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L'existence de
clans au pouvoir entretenus par une rente pétrolière et gazière est un obstacle
infranchissable à la construction d'un Etat de droit et d'une économie
productive. C'est la richesse du sous-sol saharien qui assure la pérennité du
régime et la stabilité du personnel dirigeant dont l'utilisation abusive
empêche le développement économique et l'instauration d'un Etat de droit
souverain.
Dans une économie rentière, l'intérêt de l'Etat se confond avec les intérêts des gens qui sont au pouvoir. Des intérêts qui sont à l'antipode des intérêts de la population. Les élites au pouvoir n'abandonneront pas leurs privilèges sans se défendre et empêcheront en même temps tout processus de transfert substantiel des hauts revenus vers les bas revenus. Par conséquent, il n'est certainement pas légitime d'invoquer ou de prétendre aux normes universelles de rationalité et d'organisation pour justifier ou pérenniser des intérêts et des privilèges. On a trop tendance à raisonner comme si les politiques de développement conçues et mises en œuvre par les élites au pouvoir profitaient toujours à l'ensemble de la population. C'est une erreur monumentale. Grâce aux revenus pétroliers, l'Etat n'a aucune obligation de résultats vis-à-vis de la population. La gestion du pétrole peut se passer des institutions de l'Etat mais l'Etat ne pourra jamais se passer des recettes du pétrole, son existence en dépend. D'un autre point de vue, l'Etat peut se dispenser de la contribution fiscale de la population, mais la société ne pourra jamais survivre en dehors des allocations de l'Etat qui s'approprie l'Etat, s'accapare des richesses de la nation. Qui tient l'armée tient l'Etat. Et qui tient l'Etat tient la rente donc la bourse, par conséquent le peuple. La propriété étatique est un moyen commode pour les militaires d'intervenir dans le champ économique. C'est à la façade politique d'endosser la responsabilité des décisions prises. C'est un gage de pérennité du régime en place et une garantie pour les intérêts étrangers. Il sera le carburant des violences sociales dans les pays producteurs et le moteur de la corruption dans le monde des affaires. C'est dire que le pétrole est au cœur du pouvoir en Algérie. Il fonctionne comme une pompe double. Il aspire et refoule des pétrodollars. Il commande la fréquence des battements. Il accélère les battements quand il a peur (baisse des recettes) et les ralentit quand il est détendu (hausse des dépenses). Pour se protéger contre toute attaque cardiaque, des ponctions sont opérées à l'entrée et à la sortie (à l'exportation et à l'importation), chemin faisant, il forme des caillots qui empêchent le sang (les pétrodollars) de circuler dans l'organisme (production destinée à un marché local en priorité) et de s'oxygéner (transformation de la rente en capital). Quand le cœur et les vaisseaux ne fonctionnent pas correctement, les conséquences peuvent être graves et entraîner la mort instantanée. C'est donc de la santé du cœur que dépend la qualité de la vie en société. Lorsque le cœur est sain, le corps tout entier est sain, et lorsqu'il est corrompu, tout le corps social est corrompu. Le pétrole sera à la fois la douceur de vivre et l'enfer de l'âme. Les gisements pétroliers et gaziers sont la propriété de l'Etat et non de la nation. Il permet à l'Etat de jouer un rôle déterminant dans la composition, la constitution et la reproduction de la fraction dirigeante. L'Etat n'est rien d'autre qu'un appareil administratif tentaculaire investi de la gestion d'un budget réduit à une caisse du pouvoir. Elle sera alimentée par les recettes financières provenant de la vente des hydrocarbures. L'Etat devient le centre où la revendication sociale trouve une réponse. Il sera le lieu où se distribuent les emplois, les logements, les soins... L'organisation sociale ne connaissant pas les lois de l'économique (profit, compétence dans la production, concurrence...), fait que toute production est dévalorisée et ne donne aucun label de notoriété à son auteur. Elle sanctionne les entreprises sur leur capacité à répartir et non à produire. La société n'exerce aucune pression sociale sur la production. Elle sanctionne la répartition. Ainsi les entreprises sont hiérarchisées par rapport à leur réponse aux revendications sociales de la population. C'est de cette manière que les couches sociales cèdent la place à des communautés d'intérêts. Dans ces communautés, seules les relations personnelles comptent. Il est plus utile d'avoir de bonnes relations avec son supérieur que d'améliorer la production. L'amélioration de la situation sociale au lieu de se faire par une meilleure production se fait par la consolidation de ces communautés d'intérêts. Plus les relations personnelles sont fortes et nombreuses et plus nombreux sont les privilèges. C'est l'allégeance et la vassalité. Lorsque de telles relations envahissent l'ensemble des espaces, le pouvoir distributif devient le régulateur exclusif de la société. Dans de telles sociétés, le scientifique ne pouvant pas améliorer son statut social par la production d'un savoir préfère s'installer dans des positions hiérarchiques. Ces positions lui permettent de renoncer à la fonction critique. Cette attitude populiste de la révolution exprimait le rejet de la notion même d'élite composée d'individus supérieurs à la masse en réaction contre la politique française d'assimilation. En effet, presque tous les gouvernements français avaient prétendu vouloir faire de l'Algérie une province française, par la colonisation, mais aussi par l'assimilation progressive des indigènes musulmans. La méthode consistait à détacher de leur