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La transition énergétique dans l'impasse: L'Algérie s'enfonce dans le péril (3ème partie)

par Y. Mérabet *

Signification et fiabilité des chiffres de réserves

Les réserves dites techniquement récupérables peuvent donc s'avérer très déroutantes, non seulement parce qu'elles sont souvent confondues avec les réserves économiquement récupérables mais aussi parce que leur estimation est très imprécise. Le cas de l'Algérie est un bon exemple pour illustrer ce qui vient d'être dit. En effet, si les réserves techniquement récupérables y ont été estimées à 27.000 milliards de m3, en réalité les réserves économiquement récupérables sont nulles (0 m3), car actuellement non rentables. Cela se comprend aisément lorsqu'on sait que le coût d'un forage tourne autour de millions -sans compter les autres coûts- et qu'il ne peut être compensé par des réserves techniquement récupérables d'à peine (comme déduit plus bas) une trentaine de millions de m3/puits. Est-ce à dire qu'une production rentable ne sera jamais possible ? Absolument pas ! Car tôt ou tard elle le deviendra avec notamment la baisse des coûts, l'accroissement de la récupération et l'augmentation des prix. Mais il est peu probable que cela se produise avant le moyen ou le long terme. Le cas de la Pologne est encore plus parlant. Avec au départ les plus importantes réserves de gaz de schiste en Europe estimés à 5.300 milliards de m3, ce pays a vite fait d'attirer de nombreuses compagnies internationales pour prospecter son sous-sol. Suite au forage d'une cinquantaine de puits, il s'est avéré que les réserves ne présentent aucun intérêt économique. A tel point que les principales compagnies telles qu'Exxon /Mobil, Marathon, Talisman, Total et ENI ont fini par jeter l'éponge et décidé d'arrêter leurs opérations dans ce pays. A cela s'ajoute l'imprécision des réserves. Pour l'Algérie, elles ont au départ été évaluées à 6.000 milliards de m3 de gaz par l'EIA qui vient de les porter à plus de 20.000 milliards de m3, alors que le MEM va encore plus loin en annonçant le chiffre de 27.000 milliards de m3. Tout cela en l'espace de deux ans. Pour la Pologne c'est l'inverse. Au départ, elles avaient été estimées à plus de 5.300 milliards de m3.

Elles viennent, suite au forage de la cinquantaine de puits, d'être revues drastiquement à la baisse et varient vaguement entre 800 et 2.000 milliards. De nombreux pays font périodiquement l'objet de fortes réévaluations à la hausse ou à la baisse. Donc, affaire à suivre.

Un potentiel de production limité et loin de répondre aux attentes anticipées

La connaissance du potentiel de production des futurs puits à schistes algériens est d'une grande importance pour deux raisons principales. D'abord pour estimer les réserves économiquement récupérables. Ensuite pour établir des prévisions de production fiables pour le scénario de développement retenu.

Comme expliqué plus haut, il est impossible d'obtenir cette information dans les pays comme l'Algérie, où il n'existe aucune exploitation de puits à schistes. Par conséquent, le seul moyen pour estimer au mieux le potentiel de production consiste à entreprendre une comparaison analogique par rapport à l'immense base de données issue des centaines de milliers de puits américains, seule référence disponible.

Les statistiques établies à partir de ces données par des organismes tels que l'EIA et l'US Geological Survey ainsi que divers consultants montrent que la récupération ultime moyenne d'un puits à gaz sur l'ensemble des bassins américains est d'un Bcf (environ 30 millions de m3) pour une durée de vie moyenne de 10 ans.

Cette information a déjà permis de déduire plus haut que l'exploitation des hydrocarbures de schiste en Algérie n'est pas encore une opération rentable. Elle permet également de déduire que le projet de développement prévoyant le forage de 240 puits par an pour produire 60 milliards de m3/an est très surestimé, car il ne pourra produire qu'environ 7 milliards de m3/an à moins de forer 2000 puits/an. Le constat qui en découle à ce point est que le potentiel de production des hydrocarbures de schiste est limité et ne dépendra pas de l'importance des réserves, même si elles s'avèrent très vastes. Il dépendra surtout et avant tout du nombre de puits qu'il sera possible de forer par an, c'est-à-dire des moyens technologiques et logistiques qui pourront être mobilisés.

