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Mardi soir, au
stade du Parc des Princes à Paris, a eu lieu le quart de finale de la Ligue
européenne des Champions entre le PSG et le FC Barcelone, c'est-à-dire, si l'on
veut présenter les choses autrement, la finale-aller du championnat du Qatar
(cette expression lapidaire est de mon confrère Malik Aït-Aoudia). Situation
étonnante, n'est-ce pas? Voilà un grand choc du football européen voire
mondial, qui s'est tenu grâce, du moins en grande partie, à l'argent de cet
émirat, minuscule confetti pas plus grand que la Corse mais dont l'audience
internationale ne cesse de croître. Une émergence tellement spectaculaire qu'on
ne cesse de lui consacrer force articles, livres et colloques.
A ce jour, le Qatar a consacré au moins 300 millions d'euros en budget annuel alloués au club parisien qu'il a acheté 50 millions d'euros à l'été 2011 (le sponsoring du Barça, une première pour un club qui n'a jamais accepté de publicité sur son maillot, ne lui coûte « que » 30 millions d'euros par an?). Tôt ou tard, le PSG va remporter des titres. Celui de champion de France, dans un mois (sauf grande surprise), mais aussi, à court terme, celui d'Europe car, les fonds injectés par Qatar Sport Investment (QSI) contribuent à former une équipe parisienne des plus solides et talentueuses. La question qu'il faut se poser est de savoir si tout cela est bien sérieux. Ne parlons pas de morale, le football professionnel, comme nombre de sports de haut niveau, en est totalement dépourvu. A quoi peut bien servir ce sponsoring si coûteux qui pourrait servir à la construction de milliers d'infrastructures dans le quart-monde, de Gaza à l'Afrique australe sans oublier les pays d'Asie du Sud-Est ? Pour être bien vu des chouyoukhs de l'émirat, des experts français nous expliquent d'un ton docte que c'est un investissement rentable et que le merchandising des produits dérivés du PSG (maillots, écharpes, etc?) rapportera beaucoup d'argents aux qataris ce qui prouvera à leurs détracteurs que ce sont d'avisés hommes d'affaires. A voir? En arriver à dépenser un jour un milliard d'euros, voire plus, pour décrocher une Ligue des Champions et quelques glorioles françaises, ne sera jamais compensé par les droits de télévision et les ventes de caleçons à l'effigie de Beckham. Le football est un puits sans fonds, une danseuse qui coûte très cher et c'est d'ailleurs pourquoi rares sont les grands clubs qui gagnent de l'argent et dont les structures financières sont saines (le Bayern de Munich et Arsenal en font partie). En clair, le foot, c'est du très mauvais business. C'est d'ailleurs ce qu'explique Maurizio Zamparini, le truculent et très controversé président du club de Palerme dans un entretien accordé au mensuel So Foot. « En aucune manière (le football est un business), dit-il. Le football est basé sur l'orgueil. Si Abramovitch (le riche patron de Chelsea, ndc) a mis tellement d'argent dans le football, et si les Arabes sont en train de faire la même chose, c'est parce qu'ils se payent une image ». Et d'ajouter un peu plus loin que, lui aussi aimerait « trouver, comme l'a fait le PSG, une famille de cheikhs » (sic), la Sicile ayant « longtemps été sous domination arabe » et qu'il existe « encore chez certains Siciliens, les caractéristiques des Arabes » (*). Se payer une image, donc. C'est ce que cherche le Qatar sur le plan international et le football en est la meilleure illustration. Reste à savoir si cela sera payant. Est-ce que le fait de financer à fonds perdu le club parisien va améliorer l'image globalement négative des Arabes du Golfe ? Ces Arabes qui, dans un imaginaire planétaire, et pas uniquement occidental, sont souvent décrits comme d'indécrottables ignares aux poches pleines et à peine remis de leur passage éclair de la tente crasseuse aux salles de bains avec robinetterie en or? A observer, d'assez loin, je le concède, le petit monde qui s'affaire autour des dirigeants du PSG (vous savez, le fameux « la prince » des Guignols de l'info de Canal Plus), je suis tenté de répondre par la négative. On sent bien que nous assistons à un film qui pourrait s'intituler « on prend l'oseille et on se tirera au moment venu ». Les Qataris pensent, à tort, que l'argent qu'ils investissent dans l'image leur permet d'acquérir du « soft power » et que cela les rendra sympathiques aux yeux du monde. En réalité, ils oublient une chose fondamentale. On ne change dans la perception de l'autre, que si l'on se transforme réellement, à l'intérieur de soi. Ce qui signifie que l'on peut dépenser des milliards d'euros en show-off, en manifestations bling-bling et autres achats de prestige, cela ne mènera à rien sans évolution, ne parlons pas de révolution (!) interne. Ce n'est pas parce que le PSG sera un jour champion d'Europe ou que Ronaldo jouera à Paris que l'on oubliera que le Qatar n'est pas une démocratie, qu'il n'y existe pas de Parlement et que Mohammed Al-Ajami, alias Ibn Al-Dhib, y est actuellement embastillé pour une durée de quinze ans après avoir, quel grand crime ( !), critiqué son émir et, en prime, chanté quelques vers en louanges du Printemps arabe. Mardi soir, en regardant le match à la télévision et à l'évocation de toutes ces personnalités du monde politique et artistique présentes dans les tribunes officielles du Parc des Princes, je me suis demandé quand donc ces VIP régalés par le Qatar auront le cran d'exiger la libération du poète Al-Ajami. Peut-être, attendent-ils que l'émirat passe de mode et qu'il ferme les cordons de sa bourse. C'est certain, les centaines de millions d'euros ne suffiront certainement pas à forger une belle image durable du Qatar mais, en attendant, ils lui offrent quelques silences intéressés. (*) Mars 2013. |
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