milieu des individus aspirant aux bienfaits de la citoyenneté française, et jugés dignes de cet honneur. La société algérienne refusa cette politique d'assimilation avec une intransigeance proportionnelle à sa rigueur, parce qu'elle ne pouvait admettre qu'un Algérien préférât une loi étrangères à ses propres coutumes. Faut-il donc rechercher la clé de l'évolution politique de l'Algérie dans le conflit entre les aspirations de l'élite au pouvoir et celles de son peuple majoritairement sans pouvoir ? L'indépendance politique du pays ressentira cruellement ce déficit de la présence de l'élite intellectuelle sur la scène publique. Faut-il également comprendre pourquoi « ces messieurs de la Révolution... haïssent l'intellectuel. Maintenant, nous savons pourquoi. C'est qu'ils ne le sont pas eux-mêmes... parce qu'ils n'ont pas de diplômes, « cette peau d'âne qu'ils envient en leur for intérieur, et que seule leur imbécillité les empêche d'avoir ». On doit cependant à la vérité de dire que, si le phénomène gagne chaque jour en proportion, inquiétant d'autant pour l'avenir, le pays tout entier n'a pas encore basculé. Et il existe encore des gens qui, dans notre administration publique, dans le secteur privé ou dans la société civile, croient au culte de l'effort, administrent au quotidien la preuve de leur compétence et de leur efficacité, et aspirent légitimement à une meilleure position sociale qu'ils obtiennent souvent, sans passer par le canal nauséabond de cette ignominieuse condition. S'il n'y a donc pas de sujet tabou pour la presse dont on dit qu'elle ne doit « rien cacher pour plaire «, il reste toujours cette exigence de professionnalisme, puisée au respect des règles de l'éthique et de la déontologie, qui lui impose aussi, dans son rôle de responsabilité sociale, de « ne rien dire pour nuire «, sans enquête contradictoire. Au-delà du respect de la vie privée des individus, le problème que posent les listes, publiées ça et là, souvent différentes et parfois contradictoires, vient de ce que leur collecte a pu amener à publier des noms de personnes ou personnalités n'ayant rien à voir avec ces pratiques. On imagine fort les conséquences sur l'image publique de ces personnes, et le préjudice qui peut être dévastateur sur leur vie professionnelle, sociale et familiale. Et s'il faut craindre une avalanche de procès, désormais prévisibles, il y aura surtout cette stigmatisation, ce regard d'autrui qui change et qui peut briser des familles entières. Ce mauvais usage de la liberté de la presse pourrait orienter les détenteurs actuels du pouvoir, largement cités sur cette liste, à se cabrer... Il est certain que les vrais journalistes, ainsi que ceux qui sont soucieux des libertés dans le pays, auront de plus en plus de mal à convaincre les conservateurs qui détiennent encore fermement le pouvoir politique de faire avancer la démocratie... On ne comprend ni le bien-fondé, ni la stratégie poursuivie par ces articles sensationnels. Ces articles sont un indicateur fiable et malheureusement inquiétant de la déliquescence de la Société et de la Nation : Il est juste de dire que les dirigeants n'inspirent plus le respect... bien que pour la plupart d'entre eux, le respect ne suffit pas. L'idéal serait d'inspirer la terreur. Si les journalistes du sensationnel de la semaine dernière sont critiqués, c'est pour les risques qu'ils font courir aux acquis durement conquis pour la liberté de la presse. Il faut également dénoncer celles des personnalités publiques qui ont érigé des pratiques douteuses en sésame pour l'ascension sociale... Le comportement de la classe dirigeante permet-il qu'elle soit au dessus des soupçons ? On retombe sur la lancinante question du choix des dirigeants du pays, des institutions, de l'administration... Cette confusion de l'espace public et de l'espace privé dans la psychologie des acteurs politiques et des fonctionnaires donne une liberté sans limites à la faction au pouvoir dans le trafic d'influence et la capacité de détourner des sommes colossales du Trésor public, par des mécanismes administratifs et financiers bien rodés. Personne n'ignore que chaque poste administratif et politique est transformé en patrimoine privé, source d'enrichissement personnel pour celui qui l'occupe et de promotion sociale pour son entourage familial et immédiat. Dans ce contexte, les capacités intellectuelles et professionnelles acquises à l'école, importent peu pour accéder et gravir les échelons de la hiérarchie administrative. Seul l'accès à un réseau le permet, et l'obéissance aveugle dont il faudra faire preuve auprès de celui qui le contrôle. Le système tire donc sa véritable dynamique de la promotion d'un personnel politico-administratif médiocre, car il n'a aucune possibilité d'exercer son esprit critique, malgré, pour certains le haut niveau intellectuel acquis à l'université. Cette promotion de la médiocrité ayant pour finalité l'accaparement des ressources nationales par la faction au pouvoir et leur redistribution obscure à travers les réseaux qui soutiennent le régime. Or, dans les conditions actuelles de sous-développement, économique et politique, ainsi que d'absence de démocratie en Algérie, c'est l'Etat qui contrôle la quasi-totalité des ressources de la nation. Ainsi, par ce mode de redistribution arbitraire et irrationnel des ressources nationales, l'Etat impose une déresponsabilisation en profondeur, du sommet à la base et inversement, à l'ensemble des acteurs sociaux, qui adoptent alors, sous l'effet de la pression sociale, l'idéologie officielle du système : « la politique du ventre » pour se retrouver... à « plat ventre ». |
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