L'autre constat est que les 7 milliards de m3/an que pourront produire les 240 puits forés annuellement permettront de couvrir moins de 9% des 80 milliards de m3 de gaz prévus pour la consommation nationale à l'horizon 2030. Et même si l'Algérie réussissait la prouesse de forer 2.000 puits par an pour produire les 60 milliards/an souhaités, leur production n'arrivera même pas à satisfaire cette consommation.

Tout se passe comme si mère nature, très déçue par la production démesurée et le gaspillage excessif des hydrocarbures, avait décidé de mettre un frein à sa générosité en les distribuant au compte-goutte et au compte-bulle avec des coûts autrement plus élevés. Les rentes fabuleuses auxquelles nous nous sommes habitués ne seront plus, dans quelques années, qu'un souvenir nostalgique. Alors que la transition économique vers une économie diversifiée, seule solution de remplacement pour s'émanciper de la rente, stagne sans amélioration en vue. Sinon comment expliquer que le pays soit inondé d'oranges et de figues sèches, pour ne citer que ces produits, importés d'Espagne et d'ailleurs, alors que c'est plutôt l'inverse qui devrait se produire.

Conclusions :

Dans ces conditions, il ne faudra pas trop compter sur les hydrocarbures de schiste (même si on leur ajoute les énergies renouvelables et autres énergies alternatives) pour prolonger la rente actuelle en voie de disparition.

Par conséquent, la solution ne réside pas dans une transition énergétique vers un mix ne pouvant qu'être déficitaire, mais plutôt dans une transition économique vers une économie diversifiée, capable de s'émanciper de la rente et où la transition énergétique ne serait que l'une des composantes de la diversification.

La fracturation hydraulique peut-elle compromettre les nappes d'eau du sous-sol saharien ?

La fracturation hydraulique des schistes fait l'objet de nombreuses controverses et appréhensions car elle est perçue comme étant la source de la plus grave des atteintes à l'environnement : la pollution et l'épuisement des nappes d'eau du sous-sol.

Il est donc nécessaire de clarifier les choses et dissiper les malentendus afin que chacun puisse se faire sa propre opinion à ce sujet. Tout d'abord, avant d'entrer dans le vif du sujet et afin d'en faciliter la compréhension, il convient d'apporter quelques informations de base sur les hydrocarbures de schiste et la fracturation hydraulique.

Le gaz et le pétrole de schiste (shale gas et shale oil) sont, contrairement à ceux des gisements conventionnels, contenus dans une roche argileuse compacte à perméabilité presque nulle. Les produire dans ces conditions est un défi impossible qui vient pourtant d'être relevé. Il revient pratiquement à extraire des hydrocarbures à partir d'une roche aussi compacte que du béton. De ce fait, lorsqu'un puits vertical traverse un réservoir schisteux, celui-ci ne peut que difficilement expulser (ou plutôt transpirer) les fluides qu'il emprisonne. Pour obtenir un débit rentable, il faut donc accroître la surface d'intersection puits/schistes que même un puits horizontal, avec une surface des dizaines de fois plus grande, reste lui aussi loin de satisfaire.

Il a fallu attendre l'avènement d'une percée technologique de fracturation dite multi-stage fracking qui, appliquée à un puits horizontal, a permis enfin de se rapprocher du seuil de rentabilité. Un seuil qui n'a pu finalement être franchi qu'avec l'embellie des prix du gaz d'il y a une dizaine d'années.

La technique consiste à orienter un puits horizontal dans une direction particulière afin que les fractures, toujours verticales à ces profondeurs, se forment perpendiculairement au drain horizontal. Il devient possible, de cette façon, de fracturer le puits segment après segment et d'aligner ainsi un grand nombre de fractures sur des distances kilométriques, en une sorte de brochette géante de fractures. Il en résulte alors des dizaines de fractures, plus ou moins parallèles, qui pénètrent profondément à l'intérieur du réservoir schisteux, drainant ainsi des débits et des réserves bien plus élevés, contrairement à un puits vertical où une seule fracture est possible.

L'opération implique l'injection, sous très haute pression, d'une formulation de fluides composée d'eau, d'agents de soutènement (sables ou produits similaires) et d'environ 0.5% de produits chimiques dont certains toxiques. Lors de la fracturation, le sable en suspension dans l'eau pénètre dans les fractures et s'y piège en les empêchant de se refermer sur elles-mêmes, créant de la sorte des drains à travers lesquels le gaz ou le pétrole peut s'écouler en bien plus grande quantité vers le puits. Le nombre élevé de fractures qui sont créées nécessitent d'importants volumes d'eau, allant d'environ 7.000 à 15.000 m3 d'eau par puits.

