Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Finances islamiques en Algérie : Comment et pourquoi ? Acte III (3ème partie)

par Zerouali Mostefa*

  Article 15: Autorité morale de supervision 1.1 (interne)

La banque ou l'établissement financier est tenu(e) de créer un comité de contrôle Shariaïque dont les missions consistent particulièrement, dans le cadre de la conformité des produits à la Charia, de contrôler les activités de la banque ou de l'établissement financier relevant de la finance islamique. S'agit-il ici des célèbres «Sharia Boards» ? Fort possible.

Seulement, les missions des «Sharia Boards» ne se limitent pas au contrôle des activités de finances islamiques de la banque. Ces comités ou commissions sont de véritables structures d'audit et des organes de contre-pouvoirs au sein des banques islamiques. Ils répondent à des impératifs de bonne gouvernance dans le sens conformité et dans le sens prudentiel. Voici une liste indicative et non exhaustive des attributions et prérogatives qui pourraient être confiées à ces comités :

- Conseiller le top management des banques en matière de finance islamique

- Assister les équipes juridiques à rédiger et à élaborer les contrats et produits de la finance islamique

- Analyser les documents et caractéristiques des produits de la finance islamique et en valider le contenu

- Garantir le caractère éthique des opérations et des montages financiers de la finance islamique (transparence, honnêteté, intégrité, juste partage des risques et de revenus ou pertes)

- Détecter les éventuels abus, tromperies et mensonges apparents ou dissimulés et les signaler aux organes et autorités internes et externes

- Émettre des avis de conformité (fatwa) sur la compatibilité des activités lors de la création et/ou modifications des produits et services de la finance islamique

- Procéder à l'audit et au suivi régulier des produits de la finance islamique pendant leur durée de vie

- Agir et prendre des mesures effectives en cas de non-respect des conditions imposées dans la mise en application d'un produit ou d'un service

- Trouver des voies de purification des revenus en y retranchant la part des revenus résultant d'opérations illicites ou douteuses

- Élaborer des états et rapports d'activités périodiques et les présenter aux AGO/AGEO et aux autorités de supervision internes et externes

- Mener des études et recherches dans le sens de l'amélioration des produits, services, modes opératoires, procédures internes, gestion des risques et de l'efficience globale de la banque.

Dans ce cadre, il me paraît plus souple et plus judicieux de déléguer et de laisser l'Autorité Shariaïque Nationale définir ces «Sharia Boards», leur composition, leur fonctionnement, leurs missions et prérogatives, leurs relations hiérarchiques et fonctionnelles, ainsi que les conditions de leur activité ou intervention. Les arguments qui militent pour cette proposition et en faveur de ce choix sont surtout d'ordre organisationnel notamment pour permettre, à terme, d'uniformiser et d'harmoniser les activités et relations de ces comités avec les «objectifs de marché escomptés par les pouvoirs publics» et de minimiser les divergences et les contradictions d'interprétation. Ceci permettra également une meilleure efficacité et efficience dans les démarches d'autorisation des guichets et produits de la finance islamique par l'Autorité Shariaïque Nationale et par les autorités monétaires du pays.

Article 16: Dossiers d'autorisation et documents à normaliser

La banque ou l'établissement financier doit produire, à l'appui de la demande d'autorisation préalable adressée à la Banque d'Algérie, un dossier constitué des pièces suivantes :

- «Certificat de conformité aux préceptes de la charia délivré par l'Autorité Shariaïque Nationale de la fatwa» : Un modèle de certificat de conformité décrivant les aspects fondamentaux qui doivent y figurer obligatoirement afin de rendre uniformes et efficaces les démarches des parties concernées (banques, BA, Autorité Shariaïque Nationale, administrations et partenaires intéressés).

- «Fiche descriptive du produit» : Ce document doit être lui aussi obligatoirement être uniformisé pour des impératifs de rigueur, d'efficacité, d'efficience et surtout pour éviter les allers-retours inutiles et potentiellement préjudiciables aux parties concernées. Cette fiche doit être élaborée par les services de la BA en concertation avec le métier et avec l'Autorité Shariaïque Nationale.

