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Un gouvernement sans fondement constitutionnel

par Mourad Benachenhou

On veut faire croire, dans certains cercles «bien informés», si ce n'est «très proches du centre du pouvoir», qu'une fracture serait apparue dans les rangs de la pyramide politique qui domine le système actuel.

C'est, de toute apparence, une de ces «infoxes» dont la production s'accroît avec la complexité de la situation politique, et avec l'accélération des évènements, tout comme avec l'exacerbation des frustrations que cause la perte du contrôle des évènements.

Des divergences d'analyse liées à la complexité de la situation politique et aux différences d'intérêts individuels

Il y a probablement des différences d'analyse entre ceux qui sont encore aux commandes du pays. Mais rien de naturel dans ce type de circonstances, tellement les facteurs qui pourraient l'expliquer, donc permettre d'y remédier, sont nombreux, et tellement sont divergents les intérêts personnels de ceux qui prennent part à ce débat clandestin, loin des oreilles indiscrètes, et dont seuls quelques échos sont diffusés à l'attention du «peuple d'en bas» et certainement pas à des fins d'information objective.

Cependant, rien de ces divergences, telles qu'elles apparaissent dans les déclarations des uns et des autres, ne semble indiquer au sommet un ébrèchement ouvrant la voie à l'acceptation d'une nouvelle gouvernance rompant avec le système patrimonial actuel, paré d'un constitutionnalisme de façade laissant croire à l'existence d'un Etat de droit dans le pays.

Des désaccords portant sur la stratégie, non sur les objectifs

Les désaccords entre les tenants du pouvoir semblent porter d'abord et avant tout, sur la stratégie à adopter pour assurer la survie du système en le sortant de l'impasse dans laquelle il s'est enfoncé «de ses propres mains», suivant l'expression populaire. Car le blâme du soulèvement populaire vient avant tout de l'incapacité des animateurs de ce système patrimonial d'arrêter la dérive «papadoquiste» du mode de gouvernement du pays.

Comment transformer en une note au bas de la page de l'histoire du pays la mobilisation populaire pour un changement complet de système politique ? Telle est la question à laquelle les tenants du pouvoir tentent de répondre.

Un objectif tactique : entrer dans la proche zone de dormance politique

Il ne s'agit nullement de tenter même de manière marginale de prêter attention aux revendications populaires et de commencer à concevoir une programmation de sortie de l'impasse prenant en compte ces revendications.

Jusqu'à présent, les initiatives prises au sommet semblent être plus animées par la volonté de gagner du temps, en comptant sur l'essoufflement du mouvement populaire, que par la tendance à montrer une certaine compréhension à l'égard de ses revendications.

Le calendrier des décisions politiques s'ajuste aux périodes de dormance que sont le Ramadhan, dont le commencement se placera vers le 5 mai, et les vacances scolaires où tout un chacun sera plus préoccupé à organiser sa période de loisirs annuels qu'à penser à l'avenir du pays.

Donc, il suffit que les autorités publiques gèrent le temps, en distrayant l'attention de la population par des décisions sans importance, mais dont elles gonfleraient les répercussions, pour qu'enfin arrivent les périodes annuelles où le cardiogramme du pays peine à dépasser le plat de la ligne horizontale.

On peut compter les récents développements parmi les manœuvres dilatoires.

Une accélération factice des évènements

On a eu l'impression que les évènements se sont accélérés avec l'annonce fracassante d'une des plus importantes autorités du pays, sinon la plus dominante, de l'obligation d'activer l'article 102 de la Constitution, afin de mettre fin aux fonctions du chef de l'état actuel.

Cette déclaration, que certains ont interprétée comme un ordre, et c'est là leur point de vue, a été présentée comme un tournant capital dans l'évolution de la situation, car elle aurait indiqué que ce chef d'Etat aurait été lâché par son principal soutien.

C'est là une interprétation à la fois optimiste et erronée, optimiste car elle ferait croire que la voix du peuple aurait été finalement entendue, et erronée car, dans le fond, elle ne fait que constater officiellement ce que tout le monde sait depuis les quelques sept années : que le chef d'Etat est incapable d'assumer ses fonctions.