Enjeux liés aux nappes d'eau de l'Albien et aux hydrocarbures de schiste

Il est important de rappeler à ce stade que le sous-sol saharien contient d'immenses volumes d'eau douce dans le Continental Intercalaire (CI) ainsi que dans le Continental Terminal (CT), l'essentiel se trouvant dans l'Albien qui s'étend sur plus d'un million de km2 et déborde sur plusieurs pays voisins. Une véritable mer d'eau douce à faible profondeur contenue dans des formations sablo-gréseuses de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur et d'autant plus précieuse qu'elle se trouve dans une des régions les plus arides de la planète.

Le sous-sol saharien contient également d'immenses réserves d'hydrocarbures dans les couches beaucoup plus profondes du Trias et du Paléozoïque. Mais des réserves en voie d'épuisement alors que l'économie du pays reste fortement tributaire de cette ressource qui représente près de 98% de ses exportations. Et voilà qu'on nous annonce que cette rente risque de disparaître bientôt, autour de 2020 pour le pétrole et autour de 2030 pour le gaz, alors que nous ne pouvons pas nous en passer car nous ne sommes pas prêts pour l'après-pétrole.

À ces réserves viennent maintenant s'ajouter de vastes réserves non conventionnelles que sont les hydrocarbures de schiste, potentiellement bien plus importantes. Or c'est précisément autour de ces dates de fin de rente, et pas avant, que les hydrocarbures de schiste pourraient connaître un début de production s'ils s'avèrent exploitables. Ce serait là une chance inespérée qui tomberait au moment où on en aurait le plus besoin et sans laquelle le passage vers une économie d'après-pétrole serait beaucoup plus problématique avec une population qui avoisinera alors les 50 millions.

Nous nous trouvons donc confrontés, si risque de pollution il y a, au dilemme d'avoir à sacrifier une des deux richesses inestimables et indispensables du sous-sol saharien : l'aquifère de l'Albien ou les hydrocarbures de schiste. Par conséquent, la question fondamentale qui se pose à ce point est de savoir s'il y a vraiment risque de pollution. Dans l'affirmative, il faudrait interdire sans hésiter l'exploitation des hydrocarbures de schiste pour préserver les nappes aquifères. Dans la négative, il serait possible de tirer profit de ces deux richesses qui deviendraient complémentaires et non exclusives l'une de l'autre. Sont-elles incompatibles ? Ou au contraire est-il possible de ménager le chou et la chèvre afin de tirer profit des deux ?

L'enjeu est énorme et nous interpelle pour répondre à la préoccupation centrale de savoir si la fracturation hydraulique peut vraiment polluer et épuiser les aquifères.

La fracturation hydraulique peut-elle polluer les aquifères de l'Albien ?

L'argument principal de ceux qui s'opposent au développement des hydrocarbures de schiste est que les fluides de fracturation et les hydrocarbures peuvent, au terme de l'opération, remonter à travers les formations de subsurface jusqu'au niveau de l'Albien et le polluer irrémédiablement. Et même que, dans des cas extrêmes, les fractures elles-mêmes pourraient remonter jusqu'à ces nappes, les pénétrer et les polluer directement.

Or, cela est quasiment impossible pour plusieurs raisons. D'abord parce que la distance séparant l'extrémité supérieure des fractures et la base de l'Albien peut atteindre les 2 kilomètres. Qui plus est, cette séparation est constituée d'un empilement de formations lithologiques dont la plupart sont imperméables. C'est le cas des argiles, du sel, de l'anhydrite et des carbonates se présentant sous forme d'une multitude de bancs massifs d'épaisseur métrique à décamétrique absolument étanches sans parler d'une infinité de laminassions de même nature. Ces formations, qui se répètent en une infinité d'intercalations imperméables jusqu'à la base de l'aquifère et même au-delà jusqu'en surface, se comportent comme autant de barrières infranchissables s'opposant à toute migration de fluides, artificiels ou naturels, vers la surface.

On peut même imaginer le cas extrême et hautement improbable d'une fracture se propageant accidentellement à travers ces formations ou par l'intermédiaire d'une faille, jusqu'à pénétrer directement l'aquifère près de deux kilomètres plus haut. Si ce cas impensable pouvait se produire, seul l'extrême bout de la fracture y pénétrerait, ce qui signifie qu'une quantité négligeable de fluide de fracturation y parviendrait.