- «Avis du responsable du contrôle de la conformité de la banque ou de l'établissement financier», conformément aux dispositions de l'article 25 du règlement algérien n°11-08 du 3 Moharram 1433 correspondant au 28 novembre 2011, susvisé : À mon avis, il serait plus judicieux, plus prudent et plus conforme de préciser qu'il s'agit bien du responsable de conformité Shariaïque interne «issu des fameux Sharia Boards», voire même celui du comité Shariaïque interne vu que le présent règlement évoque bien la séparation des activités des deux guichets. Selon les dispositions de l'article 25 susmentionné, l'interprétation qui sera tirée et comprise est la suivante : «c'est au directeur de la conformité de la banque d'émettre cet avis alors qu'il supervise les activités usuraires et conventionnelles de la banque, en particulier pour celles qui souhaitent ouvrir des guichets de finance islamique».

- «Procédure» à suivre pour assurer l'indépendance administrative et financière du «guichet de finance islamique», du reste des activités de la banque ou de l'établissement financier, conformément aux dispositions des articles 17 et 18 ci-dessous : La lecture de ce point donne l'impression que le règlement ne fait pas la séparation entre la procédure, tel que stipulé dans les articles 17 et 18 suivants relatifs à l'agrément du guichet ou de la banque, d'une part, et la procédure de traitement ou le mode opératoire sur un nouveau produit dont le guichet ou la banque agréés souhaitent obtenir une autorisation de mise sur le marché.

Pour lever ces éventuelles contraintes ou contradictions, il serait probablement plus clair de détailler les points ci-dessous :

- Les procédures d'agrément des guichets aux opérations de finance islamique sont similaires aux procédures d'agrément des banques et établissements financiers, ainsi que des succursales dont les dossiers doivent nécessairement comprendre toutes les garanties financières, techniques, matérielles, humaines et juridiques pour aboutir. La Banque d'Algérie est déjà bien dotée et compétente en la matière. Les instruments et artifices juridiques qu'elle déployait pour mener cette mission sont suffisants pour encadrer les agréments des guichets ou des nouvelles banques ou établissements financiers relevant de la finance islamique.

- Les procédures d'agrément des nouveaux produits qui y seront proposés doivent ressembler à la procédure d'agrément des banques en matière d'activité de commerce extérieur. Autrement dit, la Banque d'Algérie sera amenée in fine à déployer les mêmes méthodes de fonctionnement, les mêmes outils de supervision et les mêmes artifices juridiques pour agréer ces nouveaux produits ou nouvelles activités.

- Pour les banques publiques, il suffit de faire une itération supplémentaire sur le niveau d'agrément : Banques --- Guichet ---- Produits.

- Créer une interface/ERP/Workflow de transmission des «dossiers de demandes d'agrément produits» totalement digitalisée et sécurisée pour plusieurs raisons prospectives qui seront dotées d'accès contrôlés (sécurité et enjeux commerciaux obligent).

Articles 17 et 18: Indépendance financière, logistique, comptable et humaine

Est-ce la meilleure façon de garantir la conformité absolue des activités, produits et services de la finance islamique aux préceptes et à l'esprit éthique et moral islamique ? Peut-être. Mais, dans ce cas, il aurait été préférable de créer des filiales exclusivement dédiées à ces activités avec les moyens adéquats et ressources nécessaires et suffisantes.

Or, l'esprit progressif qui prévaut dans les systèmes bancaires conventionnels vis-à-vis de la finance islamique est caractérisé par la tolérance des situations exceptionnelles jusqu'à ce que le marché atteigne une certaine maturité. Attention, je ne dis pas que c'est un mauvais choix ou une piste erronée. Mais posons-nous des questions sur deux notions importantes pour la réussite de toute démarche :

- Efficacité : Objectifs/Résultats

- Efficience : Résultats/Coûts

Dans l'état actuel des banques publiques et privées qui opèrent sur le marché national, au vu des parts de marché affichées, au vu des objectifs déclarés et non déclarés de l'encouragement de la finance islamique et au vu des conditions de son lancement, est-ce que les deux indicateurs ci-dessus seront bien optimisés ?

Je laisse mes lecteurs répondre pendant que moi, je vais passer aux propositions :

- Pour les banques dédiées totalement et exclusivement aux activités de la finance islamique, cette question ne se pose pas, car les actionnaires ont fait leur choix et ils l'assument pleinement avec tous ses exigences et impératifs juridiques, organisationnels, humains, matériels et financiers.

- Mais pour les banques conventionnelles privées qui souhaitent se lancer dans cette activité, ces conditions sont, à mon avis, trop coûteuses et trop lourdes en terme de ressources humaines et financières. Les impératifs de performances, les normes de fonctionnement qui y prévalent, notamment le coefficient d'exploitation, les taux de productivité et les normes RH ne permettront probablement pas de se lancer dans un tel exercice, pourtant nécessaire à la réussite des objectifs escomptés par les pouvoirs publics.

