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Je l'avais
intitulée «Que veulent les 15-20 ans ? » m'imaginant que les trentenaires
étaient déjà bien installés dans la vie et que seuls les jeunes relevant de ce
segment d'âge, peinaient à trouver leur voie.
Après avoir tenté de faire le constat de la situation de cette catégorie d'âge, j'ai abouti à la conclusion que les jeunes de l'époque, ne différaient en rien de leurs ainés des anciennes générations, dès lors où ils exprimaient les mêmes besoins et les mêmes aspirations. A savoir vivre leur temps, étudier juste ce qu'il faut pour un certain nombre, trouver un job pour beaucoup et se marier pour la plupart. Quelques années plus tard, je réalise que le problème des jeunes n'est pas que matériel, il est plus que ça. Nos jeunes ont le «blues» et connaissent le «spleen». Leur problème ne se résout pas : ? à coup de place dans un marché, fut-il parisien. ? par l'attribution, au pied levé, d'un local, pour l'exercice d'un hypothétique commerce sans lendemain ? à coup de crédits ANSEJ, vite détournés d'ailleurs de leurs objectifs. ? par des décisions précipitées empruntant à la démagogie et au gaspillage. Et la solution à leurs avatars ne se réglera pas à la hussarde, ni par décret, encore moins par le biais d'un miraculeux plan Marshall. Et tous ceux qui pensent avoir trouvé l'angle parfait pour résoudre cette question des jeunes et de cette manière, font fausse route. Aujourd'hui par exemple, voyez par vous-même, à la question posée «Et la jeunesse ?» on vous répond ! «Y-a pas de jeunesse !» Et pourtant, les jeunes sont partout dans la rue, jour et nuit, dans les cybers, les bus, les voitures, les marchés, les stades et même là où on les attend le moins. Sans oublier les murs et les halls d'immeubles, qui restent, par devers- eux, leurs endroits de prédilection. Et une fois encore, à la question qui leur est posée : «qu'est-ce que vous attendez en tant que jeunes ?» On vous répond : «nous n'attendons rien du tout, absolument rien !» Ça résonne comme une sentence de tribunal. Ça tombe comme le couperet de la guillotine. Et le problème est tellement profond qu'il n'a pas, comme de bien entendu, échappé à la sagacité de Abdelmalek Sellal qui lors de ses premières sorties en tant que premier Ministre n'est pas allé par quatre chemins pour dire, sur un ton aussi péremptoire qu'émotionnel : «Laissez les jeunes souffler, laissez-les vivre !». Pour souffler déjà, beaucoup de jeunes ont pris le parti d'arrêter les études. Une grande proportion des 16-20 ans n'est plus intégrée au système éducatif. Beaucoup de ces jeunes relevant de cette catégorie étaient déjà peu enclins à faire des études, puisqu'ils étaient déjà en plein dans le marché et le commerce informels. D'autres, franchement, n'avaient ni les aptitudes ni l'envie de continuer leur scolarité au-delà du collège. Les 16 ans et plus, sont ceux ayant raté le B.E.M et l'entrée au lycée, non sans avoir au préalable, redoublés de quelques classes. Les 20 ans et plus constituent la tranche des recalés du B.A.C et de leurs congénères qui l'ont passé et repassé, en vain. Les stages, la formation professionnelle, très peu de jeunes y pensent dès lors que les créneaux porteurs sont saturés. De plus, ces jeunes là se sont fait une raison pour ne pas comme leurs parents, être des ouvriers à vie avec des salaires de misère, alors que certains de leurs amis de quartier roulent, qui en moto, qui en voiture, acquises grâce aux affaires et au business. Donc, l'école, le lycée, ils les quittent qui forcés, qui usés, mais en tout les cas sans regrets, car ces jeunes là sont encore immatures et dans l'insouciance des lendemains. Même le système éducatif a bonne conscience et s'en sort quitte. Il est certes décrié, mais il continue néanmoins à remplir l'objectif républicain qui lui est assigné, à savoir : «l'école obligatoire jusqu'à 16ans ». Oui mais entre temps, il y a eu la libéralisation de l'enseignement avec l'ouverture des écoles et lycées privés, avec paraît-il, des meilleurs résultats et une pédagogie plus adaptée aux apprenants. Mieux que ce qui est dispensé par l'école publique aux dires des parents acceptant de faire les sacrifices qui s'imposent. Les autres, résignés pour la plupart, car pris par les vicissitudes de la vie ou monopolisés par les miracles à accomplir quotidiennement