les années 30

Sans prétention, je peux écrire que ma proximité passée et présente avec elle me permet de savoir que cette grande patriote française a vécu plusieurs vies avec l'Algérie et les Algériens, elle est décédée en emportant dans sa tombe des secrets d'Etat qui pouvaient déranger plus d'une personne, des deux côtés de la Méditerranée. Limiter cette femme aux vies multiples à la période des années 30, qui fut celle de la sublimation de la colonisation, est une erreur de jugement. C'était aussi le temps du développement de l'ethnologie coloniale dont certains chercheurs ont gardé mentalement une proximité qui se manifeste encore à travers leurs écrits et leurs déclarations, doit-on tenir pour vérité scientifique et historique les écrits de Jean Morizot concernant la Kabylie, à l'heure des travaux sur le postcolonial au niveau des Sciences Humaines et de l'Histoire dans des laboratoires français et étrangers, telle la thèse de Patricia M. E. Lorcin, citée ci-dessus.

En 1955, Germaine revient dans les Aurès dont la population venait de subir 5 ans de famines et de discriminations en matière de rationnement, elle fut si horrifiée de découvrir leur état de dégradation sociale qu'elle ne put le décrire que par le terme de «clochardisation». A diverses reprises Germaine expliquera que lors de ces «rencontres» avec cette population, durant ses séjours d'études entre 1936 et 1940, elle avait découvert des gens vivant dans l'autosuffisance, en 1955 il n'y avait aucun concept pour décrire leur misère. Germaine vivra plusieurs vies et statuts et les Aurèsiens de même, ni l'une ni les autres ne furent figés telles les statues de la période antique.

- Amirouche, ses amis et ses ennemis

Les récits des Résistantes et Résistants français, issus de différents groupes, retracent des vécus aussi compliqués et complexes que ceux des résistants algériens, ils permettent de comprendre qu'aucune lecture «exacte» de la Révolution algérienne ne peut être faite lorsque l'aigreur et la rancune personnelle prennent le pas sur l'impartialité.

 Plongé dans un fauteuil, un verre de thé ou une tasse de café fumant à la main, un téléphone mobile dans la poche et un GPS dans la voiture il est aisé de prêcher les qualités d'Amirouche ou de condamner ses actes, ce procédé est une insulte sans mesure vis-à-vis de ce héros national. Procédé que lui-même aurait fermement refusé et condamné car il savait que le culte de la personnalité, le zaïmisme de Messali, avait conduit l'Etoile Nord-Africaine au chaos et le MNA par son aide aux forces coloniales en Algérie et en France avait saigné en hommes et en matériel la Révolution allant jusqu'à retarder l'issue de la guerre. Donc pour situer le parcours d'Amirouche entre les récits de combattants aurèsiens survivants qui l'accusent «d'avoir cassé l'Aurès et les Chaouias» et les écrits de ses compagnons qui parlent le mieux de lui la neutralité est exigée. D'abord, le témoignage de Djoudi Attoumi qui situe la responsabilité d'Amirouche en tant que chef local dans les combats menés contre les campagnes d'intoxications en Kabylie, «On ne peut parler d'Amirouche en occultant «le complot des bleus ?en sa qualité de chef de la wilaya III» p.161. Et selon l'expression populaire un autre maquisard enfonce le clou avec cette précision en page 170 de son témoignage: «toujours est-il que l'affaire des bleus a connu sa fin, avec celle d'Amirouche. Nous avions constaté que le lien entre Amirouche et la bleuite était malheureusement indissociable?.»     De même, Hamou Amirouche dans son ouvrage remarque, effrayé et révolté, qu'Amirouche avait ordonné l'exécution d'un djoundi qui avait reproché à des paysans kabyles, devant leurs femmes, d'avoir du tabac à chiquer alors que lui-même possédait une boite dans sa poche, l'auteur compare avec la situation des maquisards des Aurès où lors d'un passage il avait constaté que le tabac n'était pas interdit dans ce maquis, p. 156.    

Il précisera qu'Amirouche «envoyait les élèves kabyles de la WIII à Tunis dans un centre créé personnellement par Amirouche» p. 157, d'autres auteurs précisent «centre crée par Amirouche en 1957 et qu'il finance avec l'argent de la WIII». Pourtant dans les autres wilaya et au sein de la Fédération de France, les dirigeants du FLN interdisaient formellement aux militants de combattre, sous quelle forme que ce soit, uniquement dans leur douar, et pour les émigrés avec leur région d'origine.

 Si même les proches d'Amirouche engagent sa responsabilité en Kabylie, elle est aussi engagée dans les conséquences désastreuses que vécurent les Aurès après le congrès de la Soummam.

- Les Aurès tribalistes ou nationalistes ?

 Les dirigeants de l'Aurès qui ont tiré les premières balles de la Révolution sont en majorité issus de l'OS donc ils furent préparés militairement, c'est ce mérite qui fera naître l'indépendance, car de 1830 à 1954 à travers leurs nombreuses révoltes ils eurent le temps d'expérimenter les limites du politique et de ses conséquences.      

