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C'est le fait
divers des bas de pages: les vols de câbles de cuivre dans tout le pays. Les
nouvelles lois et mesures ont tenté de freiner le désossement des réseaux du
pays et d'encourager les industries de récupération, mais cela n'a pas stoppé le
phénomène.
Le métal rouge est l'objet d'un détournement national et le butin d'une maffia très organisée, selon les spécialistes. Quelques détails sur ce commerce devenu clandestin. Dans les couloirs d'une entreprise algérienne de fabrication de câbles, c'est la panique muette: l'usine risque de fermer ses portes dans quelques jours. Départ annoncé pour tous et fin d'une petite aventure pour son promoteur qui a tenté d'investir le créneau. A l'origine, une idée qui fait le boom dans le reste du monde : faire de la récupération des déchets en cuivre et aluminium et investir le créneau mal portant de la fabrication des «entrants» et câbles dont l'Algérie a besoin pour l'extension de ses réseaux en électricité et en com' et qui sont facturés à près d'un milliard de dollars/an selon des estimations. «Nous pouvons stopper cette importation et assurer une autosuffisance à moyen terme si on le veut», nous affirme l'un des industriels de ce créneau. En Algérie, elles sont une dizaine d'entreprises spécialisées dans la fabrication des câbles depuis quelques années : l'antique ENIcable de Biskra (espagnole à 70%), ABEL à El-Harrach à Alger (sous management libanais), CATEL à Alger toujours sous-direction des Libanais, SWEDIcable à Aïn Defla avec le management des Egyptiens et une autre entreprise à Mostaganem qui a poussé le processus de fabrication jusqu'à l'entière autonomie et au produit fini totalement algérien. La liste n'est pas exhaustive cependant, d'autres unités sont implantées à Sétif, M'sila, Ghardaïa, etc. Pour cette petite industrie cependant, il faut la matière première : le cuivre, l'or rouge selon les anciens. Ou l'aluminium. D'où viennent-ils ? Des déchèteries des grandes entreprises publiques, Sonelgaz surtout. Partout dans le pays, les directions de wilaya lancent cycliquement des ventes aux enchères, avec des commissaires-priseurs pour écouler les déchets. «Cela se fait après réunion de la commission de réforme, laquelle déstocke les déchets», nous explique une source auprès de Sonelgaz. La décision revient, à l'origine, aux responsables des unités de distribution surtout. Par la suite, Sonelgaz se retrouve sans responsabilité sur ce qui va suivre comme processus : ce sont un huissier et un commissaire-priseur qui prennent le relais et disposent de la marchandise pour les ventes aux enchères. Sonelgaz n'est pas responsable de l'état des lieux en somme. Sauf que c'est là que tout se joue : les ventes ne sont «pas structurées», nous dit-on. Comprendre : les quantités de cuivre en déchets ne sont pas comptabilisées à la quantité exacte et elles sont vendues en vrac. «Là, les spéculateurs interviennent en lobbys et rachètent les quantités vendues mais avec des jeux de chiffres sur les poids réels», affirment nos sources. Explication : le spéculateur achète 3.000 tonnes par exemple, mais sur le PV de vente, on signale 1.500 tonnes. Pour bloquer l'offre des industriels des entreprises de transformation, il va surenchérir et offrir des prix hauts que l'industriel ne peut pas concurrencer. «Le spéculateur joue sur la quantité. Sur PV, il achète à 400 DA, mais dans les fais, il achète le double de la quantité déclarée et cela lui revient à moitié du prix annoncé». Du coup, «moi je ne peux pas offrir mieux (cela ne sera pas rentable) car je ne peux pas jouer sur les quantités achetées et je suis obligé de me replier sur le spéculateur qui me vend à des prix plus bas que ceux qu'il a déclarés durant la vente aux enchères». Le spéculateur, avec son réseau et ses complicités, contrôle ainsi les ventes et se place comme courtier incontournable. Cela se passe «ainsi pour les ventes aux enchères après déstockage des déchets mais aussi sur les ventes des saisies de cuivre volé», nous affirme notre source. Sauf qu'il ne s'agit pas seulement de