pour leur existence, font confiance à l'école publique. Ils ont foi aussi aux aptitudes de leurs enfants qui s'accrochent, tant bien que mal. Ils ne peuvent faire autrement d'ailleurs, dès lors qu'ils ne sont pas au fait des savoirs nouveaux que leurs enfants doivent acquérir. Des pères et des mères, plus courageux, tentent tout de même, de jouer un rôle d'appoint à l'école, conscients que cette dernière ne peut, à elle seule, apporter tout de la formation de leurs enfants. Ils investissent les associations des parents d'élèves et contribuent à fructifier le partenariat parents-écoles. Cela se traduit par une proximité avec les professeurs et un marquage « à la culotte» de leurs enfants à travers un programme de révision strict, des devoirs à préparer en permanence, sans oublier les fameux cours de soutien dispensés dans les conditions et au tarif que nul n'ignore. D'autres parents plus laxistes, s'en remettent aux seuls enseignants ignorant tout du cursus de leurs enfants et surtout des problèmes des premiers cités : -matériel pédagogique réduit au tableau noir et à la craie. -le poids du nombre des élèves qui ramène la pédagogie à la discipline. -l'absence de bibliothèque et de l'internet. -le nombre effarant de matières et de livres. - le bilinguisme qui prend souvent une allure de vœux pieu, notamment dans les régions de l'intérieur du pays où l'on enregistre une pénurie de professeurs de français. -l'absence d'infirmerie ou encore de la faiblesse de la sécurité dans et autour des établissements. Avec tout ça, une enquête du C.L.A vient nous apprendre que 80% des enseignants n'arrivent toujours pas à se situer par rapport à l'approche par compétences (APC), qu'ils appliquent depuis une dizaine d'années. Les professeurs interrogés ont, soit une idée confuse (74%), soit une idée fausse (7%), de la conception pédagogique qu'ils sont supposés mettre en œuvre . Les enfants passent à l'école le temps qu'il faut et les rues s'emplissent et se vident à leur rythme. Va et vient complexe : c'est toujours l'heure de l'école pour quelqu'un, non sans crainte au regard de tous les faits divers dont les enfants sont victimes. Le cap du primaire passé, le gros de la masse des élèves accède au collège, grâce aux cessions de rattrapage dès la 6éme pour un grand nombre qui, en prime, quittent le primaire avec une scoliose, pour cause de cartable trop lourd et de chaise cassée ou mal ajustée. Au collège, le changement réside principalement dans l'infrastructure et les données restent les mêmes : enseignants au rabais, effectifs surchargés, programmes inadaptés, manque de professeurs de français, quand ce n'est pas ceux des mathématiques et cantines et ramassage scolaire inexistants, comme le chauffage d'ailleurs. Et à toutes les étapes, les élèves «apprennent, beaucoup plus qu'ils ne comprennent». Le brevet d'enseignement moyen signifie, pour ceux qui ont redoublé de classe, l'élimination en cas d'échec. En tous les cas, les objectifs de l'école fondamentale sont saufs : -la règle de l'école obligatoire a été respectée. -aucun élève n'est exclu avant ses 16 ans et la réussite au B.E.M, sauf cas exceptionnels tenant de la discipline ou de l'absentéisme prolongé (phénomène répandu au niveau des filles de l'intérieur du pays) ajoutée à la moyenne annuelle permettent au gros de la troupe, d'accéder au lycée. En l'absence d'amélioration des conditions de l'enseignement, c'est-à-dire la réforme de la réforme de Benbouzid, l'école fondamentale restera un échec pour beaucoup d'enfants et de parents. Pour ceux qui rentrent au lycée, ils ne visent qu'un seul objectif : le baccalauréat et l'entrée à l'université. Le Bac acquis, les étudiants lauréats se retrouvent dans des campus «au service minimum» en matière d'amphis, de réfectoires, de chambres et de moyens de transport. Il faut faire avec, d'autant plus que beaucoup d'étudiants se contenteront d'un label «enseignement supérieur» peu significatif, au regard des lacunes qu'ils ont accumulé dans leur scolarité, dès le primaire, le collège et le lycée. Ajouter à cela, l'absence d'éléments culturels extérieurs à l'université à même de compenser la faiblesse de leur niveau, tels que les livres, les dictionnaires, les ordinateurs en nombre insuffisant etc? Dans ces conditions, à quelles connaissances, quels sujets de réflexions, les étudiants