|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
J'avais atteint ma onzième année quand je franchis les portes du collège
de SLANE de Tlemcen. Une de mes tantes maternelles _ j'en avais Six. Ayant vu
le jour en 1908, était la seule de ses sœurs à avoir poursuivi ses études,
chose rarissime à son époque jusqu'au certificat d'études primaires. Elle ne
parlait à aucun enfant de la famille sauf à ses enfants et à moi.
Je lui étais très proche .Elle m'aimait. Je le sentais bien. Elle était aux petits soins pour moi. Elle lisait avec passion les romans-feuilletons. On devinait l'ardeur de son intérêt pour la lecture à l'éclat très vif de son regard. Un jour, elle me parla ravie et fière de son cousin MOHAMED DIB qui venait de publier en France son livre : LA GRANDE MAISON. Elle était d'autant plus satisfaite de son cousin qu'elle tirait une certaine vanité d'avoir été née précisément dans cette maison appelée DAR SBITAR. Son père EL HADJ AHMED DIB a quitté cette maison en 1909 pour aller habiter à sidi bel abbés .Au cours de cette même année il se rendit au pèlerinage à dos de chameau en compagnie de son cousin HADJ MOHAMED DIB, son beau frère HAMMOU MAMI et trois amis des commerçants de SIDI BELABBES. Ma tante avait pour prénom CHERIFA . mais toute la famille l'appelait ZININA à cause sans doute de sa beauté physique et de ses belles qualités morales. Excellente cuisinière, elle était la coqueluche de ses sœurs et de ses cousines En 1919, mon grand- père maternel ELHADJ AHMED DIB revint à Tlemcen et habita rue ELHADJAMINE où demeura plus tard la famille de mon ami le regretté DIB DJAMEL et mon cousin EL HEBRI BENHAMDANE. J'entendis bien souvent ma tante CHERIFA égrener ses souvenirs d'enfance passée dans une rue sombre à quelques pas de la maison où habitait MOHAMED DIB. Elle se souvenait de ce jeune cousin moins âgé qu'elle d'une douzaine d'années, comme d'un enfant sérieux et tendre mais timide et solitaire .Tout ce qu'elle me disait était passionnant. J'étais tout ouïe. La manière dont elle me racontait m'intéressait à un point tel que j'en étais charmé. Aujourd'hui quarante années ont passé, je n'ai pas oublié sa voix douce et ses intonations très expressives. En 1956, j'avais seize ans. Mon responsable des fida m'ordonna d'enlever le redoutable subtitut du procureur de TLEMCEN qui sévissait contre les militants du F L N. C'est ce que je fis sans succès avec le concours des frères ETCHIALI KOUIDER ET BELHADJI ABDERAHIM. On dit que la jeunesse et l'enthousiasme vont souvent de pair. Après l'échec de cette tentative , je courus dare-dare chez ma tante CHERIFA. Elle était seule dans sa maison. j'avais une envie irrésistible de lui confier ce secret. J'étouffais. Je demeurais en face d'elle un peu de temps sans parler puis quand j'eus fini le récit de L'insuccès de l'enlèvement du magistrat, elle dit : << qu'est ce que tu racontes ? vous l'avez raté ? Mes compliments ! Sa réflexion congrue me confondit et j'ai pris congé d'elle avec l'air d'un empaillé. La famille DIB dont elle descendait est une ancienne famille de petite bourgeoise. Son père HADJ AHMED , grand amateur de musique, était très liè avec son cousin GHOUTI DIB, le grand- père de MOHAMMED DIB qui fut, comme son frère SIDI MOHAMMED, un grand maître de la musique andalouse à TLEMCEN. A la fin du XIXème siècle, quand on souhaitait entendre la musique, c'est chez les deux frères DIB qu'on allait. Ce n'est pas un des moindres attraits de Tlemcen de cette époque que son extrême reconnaissance à ses artistes qu'elle consacrait avec éclat. Ma tante connaissait l'intimité de la vie familiale où évoluait le jeune Mohammed. Elle connaissait ses peines et ses joies. Elle savait qu'elle était torturée par le froid, la faim et l'incertitude du Lendemain .très tôt orphelin de père, le jeune Mohammed fut passionnément attaché à sa mère et à un cercle de famille restreint Et immuable A la sortie de l'école, il flânait dans les rues et en Profitait pour observer la vie quotidienne des petites gens : artisans , petits épiciers, garçons de café. Il avait l'habitude de les voir peiner Autour de lui. Parfois, il avait des frémissements de compassion et il En souffrait secrètement. J'écoutais admiratif et fort triste. Je lui posais mille questions sur la famille DIB, les études, les occupations auxquelles vaquait Mohammed DIB. << Mohammed Dib me disait - elle en me montrant son livre percera, Montera Très haut. J'en suis sûre et certaine Ma tante avait dit vrai. L'œuvre Mohammed DIB est aussi vaste que variée. Elle se prête Donc mal à une analyse succincte. Retenons l'essentiel. Sa voie Véritable fut le roman et la poésie. De formation classique, il fut romantique et classique à la fois. Très tôt, il connut la gloire et les honneurs. Ce n'est donc pas par hasard que c'est à Tlemcen que Mohammed DIB a placé le sujet de ses premiers romans : la grande maison (Paris Le seuil1952) ; l'incendie (Paris le seuil 1954) au café (Gallimard 1956) le métier à tisser (Paris le seuil 1957). Ce n'est donc pas par hasard aussi qu'il fit d'une grande partie de son œuvre la peinture des classes populaires que la misère et l'injustice n'ont jamais épargnées durant la longue nuit coloniale MAURICE Blanchot disait << qu'une œuvre littéraire est pour celui qui sait y pénétrer, un riche séjour de silence>> les romans où le lecteur est conduit au silence et même au grand silence, sont bel et bien ceux de Mohammed DIB. On peut en croire Rachid Boujedra ; Mohammed Dib est le fondateur du roman Algérien. On peut ajouter que de tous les romanciers algériens, il est le seul qui soit véritablement un poète. Mohammed DIB, qui savait à la fois bien sentir et bien rendre, était comme Alfred de Vigny dont Montegut disait qu'il secrétait sa poésie comme une perle . Avec la mort de MOHAMED DIB un grand silence s'est tu, une grande pensée s'est évanouie à jamais. * Avocat Et Historien |
|