Comme cette fiction d'un homme physiquement, et sans aucun doute, mentalement diminué, mais encore supposé aux rênes du pouvoir, n'est plus utile, tellement elle apparaît invraisemblable, le moment opportun est finalement venu de faire référence à un article de la Constitution, qui aurait dû être mis en œuvre il y a sept années de cela. On n'a plus besoin d'un président virtuel, et, en même temps, on s'offre le luxe de prouver, à bon prix, qu'on est respectueux du texte fondamental du pays.

Bref, on reste dans la légalité «républicaine», tout en mettant fin à une situation des plus absurdes où la tête du pays est occupée par un homme dont les capacités physiques sont visiblement diminuées depuis fort longtemps.

Un système constitutionnel qui a perdu toute crédibilité

Le problème avec ce brusque sursaut de légalisme, c'est que le système constitutionnel actuel a perdu non seulement de sa crédibilité, mais également de sa force légale. Il n'est plus crédible parce que de multiples décisions prises récemment par les tenants du pouvoir, dont l'annulation des élections présidentielles, la prolongation du mandat présidentiel et l'établissement d'une période transitoire, ne trouvent leur appui dans aucun article de cette Constitution, et donc la violent de manière patente.

L'incapacité du Conseil constitutionnel de trouver à ces décisions un fondement légal tiré d'une des clauses du texte fondamental prouve, s'il le fallait encore, que ces décisions ont un caractère arbitraire sans base juridique.

En conséquence de ces décisions, la Constitution a perdu de sa force légale, car ont été introduites, dans la pratique du pouvoir, des actions qu'elle ne prévoie pas et qui touchent, non pas des dispositions marginales, mais le cœur et le sommet du système politique.

Dès lors que les conditions de désignation du chef de l'Etat et des modalités de son mandat sont violées, tout le reste du texte constitutionnel perd de sa puissance légale, par définition pour ainsi dire.

Le système constitutionnel actuel est un système présidentiel. C'est là une option imposée unilatéralement au peuple algérien. Cette option a une logique juridique, qui court à travers toute la pyramide du pouvoir. Dès lors que cette logique juridique est battue en brèche, par la violation d'une quelconque de ses composantes, le système présidentiel légalement établi s'effondre.

Dès lors que le chef de l'Etat, ou son substitut, proclame se maintenir au pouvoir sans référence à la Constitution, il reconnaît qu'il l'a suspendue, et que, donc, tous ses articles tombent en désuétude.

Un président du Conseil constitutionnel nommé en violation des statuts de sa fonction

On ne peut trop le répéter : la Constitution n'est pas un menu au choix.

Ou on la respecte au mot et à la virgule près, compte tenu des éventuelles interprétations qui sont le sort de tout texte humain, si important soit-il.

Ou on en viole une des clauses. Et sa puissance juridique s'effondre. Aucune dialectique, si bien pensée soit-elle, ne peut réparer ce qui a été obéré par une décision unilatérale des gouvernants. Il s'agit de rien d'autre que d'accepter le système constitutionnel comme mode d'établissement du gouvernement, en respectant chacune de ses clauses, ou de le refuser en choisissant uniquement de respecter les clauses qu'on a intérêt à respecter.

De plus, même la légalité du mandat du président actuel du Conseil constitutionnel est contestée, puisque les conditions de sa nomination violent le texte qui les définit. Ayant déjà occupé ce poste dans le passé, ce président est frappé d'interdiction d'un second mandat à la tête de l'institution chargée de veiller à l'intégrité de la loi fondamentale du pays. Il ne peut, légalement, ni présider les séances de cette auguste assemblée ni signer ses avis. Et donc, tous les avis de ce conseil, passés sous la présidence actuelle, pourraient légalement être considérés comme nuls et non avenus.

Quelle autorité pourrait statuer en seconde instance sur la légalité des avis de la plus haute instance juridictionnelle du pays, et qui a la charge de veiller à l'intégrité du système constitutionnel ? Le montage institutionnel actuel ne permet pas la censure des avis de ce conseil, au cas où ces avis souffrent de failles juridiques rédhibitoires.

