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La transition énergétique dans l'impasse: L'Algérie s'enfonce dans le péril (4ème partie)

par Y. Mérabet *

Potentiel et limitations de l'énergie solaire

L'épuisement des sources d'énergies conventionnelles, les problèmes de pollution, les risques liés au nucléaire et les progrès technologiques font que le monde se tourne de plus en plus vers les énergies renouvelables, en particulier le solaire et l'éolien, malgré les coûts élevés qui freinent quelque peu l'expansion de ces sources d'énergie inépuisables et propres.

Leur potentiel prend tout son sens lorsqu'on sait que 1% des surfaces arides et semi-arides couvertes de capteurs solaires suffirait pour alimenter la planète en électricité. Bien que les coûts du photovoltaïque (PV) aient chuté de plus de 30% au cours des dernières années, ils restent encore élevés par rapport à ceux des sources d'énergie fossiles. Ceux du thermo-solaire, quant à eux, stagnent à des niveaux encore bien plus élevés ce qui le rend de moins en moins attrayant. À tel point que certaines compagnies qui avaient opté pour des projets thermo-solaires au départ, ont décidé de faire marche arrière au dernier moment en faveur du photovoltaïque moins coûteux.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit pour sa part que, d'ici 2030, 40% de l'énergie électrique dans le monde sera d'origine renouvelable, solaire principalement. C'est également le but visé par l'Algérie qui prévoit, elle aussi que, à l'horizon 2030, près de 40% de l'énergie électrique nationale proviendra de l'énergie solaire. Le pays, avec environ 3900 heures/an d'ensoleillement au sud et 2550 heures/an au nord ainsi que de vastes espaces désertiques et arides se prêtant parfaitement au déploiement des fermes solaires, ne peut qu'être tenté par de tels atouts. Il se prépare donc, dans le cadre d'un programme projeté à partir de 2011, à mettre en place d'ici 2030 un méga-projet de 22 000 MW d'électricité, thermo-solaire essentiellement. Mais il ne faut pas perdre de vue que les projets solaires sont coûteux et ne sont pas viables sans les subventions et les mesures incitatives dont ils bénéficient de la part des Etats. De plus, ils restent soumis à de sérieuses limitations techniques. Qu'en est-il pour le projet algérien ?

Limitations techniques

Une limitation majeure de l'énergie solaire est qu'elle ne peut être captée que le jour, lorsque le soleil brille. Non seulement la production d'une station solaire est nulle durant la nuit mais elle peut également se trouver considérablement réduite par temps nuageux ou lors de vents de sable.

Le problème qui se pose nécessite donc, pour être réglé, le recours à une capacité de stockage permettant de stocker un surplus d'énergie produit le jour pour le déstocker la nuit et pendant les périodes de pointe ou de faible ensoleillement. Or, là aussi il y a problème car les procédés de stockage à grande échelle de l'énergie sont encore au stade de la recherche ou du pilote avec une multitude de projets en cours.

Ils manquent encore de fiabilité sans parler des coûts souvent exorbitants. Le plus avancé est celui du stockage thermique de la chaleur dans des réservoirs remplis de sels de nitrates en fusion portés à une température d'environ 400°C, ce qui limite son application au thermo-solaire seulement et en exclut le photovoltaïque. Il fait actuellement l'objet d'essais commerciaux en Espagne dans la station thermo-solaire d'Andasol (Espagne) basée sur des miroirs cylindro-paraboliques. Ses capacités de stockage, qui ne dépassent pas les 7 heures par jours, sont insuffisantes et on ne sait pas grand-chose sur ses autres performances de fonctionnement. Un autre projet, celui de Gemasolar, basé sur le procédé différent et excessivement cher de tours thermo-solaires capables d'atteindre des températures de stockage plus élevées d'environ 550°C, a pu fonctionner 24/7 mais seulement pendant quelques périodes de fort ensoleillement.

Au vu de son état d'avancement actuel, le stockage thermique ne peut pas garantir une alimentation électrique fiable pendant la nuit, les heures de pointe et les périodes de faible ensoleillement. Il peut être tenté, à titre d'essai, dans une petite centrale mais n'est pas assez mûr et reste trop risqué pour un projet à grande échelle. Quant au photovoltaïque, son stockage reste encore plus problématique.

Inconvénients des centrales hybrides solaire/gaz

On constate actuellement une tendance qui consiste à promouvoir l'énergie solaire dans le cadre de centrales électriques hybrides solaire/gaz. La centrale hybride qui vient d'être réalisée à Hassi R'mel (Tilghemt) est un très bon exemple qui mérite d'être discuté. Il s'agit en fait d'une grosse centrale à gaz à cycle combiné de 120 MW à laquelle est intégrée une petite station thermo-solaire de 30 MW. Dans ces conditions, chaque fois que l'annexe solaire nous économise un certain volume de gaz, la centrale à gaz en consomme 4 fois plus le jour et autour de 5 fois plus la nuit, soit environ 9 à 10 fois plus au total. Et même davantage si la station solaire ne fonctionne pas au maximum de ses 30 MW.

Miroirs cylindro-paraboliques de la station thermo-solaire de Hassi R'mel

Un pareil projet ne peut se comprendre ni se justifier en tant que projet solaire car très fortement déséquilibré en faveur du gaz, ce qui le dévie de l'objectif solaire recherché. Par contre, il se justifie pleinement et prend tout son sens s'il a été conçu en tant que centrale à gaz intégrant dans son enceinte un pilote solaire.

Ce serait là une excellente démarche permettant de se lancer dans l'expérience du solaire avec un pilote à moindres coûts puisque les coûts logistiques, opératoires et de stockage sont réduits ou éliminés dans le cadre d'un projet intégré.