À moins d'une politique restrictive des revenus «faciles» issus de la banque conventionnelle, ces banques verront les investissements et les efforts à consentir et à décaisser, mais pas nécessairement les retombées positives et les avantages latents et potentiels à encaisser.

- Pour les banques publiques, dont les ressources publiques sont illimitées, qui représentent la majorité du système bancaire national, les normes du marché et indicateurs de performances ne sont pas évoqués lorsqu'il s'agit d'accompagner une décision politique et un choix stratégique. Elles s'y soumettront et lanceront bien évidemment ces guichets, heureusement d'ailleurs, alors même que cette organisation ne leur serait pas convenable.

Alors, pour toutes ces raisons, et afin de mettre toutes les chances du côté des banques dans leurs démarches et en vue de minimiser les frais et coûts de ce projet, par ailleurs, structurants pour l'économie nationale à terme, je propose de :

- Conserver la séparation stricte et nette des comptabilités des ressources, engagements et revenus des deux activités

- Garder, dans la mesure du possible, la séparation des systèmes informatiques et d'exploitation des deux activités, sans toutefois fermer totalement la porte aux adaptations possibles des systèmes en place si des solutions techniques et informatiques sont possibles en veillant à ce que les comptabilités soient séparées si ceci revient moins cher ou plus facile, plus sûr et sécurisé et plus rapide

- Examiner la possibilité de déroger aux règles AAOIFI et supprimer provisoirement cette obligation de séparation des ressources humaines et matérielles. Cette condition n'a pas de justificatif consensuel valable. Elle alourdit inutilement les investissements nécessaires et ne garantit absolument rien en terme de conformité ni en terme d'efficacité et d'efficience.

Article 19: Rémunération de l'argent vs rémunération du travail

Les conditions réglementaires des banques relatives à la rémunération de l'activité de finance islamique obligent les guichets et les banques de celle-ci à être transparents en matière de frais bancaires. Autrement dit, les banques et les guichets de la finance islamique sont tenus d'informer les clients de façon officielle et transparente de la composition et des modes de calcul des frais qui leur seront imputés : commissions, services, marges commerciales, forfaits et répartition des gains et des pertes (p.p.p). Dans le cas de la banque conventionnelle, on parle alors de T.E.G pour Taux Effectif Global. Cette obligation réglementaire et légale est également une recommandation de l'éthique islamique applicable aux contrats.

La transparence permet de bannir les vices cachés. La limitation des profits à un niveau raisonnable permet de bannir les comportements assimilés à de l'usure ou à de l'abus. L'information précise et claire fournie aux clients des guichets de la finance islamique permet à ces derniers d'apprécier les risques qu'ils auront à prendre, autrement dit bannir les opérations caractérisées par un risque démesuré et disproportionné appelé (Al Gharar). Donc, comment parler de finances islamiques alors que des taux minimum et maximum doivent être indiqués bien qu'assimilés dans les textes réglementaires de référence, à des taux de l'intérêt, que le présent règlement a expressément décrit comme interdit ?

Dans ce cas, les textes régissant les contrats commerciaux en Algérie sont beaucoup plus complets et détaillés, et renvoient aux différentes manières de conclure des opérations commerciales, dont la finance islamique s'inspire essentiellement du principe islamique instituant la licité des partenariats commerciaux et la prohibition des pratiques d'usure :

À mon avis, les dispositions réglementaires et juridiques régissant ces contrats commerciaux permettent de trouver des définitions juridiques de la majorité des contrats de la finance islamique sans pour autant qu'ils soient qualifiés de contrat de «prêt ou de crédit» proprement dit. Par conséquent, ils ne seront pas soumis à ces obligations de déclaration d'un TEG.

Ceci ne veut absolument pas dire que les banques et guichets de la finance islamique s'amuseront à verser dans les pratiques usuraires et des tarifications prohibitives. Les normes de la finance islamique permettent de construire des plafonds de rendement indexés à des références commerciales stables notamment les taux de référence des principales places financières internationales (souvent indexés sur des rendements de portefeuilles d'actions). Pour une meilleure appréciation de cet aspect, je propose ce qui suit :

- Le législateur pourrait clairement spécifier des références internes ou domestiques afin de plafonner ces tarifs sans en imposer l'affichage sous forme de taux d'intérêt tel que stipulé dans les textes réglementaires de renvoi.

A suivre...

*Ex-cadre de banque, consultant et conseiller en finance islamique.



Télécharger le journal