Depuis 1948, les structures de l'OS des Aurès qui, contrairement aux autres régions, n'ont pas été dissoutes malgré l'ordre du Zaïm et les recherches des services de police et de l'armée coloniale. En 1952, l'opération «Aiguille» avait causé la mort de Aïssa Mekki mais elle ne réussit pas la destruction totale de l'OS locale, qui «il faut rappeler à toutes fins utiles que Ben Boulaïd faisait des prouesses pour entretenir ces moudjahidines d'avant l'heure, et ce grâce à la générosité des populations aurèsiennes. Bien plus, les structures de l'OS ont été renforcées par quelques maquisards du Djurdjura qui ne pouvaient plus demeurer en Kabylie tant la répression était féroce et les patriotes poursuivis. C'est à cet égard que Ben Boulaïd, en accord avec le parti et Krim Belkacem, accepte d'accueillir les frères kabyles et les prendre en charge ». Dans ce récit d'Aïssa Kechida, témoin direct des débuts de la Révolution algérienne, il raconte comment «dès août 1954, Laghrour Abbas l'un des lieutenants de Ben Boulaïd qui avait la responsabilité du secteur de Tébessa, signala à Si Mostefa des mouvements suspects des forces françaises à la frontière tunisienne».         Ces quelques phrases éloignent le lecteur de la version donnée sur les oppositions ancestrales aurèsiennes telles qu'enseignées par l'ethnologie coloniale et leurs adeptes d'aujourd'hui. Ecrire les biographies de certains combattants et de certains lieux hors de tout contexte historique national et international uniquement en inscrivant des faits dans une chronologie événementielle conduit à raconter la vie de Robin des Bois, et même dans ce cas un auteur sérieux ne peut limiter le héros à sa forêt.

 A celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur les bandits d'honneur, Aïssa Kechida décrit, en page 50 et suivantes, les exploits de ces précoces révolutionnaires qui ne sont pas des parcours de «primaires coupeurs de route» mais bien des réfractaires à l'ordre colonial injuste et raciste. Une bande dessinée algérienne éditée en 1984 retrace l'épopée de ces hommes, elle cerne plus précisément leurs personnalités, leurs motivations et aussi leur nombre. Les récits et berceuses relatant leurs exploits ont bercé les enfances aurèsiennes pendant plusieurs décennies.

- La mort de Bachir Chihani

Alors que des combattants aurèsiens et des auteurs algériens commencent à lever le voile sur les faits réels qui se sont déroulés lors de la célèbre bataille de Djorf et qui sont la cause véritable de son exécution le 23 octobre 1955, de jeunes étudiants algériens sont soumis à un véritable lavage de cerveau. Ils subissent l'enseignement d'un tissu de mensonges dont l'exemple le plus consternant est cet entretien de Jacques Simon avec Jean Moreau: «Ben Boulaïd a appelé à la révolution au nom de Messali Hadj. Par la suite, n'ayant reçu aucune arme du Caire, il comprendra que Boudiaf l'avait manipulé. Il rejoindra alors le MNA et sera assassiné, comme Chihani Bachir, le chef précédent des Aurès par Adjoul Adjoul et Laghrour Abbas, en liaison étroite avec Krim Belgacem et Abanne Ramdane, selon les sources du MNA ». Grossiers mensonges que démentent les sources françaises les plus colonialistes.

-Le congrès de la Soummam et ses conséquences dans les Aurès

 Au moment du congrès de la Soummam, qualifié par de nombreux militants Algériens, des auteurs Français et des auteurs Etrangers de «coup d'Etat kabyle», le président de séance était Larbi Ben M'hidi , en lisant cette information on peut se demander comment a-t-il accepté lui qui s'exprimait uniquement en arabe et difficilement en français: que «les travaux du congrès se déroulaient en français ou pire dans certaines situations en kabyle». Comment Sadi, un leader politique national ne trouve-t-il pas choquant, aujourd'hui, que des travaux engageant le devenir du pays se déroulent dans deux langues qui ne sont pas comprises, surtout à l'époque, par l'ensemble des congressistes ? Hamou Amirouche, simple combattant, savait qu'en déplacement avec d'autres kabyles chez les Aurèsiens: «il était hors de question de communiquer en kabyle au sein d'autres berbérophones ».

Abderrezak Bouhara dans ses mémoires tait certaines informations concernant ce congrès et la plus importante, donnée par Mohamed Harbi, et qui explique le déroulement du congrès et ses suites : «au moment de la tenue du Congrès les participants n'ignorent pas la mort de Ben Boulaïd » Lors de la parution des mémoires de A Bouhara, fut édité le livre de Mohamed Larbi Madaci, peu médiatisé, pourtant il apporte un nouvel éclairage sur les luttes prétendument «tribalistes des Chaouias».      

L'auteur a mené une enquête de  terrain auprès de combattants aurèsiens ayant survécu à la guerre d'indépendance, leurs témoignages décrivent les facteurs ayant conduit ces combattants qualifiés de «mouchewchine» à se révolter.