Un gouvernement nommé sur des bases constitutionnelles incohérentes

Dans ce contexte constitutionnel ébréché, le chef de l'Etat, sur le point d'être mis à l'écart du pouvoir, du fait de son incapacité à exercer ses fonctions, peut-il légalement procéder à un changement de gouvernement ? On ne peut pas à la fois vouloir entamer une procédure mettant fin aux fonctions du chef de l'Etat, par l'activation de l'article 102, et considérer comme légalement valide sa décision de constituer une nouvelle équipe gouvernementale, quelle que soit sa composition, quel que soit l'âge moyen de ses titulaires et quels que soient la durée de leur mandat ou le contenu du programme qu'ils seraient chargés de mettre en œuvre.

On est là en plein imbroglio légal et en pleine violation non seulement de la Constitution, mais également des règles du bon sens politique le plus élémentaire.

En conclusion :

1. On ne peut conjecturer du contenu des conclaves «secrets » des réunions informelles, des débats officiels au sommet de la hiérarchie politique, ni, bien sûr ! encore moins des noms et titres de ceux qui y auraient pris part pour décider de la démarche à adopter pour confronter la colère populaire.

2. On peut, cependant, sans se tromper, imaginer qu'il doit exister, entre ces différents membres de la haute hiérarchie politique et militaire, des divergences d'analyse et d'intérêts personnels quant à la meilleure réponse à ce climat de révolte à la frange du soulèvement populaire.

3. Mais, ce qui apparaît à travers les décisions émanant de cette hiérarchie, c'est une position de refus, si ce n'est de rejet, des revendications que ces manifestations portent, et la détermination de revenir au statuquo, et de gérer la période transitoire vers un système politique modifié légèrement pour apaiser les esprits.

4. Il semble également que ces autorités utilisent des manœuvres dilatoires leur permettant de faire traîner la situation actuelle jusqu'à la période de dormance sociale annuelle, qui commence pendant le Ramadhan et se prolonge durant les vacance scolaires, leur donnant ainsi un sursis.

5. Toutes les décisions prises jusqu'à présent confirment cette analyse, y compris l'appel à la mise en œuvre de l'article 102 de la Constitution, et l'annonce de la formation du gouvernement de «transition».

6. Ces décisions ont été prises dans un contexte de violation de la Constitution, plus spécifiquement des articles relatifs à l'élection présidentielle, et la décision officielle de mise en place d'une période transitoire qui s'achèverait par une conférence nationale, décision non adossée à quelque clause que ce soit de cette Constitution.

7. L'annonce de la démission du présent président de la République avant la fin de son mandat ajoute encore plus à l'imbroglio constitutionnel, d'autant plus que cette annonce est accompagnée de la confirmation de la période transitoire, telle que confirmée par un avis du Conseil constitutionnel et dont aucune mention n'est faite dans la Constitution écrite actuelle; cette annonce apparaît comme une manœuvre supplémentaire destinée à confirmer la continuation du même système et sa reconsolidation après le départ du présent chef d'Etat; on peut également se poser la question de l'authenticité du preneur de la décision.

8. De plus, le mandat même du présent président du Conseil constitutionnel, supposé donner son avis sur les modalités d'application des clauses de la Constitution, est sujet à invalidation.

9. Donc, le socle constitutionnel des autorités actuelles est ébréché, si ce n'est absent.

10. C'est un gouvernement de fait qui gère le pays et non un gouvernement de droit.

11. Cette situation d'inconstitutionnalité de l'autorité gouvernementale pourrait se justifier par le caractère exceptionnel de la situation que vit le pays.

12. Mais elle ne saurait se prolonger sans préjudice profond pour le système institutionnel du pays.

13. A un défaut de légitimité prouvé par le caractère massif des manifestations s'ajoute un défaut de fondement légal aux actes et décisions des autorités étatiques.

14. Cette situation appelle à des solutions rapides avant qu'elle ne dégénère en anarchie administrative et en effondrement du système politique.

15. Mais la sortie de cette phase dangereuse de l'histoire du pays ne peut s'effectuer que si les autorités politiques actuelles acceptent de se mettre à l'écoute, sous une forme ou une autre, des revendications populaires, sous une forme qui prouve la sincérité de ces autorités et leur volonté d'assurer avec sagesse que ce pays évolue rapidement vers un système politique plus conforme aux vœux de la population.

16. Quelle forme prendrait cette écoute ? En tout cas pas celle d'une conférence concoctée et gérée par les autorités politiques actuelles. Ce genre d'exercice a été tenté auparavant, et il a abouti à la consécration du statuquo politique que le peuple algérien semble bien décidé à briser !



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