vendre aux entreprises locales, mais aussi d'exporter «vers la Tunisie et le Maroc, en black». Depuis 2009, la loi interdit l'exportation de ces déchets. Sauf que dans la réalité, même avec cette interdiction, les prix n'ont pas baissé et le produit reste rare et prisé: une moyenne de 25.000 tonnes/an pour le cuivre, 40.000 pour l'aluminium qui étaient autrefois exportées légalement et dont aujourd'hui on n'a pas trace, mais qui n'alimentent pas le marché légal. «Cela veut dire que la loi n'a pas stoppé l'exportation illégale», nous affirment nos sources. Ces quantités manquantes sont toujours exportées. «Le document de l'acte de vente obtenu par le spéculateur, alias le courtier, après une vente aux enchères, lui permet de «couvrir» légalement la détention de stocks issus des vols sur les réseaux». C'est ce qui explique pourquoi les vols de câbles continuent et pourquoi ce commerce est fructueux : il a des débouchés dans les marchés régionaux, et une couverture légale avec l'acte de vente comme justificatif, selon les chefs d'entreprises. «Ce que nous nous demandons, c'est que la vente des déchets soit structurée, comptabilisée, suivie et encadrée: les déchets doivent servir à la production nationale et aux entreprises nationales», nous dit notre interlocuteur. Sauf que cela n'est pas rentable pour les lobbys. «Ceux qui encouragent l'importation de câbles et pas sa fabrication locale, ceux qui vendent et ceux qui achètent», accusent nos sources. En Algérie, le déchet n'est pas perçu comme matière première et les politiques de préservation de l'environnement et d'encouragement des industries de récupération et de transformation ne sont pas une haute priorité nationale. On reste timides dans les visions, frileux dans les initiatives et spéculateurs sur les produits. «On a les moyens de stopper et de juguler l'importation massive de câbles par exemple, et cela est d'autant plus urgent que l'Etat a dégagé d'énormes budgets pour l'extension des réseaux mais sans penser à réduire les factures d'importation, calculer les délais et encourager la production des câbles, autrefois leader en Algérie et dans la région». A la fin ? Le réseau noir est bien structuré : les déchets ne sont pas comptabilisés, les «ventes ne sont pas structurées». Et cela permet du jeu dans les chiffres de ventes et quantités vendues et l'identité des acheteurs «qui peuvent acheter avec une simple carte d'identité». Le reste du processus black est connu : le spéculateur surenchérit sur les ventes puisqu'il joue sur les quantités, il revend une partie aux industriels qui ne peuvent pas concurrencer ses prix. L'autre partie ira aux exportations illégales par les frontières que la loi de 2009 n'a pas stoppées. Pire encore, selon nos sources, le document de vente, obtenu par l'acheteur, permettra de «couvrir» les quantités récupérées par les voleurs de câbles et de les blanchir comme déchets obtenus après une vente légale. A la fin, l'Algérie continuera d'acheter du câble à prix fort et de vendre des déchets à prix faible, par les frontières, en attendant que les entreprises algériennes ferment leurs portes. Cette maffia pèse désormais lourdement sur les chiffres de sinistre d'Algérie Télécom et de Sonelgaz depuis des années. Le préjudice est énorme et se chiffre en milliards de DA mais aussi en retards et incidences sur l'économie du pays, la connectivité et tout ce qui va avec comme vie d'entreprises et accès pour les ménages et les individus. A noter que selon les statistiques, la wilaya d'Oran est restée longtemps en pole position pour les cas de vols de câbles, avec toute l'Oranie en haut de la liste : preuve que la maffia du métal rouge trouve plus rentable pour ses exportations de désosser les wilayas frontalières avec nos voisins, pour mieux écouler la marchandise volée. «La seule région de l'Oranie, la facture s'est élevée, en 2009, à 1,5 milliard de DA, elle a été de 5 milliards l'année suivante, de 9 milliards en 2011 et pour cette année (2012), elle est estimée à 13 milliards», ont rapporté les journaux. |
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