En outre, lors du dégorgement des puits qui suit toujours les opérations de fracturation, l'aquifère serait lui aussi aspiré et repousserait cette quantité négligeable de fluides polluants vers le puits. Une pareille fracture, ou faille, ne manquera d'ailleurs pas de se colmater rapidement au niveau des bancs d'argile et de sel, relativement plastiques et fluents aux pressions et températures auxquelles ils sont soumis, et tout mouvement de fluides cessera.

En fait, les accidents de cette nature sont pratiquement impossibles grâce à la panoplie de modèles numériques permettant de prévoir, entre autres, la hauteur des fractures avec une bonne précision et d'éviter toute anomalie éventuelle. Sans parler de la micro-sismique qui permet de suivre en temps réel l'évolution de tous les paramètres de la fracture (en particulier la hauteur) et de prendre pendant l'opération toute mesure d'urgence ou d'arrêt qui s'impose.

On pourra même se passer de ces techniques dans la plus grande partie du bassin saharien car il s'y trouve, au niveau du Trias salifère, une épaisse couche de sel massif de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur située à mi-distance entre les formations de schiste et l'Albien. Cette couche forme une barrière absolument infranchissable à toute fracture quelles que soient ses dimensions car celle-ci viendrait tout simplement y mourir étouffée par le sel.

Enfin, il existe un argument géologique de poids prouvant qu'aucune fracture ou migration de fluides ne peut, ni n'a pu, atteindre l'Albien. En effet, si tel était le cas, les hydrocarbures auraient pu migrer vers la surface au cours des temps géologiques, au lieu de rester piégés là où ils sont, et aujourd'hui on trouverait des gisements d'hydrocarbures dans l'Albien lui-même. Il en aurait été de même pour les eaux saturées en sel des aquifères profonds qui auraient transformé la nappe d'eau douce de l'Albien en mer d'eau salée. Tout se passe comme si mère nature s'était elle aussi mise de la partie pour protéger jalousement ses aquifères en empêchant les intrus les plus obstinés de s'y rapprocher.

Pour conclure ce chapitre, nous pouvons dire que les risques de pollution des nappes aquifères par les fluides de fracturation sont quasiment nuls. Et ces risques pourraient être rapprochés encore d'avantage du risque zéro par les agences de régulation en imposant une distance minimum de sécurité, à définir pour chaque secteur, entre l'extrémité supérieure de la fracture et la base de l'Albien. Par exemple 500 m ou plus.

Tous les secteurs où cette distance serait inférieure au minimum requis devraient tout simplement être déclarés zones interdites à la fracturation hydraulique en attendant que des techniques plus sûres soient développées. On pourra d'ailleurs se passer facilement de ces zones vu l'immensité du domaine minier algérien.

Enfin, tout ce qui vient d'être dit ne concerne, bien entendu, que la fracturation hydraulique. Pour le reste, l'exploitation des hydrocarbures de schiste est, malheureusement, tout aussi polluante que celle des hydrocarbures conventionnels mais ni plus ni moins. Nous y reviendrons.

Fracturation hydraulique et volumes d'eau requis

Un des gros problèmes de la fracturation hydraulique multi-stage réside dans les énormes volumes d'eau qui doivent être mobilisés pour les besoins de l'opération. Chaque puits en consomme environ 7.000 à 15.000 m3 d'où une forte réticence devant un usage perçu comme un gaspillage dans une région en manque d'eau.

Mais au fait manque-t-il de l'eau dans le bassin saharien ?

D'après les évaluations de l'ANRH (Agence nationale des ressources hydrauliques), les réserves d'eau du bassin saharien se situent entre 40.000 et 50.000 milliards de m3. Quant aux capacités de production, elles sont estimées à 6.535 millions de m3/an avec un soutirage actuel de 2.748 millions de m3/an pour les besoins agricoles, industriels et autres, ce qui laisse un surplus de 4.070 millions de m3/an pour des activités supplémentaires.

Sur la base de 15.000 m3 par puits, il faudra 15 millions de m3 pour 1000 puits et 150 millions de m3 pour 10.000 puits, soit respectivement 0,00003% et 0,0003% des réserves en place. S'ils sont forés à raison de 200 puits par an, la consommation totale s'élèvera à 3 millions de m3/an, ce qui représente 0,073% du surplus disponible annuellement.

A suivre...

*Ingénieur d'Etat, expert en énergie - Association algérienne des relations internationales - 119 Bd Didouche Mourad, - Alger Centre



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