 Ils étaient en fait des dissidents des Aurès-Nememtchas qui s'insurgeaient contre les mesures disciplinaires édictées par Amirouche.

- Ces survivants citent quelques causes, parmi d'autres:

1- La contestation des décisions du congrès de la Soummam prises sans l'apport des dirigeants de la W1 et de la Délégation Extérieure volontairement évincés comme le prouvent les récits contenus dans le livre de Madaci, les informations données par l'historien Mohamed Harbi et les nombreuses mémoires publiées par d'anciens combattants à l'intérieur ou à l'extérieur du pays;

2- La remise en cause, par Amirouche, du fonctionnement aurèsien bâti sur un minimum de consultation dans la désignation des chefs sachant que depuis le début de l'insurrection le commandement était assuré par une direction collégiale de combattants, règle édictée par les dirigeants du FLN/ALN;

3- Le désarmement des «Chaouias» par Amirouche fut une atteinte sans nom à leur honneur, comme dans toutes les sociétés patriarcales méditerranéennes le fusil est le symbole de leur honneur, leur capital le plus important. Désarmer un aurèsien c'est lui enlever la ceinture qui retient son pantalon !!

4- L'imposition de chefs déserteurs de l'armée française (DAF) dont les maquisards, pas seulement «Chaouias» se méfiaient comme l'écrit Bouhara dans ses mémoires: «l'intérêt accordé par les services de sécurité pour des militants FLN et de l'ALN, qui ont servi dans l'administration française ou dont les familles étaient considérées pro-françaises est une réalité. Que ces services inscrivent dans leur réflexion sur les techniques d'infiltration des rangs de l'ALN, la manière d'utiliser des militaires issus de leur armée apparaît comme une certitude, qui entre dans la logique des choses». Hamou Amirouche parlant des maquisards de la Kabylie écrit « La plupart d'entre nous entretenions des préjugés que je trouve aujourd'hui ridicules, contre les déserteurs de l'armée française (DAF) qui « n'avaient quitté l'armée française que lorsqu'il devint clair que l'Algérie marchait inéluctablement vers l'indépendance?.»

5- Dans les Aurès Amirouche, établira son ordre, il fait et défait ce maquis selon ses idées personnelles se servant des maquisards locaux selon ses propres décisions. Mustapha Benamar, ancien maquisard relate cet épisode qui prouve le fonctionnement d'Amirouche «au PC de la wilaya III, nous fîmes la connaissance d'Abdelkader el Bariki que l'on nous présenta comme l'officier chargé de superviser les cheminements d'armes entre les wilaya I et III. Très brun de peau, vêtu d'une tenue de léopard et coiffé d'une casquette à visière comme celles portées par les seuls officiers de la WI, el Bariki paraissait jouir de la totale confiance d'Amirouche, ne serait-ce que pour l'avoir escorté lorsqu'il revenait de Tunisie quelques semaines plus tôt ». En page 46028 une autre version est donnée par Mohamed Harbi et Gilbert Meynier sur la façon dont les militaires et civils en kabylie traitaient les combattants aurèsiens qui leur convoyaient des armes, d'août à octobre 1957, sur décision de Kaci, Amirouche et Ouamrane après le congrès de la Soummam. Amirouche place et nomme à sa guise et les conséquences seront désastreuses pour les maquis des Aurès voire pour l'ensemble de la Révolution, au procès des colonels de la WI, Lamouri écrira: «A l'intérieur de la wilayaI, nous avons dû combattre Omar Benboulaïd et ses hommes parce qu'il était sectaire et régionaliste. J'étais alors à l'époque accusé par lui et ses hommes d'être un kabyle. Plus de 200 djoundis sont tombés pour réduire cet homme (?) Il est malheureux d'être obligé de citer combien de kabyles détiennent des postes de responsabilités dans la WI» Mohamed Harbi précise que l'antagonisme entre kabyles et Chaouias qu'on retrouve dans la discours d'Omar Benboulaïd et Abdallah Nouaoura sert à masquer la nature réelle des problèmes algériens qui sont d'ordre politiques et non régionaux.

 L'historien confirme que quand Lamouri essaye de mobiliser le sentiment régionaliste contre Krim il n'entraine pas l'ensemble des «Chaouias» derrière lui. L'historien précise que l'anarchie «tribaliste Chaouia» est à refuser puisque les hommes qui dirigeaient la wilaya1 et qui n'étaient pas installés par Amirouche ont adressé, le 11 avril 1962, un message du Conseil de la Wilaya I au GPRA et au Chef d'Etat-major: «?vous informons que wilaya1 ne peut recevoir de cadres de l'extérieur souhaitons relations fraternelles compréhension mutuelle et esprit révolutionnaire règnent à tous les échelons.» Par devoir familial et pour le respect des mémoires des combattants de l'Aurès j'apporte ces quelques compléments d'informations qui sont une vérité d'aujourd'hui, vérité qui sera certainement remise en cause lors de la confrontation des archives algériennes et françaises, lorsque cela sera possible.

*Militante du RCD Immigration de 1994 à 1999



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