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A propos de «Jean Sénac : le destin tragique d'un poète algérien»

par Houssine Mourad Salim**

Le Quotidien d'Oran reste l'organe de presse algérien qui accueille le plus de contributions intellectuelles et/ou universitaires tant nationales qu'internationales et cela dans le cadre informationnel et didactique où le débat n'est aucunement exclu. C'est dans ce cadre que je situe ma mise au point au Doctorant Hafid Adnani* suite à son article intitulé « Jean Sénac : le destin tragique d'un poète algérien » paru jeudi 15 avril 2021 dans la rubrique « Actualité Autrement Vue » page 10 du journal éponyme. Comme il n'est aucunement dans mon intention de remettre en question la notoriété littéraire du poète engagé Jean Sénac au parcours atypique et à la fin dramatique dans une cave algéroise un certain été 1973 ! Je ne puis que saluer aussi votre amour d'une production littéraire et poétique oubliée et peu éditée en Algérie où les jeunes et moins jeunes générations des campus ne connaissent pas Jean Sénac et tant d'autres intellectuels de... graphie française et arabe.

Ma première réaction à votre article est cette surprise de lire un premier passage que je reproduis au lecteur sans le mettre en référence en bas de page :

1 - « La fin du grand poète algérien qui signait d'un soleil, Jean Sénac, alias Yahia El-Ouahrani (que l'on peut traduire par « Jean l'Oranais »), survint dans la nuit du 29 au 30 août 1973, à 47 ans, dans la cave qui lui servait d'appartement, 2, rue Elisée-Reclus à Alger. Il y fut assassiné à l'arme blanche par une main sans doute liée à l'extrémisme islamiste, aux conséquences de présumées relations homosexuelles interdites ou à toute autre criminel en lien ou non avec le pouvoir algérien de cette époque ».

Ayant vécu l'été 1973 en Algérie, je ne me rappelle pas avoir entendu dans la rue ou lu dans la presse algérienne de l'époque le qualificatif islamiste. Le concept n'existait pas in situ à l'époque et le phonème encore moins ; il n'y avait au Bled que des musulmans, des chrétiens dans la communauté française qui était restée après l'Indépendance et les coopérants techniques (CT) métropolitains qui faisaient leur service civil en Algérie avec leur compagne / épouse en assurant certains de nos cours au lycée ! Quant aux juifs ils étaient difficilement traçables - Décret Crémieux oblige - sauf au niveau de la descendance des mariages mixtes peu nombreux mais acceptés depuis des lustres ! De là à imputer l'assassinat crapuleux de Jean Sénac à « l 'extrémisme islamiste ou... tout autre criminel en lien ou non avec le pouvoir algérien de l'époque », je pense qu'il y a confusion de votre part entre deux périodes distantes d'une vingtaine d'années. En 1973 , les Algériens ne faisaient même pas la différence entre Sunnites et Chiites parmi les coopérants arabes venus du Moyen-Orient ; ces derniers n'en parlaient point et une majorité d'enseignants irakiens et syriens étaient... des réfugiés politiques en majorité communistes qui ne se proclamaient aucunement islamo-baâthistes en martelant les pupitres des collèges de Kabylie et de l'Ouarsenis avec toute la verve d'Abou Nouas et Omar Khayyâm... Et puis en quoi ce grand poète tombé en déchéance professionnelle, physique et morale aurait-il pu menacer l'intégrité du pouvoir de l'époque où l'aura de ses services secrets était à son apogée dans le monde (Nationalisation des hydrocarbures en 1971) un mois avant Octobre 1973 ?

Dans le second passage que j'ai sélectionné, vous insistez sur son exclusion et sa marginalisation :

2 - « Sénac fut contraint par les difficultés administratives à démissionner en 1967 de son poste de secrétaire général de l'Union des écrivains algériens, poste qu'il avait occupé avec le plus grand sérieux et la plus profonde persévérance; son émission poétique à Radio-Alger Chaîne III fut ensuite interdite en 1972; sans qu'aucune raison ne lui soit donnée; alors même qu'elle fut considérée, même par l'ultranationaliste El Moudjahid, en 1971, comme la meilleure émission de la chaîne, «seule capable de rivaliser avec la télévision .

 Comment voulez-vous qu'il garde son poste de SG de l'historique Union des écrivains algériens malgré ses performances intellectuelles et radiophoniques en traînant les casseroles qu'il avait et sans la nationalité algérienne que vous confirmez dans ces lignes du troisième passage ?

3- « Le plus grand scandale est sans doute que cet Algérien qui a joué un rôle de premier plan en faveur de l'indépendance de son pays, qui estimait à juste titre, avoir droit « automatiquement, humainement, politiquement et juridiquement» à la nationalité algérienne, et refusait donc de se plier aux formalités de naturalisation, cet Algérien était un citoyen sans droits civiques et sans carte d'identité. Il fut contraint de mourir français à défaut d'une reconnaissance officielle de son appartenance à cette terre. Sénac est mort assassiné, après avoir été marginalisé, asphyxié dans son propre pays. »

Enfin dans le quatrième passage sélectionné, vous récidivez non dans la reproduction factuelle d'un autre double crime et son opacité pour l'opinion publique locale mais dans son lien hypothétique en 1975 (?) avec... des islamismes radicaux et ceux d'au moins une partie du pouvoir algérien :

4- « Cet assassinat fait penser immanquablement à d'autres, ainsi que l'injuste exclusion qui l'avait précédé. On ne peut s'empêcher de penser au mystère de l'assassinat, deux ans plus tard du célèbre miniaturiste Mohammed Racim et son épouse Karine Bondeson (de nationalité suédoise) à leur domicile. C'était le 30 mars 1975. C'est quasi-impossible de savoir aujourd'hui qui a tué Racim et pourquoi, mais là encore la loi du silence et la non-élucidation de ce crime abject, ont été le résultat de diverses tergiversations infructueuses sur lesquelles nous ne saurions nous attarder ici. Une frontière ténue pouvait se dessiner alors entre les possibles agissements des islamismes radicaux et ceux d'au moins une partie du pouvoir algérien ».

Une insinuation à peine déguisée , la lecture historique et spatio-temporelle deviendrait-elle révisionniste à la limite d' une islamophobie inconsciente acquise institutionnellement ? Si ce n'est pas l'un , c'est l'autre...

J'ose espérer que Mr Adnani validera sa recherche diachronique en n'oubliant pas d'intégrer dans sa population statistique les Algériens du Bled et la variance de leurs générations. Les immigrés de plusieurs générations, les binationaux ont perdu contact avec notre société à leur décharge et ses mutations socioculturelles et idéologiques .Comment pourrais-je leur en vouloir moi qui suis né en France les années cinquante et fils d'un militant de la Fédération de France du FLN aujourd'hui enterré dans la terre de nos ancêtres ?

**Psychologue et auteur

Références/liens :

* Hafid Adnani : Né en Algérie. Journaliste et cadre supérieur de l'éducation nationale, il est également doctorant en anthropologie au Laboratoire d'Anthropologie sociale du Collège de France, in http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5300637

* https://www.leslibraires.fr/livre/10461047-le-traquenard-de-poitiers-mourad-salim-houssine-edilivre



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