Tant que les problèmes de stockage se poseront, le choix d'une solution consistera donc à soupeser les avantages et les inconvénients d'une station 100% solaire, d'une centrale hybride et d'une centrale 100% gaz. Le programme solaire national reste discret sur ce point.

Le méga-projet solaire est-il rentable?

En plus des limitations techniques que nous venons de voir, l'autre limitation majeure du solaire est celle de la rentabilité. On peut en avoir une bonne idée pour le méga-projet algérien en estimant les coûts d'investissement par rapport à la valeur des quantités de gaz qu'il permettra d'économiser. Nous supposerons que le projet n'accusera aucun retard.

Or, lorsqu'on sait que la petite station solaire d'à peine 30 MW de Hassi R'mel a nécessité une surface de 180 hectares pour le déploiement des miroirs paraboliques et autres installations connexes ainsi que de longs délais de réalisation (l'ensemble de la centrale hybride a demandé près de 5 ans), il n'est pas évident qu'un projet de 22.000 MW, donc environ 733 fois plus important en surface, en installations et en financement que la partie solaire, puisse être réalisé en totalité d'ici 2030.

En supposant qu'il le sera, quel va être le volume de gaz qu'il permettra d'économiser ?

Le calcul est simple. Par analogie avec la station solaire de Hassi R'mel qui, si elle fonctionne à 100% de ses 30 MW, permettra d'économiser 7 millions de m3 de gaz par an comme l'a précisé le constructeur (information confirmée par le calcul), le projet de 22 000 MW permettra d'en économiser 733 fois plus en 2030 soit 5,13 milliards de m3/an..

Bien que substantiel, cet apport de 5 milliards de m3/an correspond tout juste à 11% des exportations actuelles. Il ne soulagera que très légèrement une rente gazière en voie de disparition d'ici 2030 si rien n'est fait pour retarder cette échéance. Un gros effort restera donc à fournir pour compenser un tel déficit ainsi qu'il est expliqué dans une précédente contribution intitulée «Déplétion des gisements conventionnels et après-pétrole'' (Liberté du 31 juillet 2013).

Mais la question fondamentale qui se pose à ce stade est de savoir si les 5 milliards de m3 de gaz économisés annuellement permettront de compenser les investissements énormes du programme solaire. En d'autres mots, le méga-projet est-il rentable ? Il est possible d'estimer ces investissements par comparaison avec ceux de la station solaire de Shams1 à Abou Dhabi qui est revenue à $ 600 millions pour une puissance totale de 100 MW. Cette station a été choisie comme référence, parmi d'autres, car elle a été construite dans un site comparable à ceux du désert algérien, ce qui laisse supposer des coûts similaires. Ces coûts apparaissent d'ailleurs tout à fait raisonnables d'autant plus qu'ils s'avèrent conservateurs par rapport à ceux de la station d'Andasol en Espagne qui, pour une puissance de 50 MW, est revenue à 0 millions. Ils apparaissent encore plus raisonnables que les coûts de la partie solaire de Hassi R'mel.

Par conséquent, si la station de Shams1 est revenue à 0 millions, le méga-projet de 22 000 MW reviendra 220 fois plus cher soit environ 2 milliards sans compter les coûts opératoires et de maintenance. La durée de vie d'une station solaire n'est pas bien définie mais se situerait autour d'une trentaine d'années (probablement moins dans l'environnement agressif du désert). La quantité maximum de gaz qu'elle pourra économiser pendant cette période de 30 ans sera de 150 milliards de m3, à raison de 5 milliards de m3/an. Sur la base d'un prix actuel d'environ le Mbtu de gaz correspondant à ceux des contrats de longue durée (donc un prix de vente élevé par rapport au ou du marché spot) cela permettra d'économiser un total de ,07 milliards contre $ 132 milliards d'investissements c'est-à-dire une perte de ,93 milliards. Donc le projet loin d'être rentable. Supposons maintenant une durée de vie de 50 ans au lieu de 30. Le même calcul nous donne un gain total de ,85 milliards contre 2 milliards d'investissements donc une perte de .15. Opération toujours loin d'être rentable. En réitérant les mêmes calculs avec les prix spots de ou le Mbtu, la situation serait bien pire évidemment avec des pertes doublées. À titre de comparaison, le projet solaire revient en quelque sorte à investir 132 milliards de dollars pour gagner l'équivalent d'un gisement plutôt modeste d'à peine 150 milliards de m3. Il est certain que pour un pays sous-exploré et sous-exploité comme l'Algérie, une partie seulement de cet investissement suffirait pour découvrir plusieurs fois ce volume et améliorer la récupération des champs en cours d'exploitation. Alors que l'autre partie pourrait être investie dans des projets de développement hors hydrocarbures pour faciliter la transition vers l'après-pétrole tout proche. Quitte, évidemment, à revenir au solaire plus tard lorsqu'il aura atteint un niveau de rentabilité suffisant. ( ...)

On retient en conclusion que : il serait donc prématuré de se lancer dans des projets à grande échelle avec des coûts aussi démesurés tant que les conditions de rentabilité ne seront pas réunies ce qui n'empêche pas, entre temps, de s'engager dans des petits pilotes pour se préparer au jour, espérons-le, pas trop lointain, où elles le seront. Les centrales hybrides ne font pas exception. Elles seront toujours moins rentables qu'une centrale à gaz classique de même puissance tant qu'une station solaire sera moins rentable qu'une centrale à gaz, et seront même beaucoup moins rentable si la partie solaire devient trop importante par rapport à l'ensemble.

A suivre...

*Ingénieur d'Etat, expert en énergie. Association algérienne des Relations internationales - 119 Bd Didouche Mourad, Alger Centre



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