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Jeudi 7 mars
2013, la France, à l'initiative du Président de la République, a donc rendu un
hommage national à Stéphane Hessel. Le discours de François Hollande était donc
très attendu.
L e début est convenu. Il est même redondant puisqu'il reprend, presque mot pour mot, l'historique qu'avait retracé un quart d'heure plus tôt l'un des deux derniers survivants de la Résistance, Crémieux-Brillac. Ensuite, vient la longue liste des vertus du défunt, sa liberté, son engagement, son courage. Le président rappelle le passé de résistant, les évasions des camps de concentration, les circonstances rocambolesques qui lui ont permis de garder la vie sauve. Il s'étend sur sa période onusienne, marquée par son apport à l'établissement de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Il salue son engagement en faveur des sans-papiers (ce qui ne manque pas de sel, au moment où Manuel Valls leur fait la chasse dans les couloirs du métro !). Il «omet» de parler de son engagement contre la colonisation, notamment son soutien à l'indépendance de l'Algérie mais rappelle tout de même la relation privilégiée qu'il entretenait avec ce pays. Il cite des faits d'armes moins connus, comme sa vision novatrice des rapports Nord-Sud. Il défendait l'idée que la France ne devait plus intervenir dans le choix des dirigeants africains et appelait à l'établissement d'un véritable partenariat avec les pays du Sud. Cette vision s'est concrétisée par la rédaction de plusieurs rapports, rédigés à la demande de différents gouvernements, rapports qui ont tous fini à la poubelle? Vient le moment tant attendu et la levée du suspense. Oui, Hollande parle de la Palestine ! Il évoque l'engagement de Stéphane en faveur des Palestiniens. Mais c'est pour ajouter aussitôt que cet engagement, qualifié d'»extrême» a suscité l'incompréhension des amis de Hessel, dont celle de François Hollande lui-même. Sans doute le Président a-t-il voulu suggérer qu'il s'agit là d'un effet de l'âge puisqu'il indique que cet engagement s'est manifesté au soir de la vie du défunt. S'il ne remet pas en cause sa sincérité, il ajoute aussitôt que «la sincérité n'est pas forcément la vérité». C'est sans doute la première fois qu'un hommage national est assorti de telles réserves. Si ne subsistait du discours de Hollande que la partie palestinienne, on aurait pu s'interroger sur la pulsion masochiste qui l'a amené à honorer un dangereux terroriste tapi sous les traits d'un vieillard bienveillant? Qu'à donc d'»extrême» le volet palestinien du militantisme de Hessel ? A-t-il appelé à la haine des Juifs ? A-t-il préconisé de les jeter à la mer ? Evidemment non. Il a simplement demandé que le droit international s'applique dans cette région du monde, comme partout ailleurs. Ce droit international est terriblement imparfait puisque son exécution implique pour les Palestiniens la perte définitive de 78 % de leur patrie historique. Mais l'avantage est énorme. Il marquerait pour eux la fin de l'errance, la réintégration de leur identité, de leur liberté, la perspective pour les millions de réfugiés de se voir proposer enfin une solution qui les sorte des camps de la honte. Alors l'équation est simple. Dans le si mal nommé «conflit israélo-palestinien» (dénomination imposée par l'usage israélien parce qu'il évoque une symétrie entre les forces en présence, symétrie mensongère !), la partie palestinienne, qui a subi les massacres, l'occupation, l'exode, consent à l'abandon de près des quatre-cinquièmes de son territoire et demande simplement le droit d'édifier son Etat sur le cinquième restant. Ce faisant, elle se conforme aux résolutions onusiennes les plus récentes. Israël, à qui sont promises la jouissance des quatre-cinquièmes de la terre, la reconnaissance et la normalisation de la part de l'ensemble des pays arabes, la fin de toute forme de violence, refuse et continue le travail d'annexion rampante qui lui permettra de contrôler l'ensemble de la Palestine si personne n'y met le holà. Sous n'importe quelle autre latitude, on louerait toute personne qui viendrait à prendre la défense des Palestiniens. Comment pourrait-il en être autrement alors que la situation est d'une clarté aveuglante ? Il se trouve qu'en France, en Europe, aux Etats-Unis, on fait une lecture différente. Israël y bénéficie d'une complaisance qui lui assure de fait une impunité totale alors que les Palestiniens sont soumis à des pressions incessantes. Dernier exemple en date, l'injonction de Hollande à l'adresse des Palestiniens les sommant de « reprendre les négociations et d'arrêter avec les préalables» ! Cette attitude exhale un parfum au goût douteux, celui de l'essentialisme. L'islamophobie, l'arabophobie ne sont pas l'apanage des rues occidentales. La matrice qui les a produites est sans doute présente dans les têtes de leurs dirigeants. Quand il y a confrontation directe entre le semblable et l'Autre, on prend parti pour celui-là contre celui-ci. Au besoin, on n'hésitera pas à fouler aux pieds les principes qu'on édicte et qu'on prétend par ailleurs inculquer à la terre entière. Revenons à Hollande et au discours des Invalides. Il loue l'humanisme, la bonté, la compassion de Stéphane Hessel et explique de façon convaincante que ce sont ces qualités qui l'ont amené à défendre les faibles, les pauvres, les exclus. Il ne comprend donc pas que ce sont ces mêmes qualités qui l'ont amené à défendre la cause des Palestiniens avec d'autant plus d'énergie qu'il sentait ses forces l'abandonner. Stéphane Hessel, au contraire de l'écrasante majorité des bateleurs d'estrade qui peuplent les plateaux de télévision, n'était pas un honnête homme à temps partiel. Il l'était à plein temps. Il considérait qu'il n'y avait de vérité qu'universelle. Il s'était défait de toute espèce de pesanteur communautaire et n'avait gardé comme boussole unique que celle du droit pour tous. Il était à des années lumière des «réalistes», en réalité des maquignons qui vendent, avec succès hélas, leur marchandise clinquante et frelatée. Il avait fait sortir le loup du bois puisque tel intellectuel «respecté» l'avait comparé à un serpent à qui il convenait d'écraser la tête. Après sa mort, les extrémistes de la Ligue de Défense Juive ont sablé le champagne. Le CRIF, par la voix de son président, a craché sur sa tombe. Lors de ses obsèques au cimetière du Montparnasse, il a été défendu merveilleusement par ses amis de toujours, Edgar Morin et Michel Rocard, et par la foule émue, recueillie qui l'accompagnait. Stéphane Hessel appartient à l'Histoire. Elle lui donnera raison. Les opprimés d'aujourd'hui, les indignés de tout bord, feront triompher le droit et la justice. Elle recouvrira du voile de l'oubli ceux qui ont fait de misérables accommodements avec la morale une ligne politique. |
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