peuvent-ils accéder par eux-mêmes ? en l'absence de documents et d'ouvrages de référence?. Une infime minorité est familiarisée avec les livres et une majorité n'a jamais tenue entre ses mains un quelconque ouvrage ou simple roman. Pour les exposés, un seul salut pour les étudiants : le copié- collé ! Pour la majorité déjà, avoir simplement la moyenne demande des efforts titanesques. Ils ne sont pas découragés pour autant, car au bout du compte, ils sont gagnés par la certitude d'obtenir, quoiqu'il advienne, un diplôme à la valeur intellectuelle douteuse, mais socialement monnayable. Et au sortir de l'université, on se met encore une fois à poser la question à tous ces jeunes diplômés : «wech les jeunes, kifech, kech khedma ?» Et la réponse est cinglante : «l'Algérie c'est pas un pays pour les jeunes, c'est pour les pistonnés. Les meilleurs d'entre- nous font la queue au filet social, à l'ANSEJ ou à la mairie pour acquérir une place au marché» Ça c'est les diplômés qui parlent, les autres, les 16-20 ans qui n'ont été intégrés ni dans le système éducatif, ni enrôlés par le marché de l'emploi, ils se partagent la rue et se disputent les parkings sauvages. Des stages de formation professionnelle semblent réunir, néanmoins, beaucoup de suffrages, car représentant des débouchés rapides sur la vie active et des créneaux porteurs, quoique déjà saturés : informatique, électronique, infographie, comptabilité notamment. Pour les autres c'est les affaires, où l'emploi informel, quand ce n'est pas le trafic de drogue. Mais dans l'absolu, tous ces jeunes, nos jeunes s'accordent à dire que seul l'emploi peut les stabiliser dans leur vie de tous les jours. Lui seul leur permettra de s'épanouir, de tirer des plans sur la comète et de rêver d'avoir un logement et la cerise sur le gâteau, se marier. Alors, posons-leur encore une fois la question : «avoir un logement, une fois que vous serez mariés ?» «non, non ! avant, sinon c'est pas possible, car avec la famille ça ne marchera pas !». Et ici «le laissez-les vivre» du Premier Ministre, prend tout son sens. Ces jeunes veulent vivre leur temps et se construire : travail- logement, ces deux mots sont dits dans une même émission de voix, le mariage suivant de très près. Tenez par exemple en matière d'habitat, n'est-il pas possible de leur trouver des formules selon leur désidérata : un petit deux pièces cuisine pour se marier et réduire les divorces de pas mal de jeunes couples débutant dans la vie ? Toutes ces cités intégrées telles qu'imaginées par Mr Teboune, enfin quelqu'un du secteur et de surcroit fonceur, doivent s'adapter à cette demande urgente et prendre en compte d'autres besoins en matière de pratique sportive et autres équipements d'accompagnement tels que les crèches, les maisons de culture et des loisirs, sans oublier les espaces verts. En fin de compte, la jeunesse serait bien un mythe dont la spécificité apparait très mal : rien ne lui est destiné en propre ! «On a une vie programmée comme un âne qui va labourer le matin et revient le soir» me disait un jeune. «Et s'il n'est pas nécessaire d'aller labourer, je reste au lit jusqu'à midi. Là, je me fais virer par ma mère, mais si on me laissait tranquille, je dormirais jusqu'à 16 heures». Et la société, la notre, se cherche encore pendant que «son armée inutile de jeunes», en errance, n'en finit pas de grossir ! Tous ces jeunes exclus du système scolaire, sans formation, sans perspectives, rêvent de départ en Europe : «là-bas, la vie est plus facile, disent-ils». Les diplômés de l'enseignement supérieur font le même rêve «pour valoriser leur formation et leur diplôme», prétendent-ils. «Pour acquérir le savoir et revenir» surenchérissent les plus futés parmi eux. Ils aiment le pays qu'ils veulent, paradoxalement, quitter. Ça serait le meilleur pays du monde, s'il y avait un bon gouvernement», encore une parole de jeunes. Il s'agit d'une relation affective entre eux et leur pays ; la question ne se pose pas en termes politiques classiques et les discours recourant à ces thèmes ne les atteignent pas, sauf peut être le discours du Premier Ministre lançant son fameux : «laissez les jeunes de ce pays souffler, laissez-les vivre», auquel il faut accorder quelque crédit, compte-tenu de la période de grâce dont il bénéficie encore. En attendant qu'il joigne les actes à la parole, l'expression « la jeunesse perdue» continue à fleurir dans la bouche des ainés. On peut au regard de la demande des jeunes «emploi-logement-local commercial», déplorer sur le principe, leur mentalité d'assistés, mais sur un autre registre, on ne peut que blâmer tous ces politiques qui pensaient régler le problème de la jeunesse «en trois jours d'assises au Club des Pins» ou à coup de discours, dans le sens du poil. Les jeunes, pas dupes pour un sou, disent qu'ils ne s'intéressent pas à la politique. Détrompez-vous, c'est en fait le verbiage politique et la langue de bois qu'ils rejettent. Les politiques d'ailleurs pour être crédibles auprès des jeunes, doivent parler» le langage» de ces derniers, tomber au moins la cravate et la veste et les rencontrer en plein air, loin de leurs bureaux calfeutrés, des téléphones qui sonnent et des collaborateurs, aussi zélés que coincés, qui perturbent l'échange. Les jeunes sont fatigués des promesses sans lendemain et de l'intérêt qu'on leur manifeste soudainement la veille des élections. De plus, quand ils veulent donner leur avis, ils éprouvent quelque peine à faire parvenir leur message tant il est dilué dans des demandes les faisant passer pour des mineurs. Un comble pour ceux qui se sont construits à la force du poignet, qui voyagent dans les mers de Chine et qui ont réussi à monter des affaires commerciales à l'étranger, qu'ils ont rejoint comme «harraga». Quant à la liberté d'expression qui est un slogan qui revient souvent dans leurs propos, ils savent en user et même en abuser, notamment dans les stades qui sont pour l'instant, les seuls exutoires utilisés. Souvent ils ne savent pas quoi dire mais ils savent, pour les plus férus, l'exprimer à travers les réseaux sociaux et autres forums les regroupant. Pour passer le temps» disent-ils et aussi quelques messages qu'il nous appartiendra de décoder. Le temps que l'Etat a passé à construire des usines, créer des emplois et favoriser le développement. Il a multiplié l'enseignement, construit des logements, des routes et des hôpitaux. C'est suffisant, ce n'est pas assez, le problème n'est pas là, car l'Etat aujourd'hui est peut être victime de son succès ou de son omnipotence. Il est aujourd'hui confronté à la triple rébellion du social, de l'enseignement et des libertés. Du social tout d'abord, qui est dans le même temps soumis aux exigences économiques de profit, de rentabilité et corrélativement, de grèves et de conflits sociaux. De l'enseignement ensuite, incapable de se mettre à niveau dès lors qu'il ne s'est préoccupé que du quantitatif au détriment du qualitatif. Des libertés, enfin, qui font partie des acquis et des réformes qu'il s'est engagé, en tant qu'Etat, à mener à terme. A voir ce qui se passe avec les jeunes de Ouargla, beaucoup reste à faire au plan non seulement social, mais aussi générationnel. Sinon comment expliquer, que 50 ans après l'indépendance un algérien sur cinq ne connait de la guerre de libération, que les récits familiaux, ou ce qu'il suit, cycliquement, à la télévision, comme reportages redondants, sur les maquis ou les hommes qui ont fait la révolution. Il faut avoir le courage d'admettre, aujourd'hui, que ce qui était charnel pour les moudjahidines n'est plus qu'un «ouï-dire» pour les adolescents, tant que l'histoire n'est ni écrite ni enseignée correctement. Le fossé se creusera davantage entre les générations et se caractérisera par une perte de confiance des jeunes par rapport à leurs ainés, d'autant plus que les premiers nommés estiment, qu'ils n'ont pas eu la part de pétrole qu'il leur revient, ou les postes de commandement auxquels, légitimement, ils aspirent. En attendant de corriger tout cela, contentons-nous de les laisser souffler et vivre. Et ça, c'est le Premier Ministre qui l'exige ! P.S : La médaille «Athir» est habituellement décernée à des chefs d'Etats, des amis de l'Algérie et à des algériens méritants qui ont fait une carrière. Elle a été décernée à Zinedine Zidane. Mohamed Lamine Lahmar, c'est ce jeune qui avait actionné l'alarme qui avait permis l'arrêt total de la production lors de l'attaque terroriste de Tiguentourine. C'est grâce à son action héroïque que le complexe gazier d'In Amenas a pu être préservé et au regard de son sacrifice, il la mérite amplement, cette médaille. |
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