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TLEMCEN: La mosquée de Sid El Yeddoune orpheline

par Allal Bekkaï



La mosquée de Sid El Yeddoune est désormais orpheline de Cheïkh Mohammed Bensenane, le plus vieux maître coranique de Derb Beni Djemla. Celui qui consacra son existence à la transmission du savoir et de la Sainte Parole à plusieurs générations nous a quittés dernièrement à l'âge de 83 ans. Parmi ses derniers élèves, des médecins, des chirurgiens et des professeurs d'université qui venaient puiser le savoir à cette source intarissable. Citons entre autres les Lachachi, Benyelles, Hassaïne, Seqqat, Megnounif, Brachmi?Par ailleurs, il donnait à titre bénévole des cours d'éducation religieuse aux détenus du centre de rééducation dit Habs el Qasba. Il animait aussi les selkat lors de veillées funèbres, sans compter la «roqia» (séance d'exorcisme), à titre gracieux. Cheïkh Bensenane était versé dans le droit islamique (Fiqh) et les questions d'héritage(mirath). Ses disciples s'en imprégnaient à travers ses cours. Des notaires venaient le consulter à ce sujet, selon Hadj Habib Seqqat qui nous racontera une anecdote. Déçue par l'«expertise» de ce consultant pas comme les autres, une femme qui s'attendait à une bonne quote-part, quitta la mosquée sans demander son reste, non sans railler le Cheïkh qui ne lui a pourtant révélé que la vérité. D'aucuns s'accordent que Cheïkh Bensenane ne se départait jamais de son sens de l'humour quelque soient les circonstances ; d'ailleurs, ses séances étaient toujours illustrées de «tara'if». Il faut savoir que le défunt était camionneur de son état, métier qu'il exerçait avec son frère Mustapha chez les Bentchouk(quincailliers) avant de faire le transport de fruits et légumes vers?le Maroc dans les années 60/70?Nous avions eu à lui rendre visite dans son «sanctuaire», en quête d'informations ayant trait au terroir (coutumes lors du Ramadan, rites agraires, mutations sociales). A ce propos, à la question de savoir s'il a visité Lalla Setti après son relookage, il nous dira : «Oui, bien sûr, j'ai fait une virée avec des proches, j'ai trouvé un site animé, plein d'ambiance?»?Nous revoyons encore l'image de Cheïkh Bensenane, arborant sa tenue traditionnelle, debout sous une pluie battante, tenant un parapluie classique, parmi le comité d'accueil, attendant en sa qualité de notable de la ville, l'arrivée du président de la République Abdelaziz Bouteflika.        C'était en octobre 2001 à Bab Wahrane à hauteur du siège de la wilaya?Toujours assis en position de tailleur, le visage jovial(le sourire en guise d'aumône), entouré de ses disciples, il prodiguait non seulement le savoir(el ilm via le saint Livre), mais aussi le savoir-faire(psalmodie, mnémotechnique, calligraphie, fabrication de la tablette et de la plume, préparation de l'encre) et le savoir-être(discipline, éducation, bienséance). Et pour cause. Cheïkh Bensenane, outre qu'il était bilingue, jouissait d'une vaste culture générale, synonyme d'érudition. L'âge avait eu raison de la force physique sans pouvoir amenuiser la mémoire, la foi et la maîtrise du Coran. Cloué au lit à la suite d'une longue maladie, il dût abandonner sa «chaire» sans pour autant faire entendre «le chant du cygne» sous la voûte de Djamâa Sid El Yeddoune : un testament spirituel à l'adresse des jeunes. Auparavant, le charismatique Cheïkh fut mis en «congé» technique pour cause de travaux de restauration de ladite mosquée qui ont duré plus d'un an, à la faveur de l'événement «Tlemcen, capitale de la culture islamique». On ignore s'il a été honoré à cette occasion par les organisateurs de cette manifestation. En revanche, il rehaussait à chaque fois de sa présence, en tant qu'invité d'honneur, les cérémonies de clôture de l'année universitaire au niveau de la faculté de génie civil de Chetouane. Cheïkh Bensenane venait assister souvent aux séances académiques consacrées aux «Mawaqif» de l'Emir Abdelkader qu'animait Si Mohammed Baghli au sein de la khalwa Cheïkh Senouci, voisine de Djamâa Sid El Yeddoune?

Cette vieille mosquée a vu passer Si Bouchenak, un fqih non voyant, et l'imam Touhami Meziane, le père du professeur Abdelmadjid Meziane, selon Hadj Abdeslem Lachachi. Le défunt imam a dû puiser sa source auprès de ces deux maîtres. En excellent pédagogue qu'il fut, il défendait bec et ongles la thèse sur les bienfaits de l'enseignement coranique quant à la préparation des enfants à faire des études dans toutes les autres disciplines scientifiques en arabe ou dans les langues étrangères. La meilleure gymnastique de l'esprit est l'apprentissage du Coran dès le jeune âge, estimait-il. Une pépinière de plus de 100 enfants(taleb) a été formée par ses soins. Outre des apprenants analphabètes, le Cheïkh a eu affaire à des «sujets» handicapés atteints de troubles d'élocution (bégaiement) qu'il a réussi à «inhiber» grâce à sa méthode «orthophonique» (coranique) originale... Il ne manquait pas de mettre en garde contre les nouvelles tentatives de changement de la méthode traditionnelle(avec l'avènement des NTIC). La « Louha et le Cheikh » resteront les meilleurs moyens pédagogiques pour un enseignement efficace. L'enseignement du Coran ne doit pas être confié à n'importe qui pour des raisons de maîtrise parfaite des écritures telles qu'elles ont été dictées à Notre Prophète (QSSL). Elles comportent un secret divin et ne doivent pas être changées d'un point. A propos de l'enseignement de l'éducation morale, civique et religieuse telle qu'enseignée aujourd'hui à l'école «laïque», Cheïkh Bensenane considérait à juste titre que le «Fqih n'ayant fréquenté aucune normale, ni assisté à une journée pédagogique réussissait pourtant à inculquer des connaissances aux enfants tout en les imprégnant d'une moralité sans leçon formelle. L'enseignement de la morale s'y faisait à la bonne occasion, au moment propice en se référant au Texte saint?». Pourquoi les leçons de morale prodiguées à l'école publique ne donnent-elles pas le même résultat ? Le défunt a été accompagné par une foule nombreuse à sa dernière demeure au cimetière Sidi Senouci de Aïn Wazouta où il repose en paix aux côtés de ses pairs, les Bouchenak, Meziane, Sebbane, Bendahmane, Benosmane, Harchaoui, Benmansour, Si El Bachir(Yacher), Benazza, Si El Hebri, Ben Kada?