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Après la visite
de François Hollande, une nouvelle date mémorielle doit célébrer les victimes
françaises et algériennes, chaque 19 mars. Réactions.
Décembre 2012. Alors que le Président français François Hollande prépare sa visite en Algérie, une nouvelle loi mémorielle est promulguée en France. Sous l'impulsion de la Fédération Nationale des Anciens Combattants en Afrique de Nord, cette loi veut honorer «les victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc». La date choisie : le 19 mars. En référence au jour du cessez-le-feu en Algérie, en 1962, ce choix, loin de faire l'unanimité, réveille les démons encore bien présents en France. Polémiques ou passions ? Une chose est sûre, il ne laisse pas indifférent. Que penser en effet de cette date «commémorative» qui allonge la longue liste de ces évènements institués en France en autant de symboles ultra-politisés? Pour mémoire justement, citons le 5 décembre, date «neutre» honorant les «morts pour la France» en Afrique du Nord, jugée «arbitraire» par les promoteurs de la nouvelle commémoration du 19 mars. Citons le 5 juillet 1962, jour des enlèvements d'Européens à Oran, brandie comme un cri par certaines associations de Pieds-Noirs. Ou le 25 décembre, en hommage aux harkis ; et encore le 8 mai 1945, date mémorielle française de la Libération et de la victoire «contre le fascisme et le nazisme» certes, mais également jour du massacre de Sétif, devenu arme de dénonciation pour le mouvement des «Indigènes de la République» de la «France (post) coloniale». Puis, il y a ceux qui souhaitent en finir avec la «repentance coloniale». C'est d'ailleurs «sans repentance» que M. Hollande a reconnu les «souffrances» infligées à l'Algérie par la colonisation. Face à cet imbroglio de dates, il semble légitime de se demander si l'ingérence politique sur le terrain mémoriel ne cristallise pas les divergences, creusant un peu plus les «blessures coloniales»? Non, si l'on en croit le texte de la loi proposée par le sénateur (PS) Alain Néri. Rappelant le sinistre bilan aussi bien du côté français qu'algérien, elle affiche une volonté de réconciliation et d'apaisement en assumant le passé colonial «trop longtemps nié», «qui a marqué plusieurs générations de Français, comme la population algérienne et ses descendants». Dans un esprit d'«exactitude» historique et de rassemblement, elle ne laisse pas dans l'oubli les victimes des hostilités qui ont perduré après le 19 mars 1962. Enfin et surtout, la loi ne cache pas son ambition de faire «disparaître les séquelles les plus graves de la guerre d'Algérie, le racisme et les discriminations dont sont victimes encore aujourd'hui les ressortissants d'origine algérienne [?]» Cela étant, une date érigée en symbole suffit-elle à cicatriser les blessures d'une histoire longue de plus d'un siècle et à réconcilier les multiples protagonistes de cette histoire partagée ? Nous avons posé la question à quelques-uns d'entre eux. Lola Gazounaud ENTRETIEN AVEC GUY BEDOS Le comédien «polémiste» français, né à Alger, est arrivé en France à l'adolescence. Célèbre et célébré sur les deux rives de la Méditerranée, il est connu pour son amour indéfectible de l'Algérie. Il lui dédie la première partie de son livre J'ai fait un rêve. Entretiens avec Gilles Vanderpooten, paru le 14 mars aux éditions de l'Aube. Que pensez-vous de cette loi en faveur de la date mémorielle du 19 mars ? Je ne me sens pas concerné par cette date, n'ayant pas participé à la guerre d'Algérie. J'ai été réformé pour maladie mentale car je ne voulais pas tirer sur mes copains d'enfance. Cette date, je vous le dis franchement, je m'en fous, même si je comprends qu'elle ait du sens pour ceux qui ont fait la guerre. Mais, la réconciliation véritable, qui va au-delà des accords d'Evian, ne peut pas être réalisée par une date. On peut se pencher sur la mémoire de ceux qui se sont trouvé avalés par la guerre sans l'avoir choisie, mais cela ne suffit pas. Cette date, qui ne marque pas la fin des violences, ne fait pas consensus en France. Néanmoins, la proposition de loi s'adresse à toutes les victimes, françaises et algériennes. Si c'est le cas, je souscris ! Mais, on le sait, les accords d'Evian n'ont pas tout réglé et il y a eu beaucoup de massacres qui ont suivi, dans les deux camps. Une date mémorielle permet-elle d'apaiser les «souffrances» et rassembler les divers protagonistes de l'histoire partagée? Les actes sont plus importants que les dates. Or, il y a de nombreuses choses qui me choquent en France, notamment en ce qui concerne l'immigration. Beaucoup d'Algériens veulent venir en France et sont très mal accueillis voire même pas du tout. Ce n'est pas à l'honneur de la France. Ces êtres humains n'ont commis d'autres crimes que de naitre là où ils sont nés et ils sont bien plus importants que des dates mémorielles. On entend souvent parler de repentance en France. Que pensez-vous de la reconnaissance par François Hollande des «souffrances» infligées à l'Algérie par la colonisation ? C'est ce qu'il a fait de mieux, ces derniers temps... Néanmoins, quand M. Hollande va en Algérie pour signer des autographes, c'est bien, mais il devrait dire à M. Valls de changer de comportement vis-à-vis des Algériens qui arrivent en France. Je me souviens d'un dessin de mon ami Plantu, dans le journal Le Monde : François Hollande face aux jeunes Algériens exprimant « Repentance?... Regret ?? Excuse ?? » et les jeunes, en retour: «Visas !? Visas !» Sinon, je trouve très bien que le gouvernement actuel effectue une repentance, non pas en son nom propre, mais au nom de la France, qui je continue à le dire, est, en tant qu'occupant, responsable de cette guerre. Chacun doit se poser devant le miroir de l'histoire : il y a eu des excès de part et d'autre, des meurtres qui n'étaient pas des «urgences». J'ai la guerre en horreur, et celle-ci en particulier car elle était, selon moi, totalement évitable, si l'on avait écouté des gens comme Albert Camus. Je la porte comme une sorte de culpabilité parce que je suis né Français d'origine douteuse mais Français, et je trimbale une double honte, vis-à-vis de mes jeunes copains qui ont été enrôlés dans l'armée française, qui y ont laissé la peau ou ont participé à des saloperies, et vis-à-vis des milliers de morts dans les deux camps. Je suis sensible à la souffrance des jeunes combattants enrôlés de force, à celle des Pieds-Noirs qui n'avaient pas mérité de choisir entre la valise et le cercueil, à celles des Algériens, tous maltraités par l'Histoire. On nous parle de vivre ensemble aujourd'hui mais c'est ce que nous faisions alors, tous ensembles cathos, juifs, musulmans et athées. Comment parvenir à une réconciliation véritable ? Vous avez un projet de film qui va dans le sens de cette réconciliation ? Ce ne sera pas grâce à l'instauration de dates, mais grâce, par exemple, à la culture : par des livres, des films qui vont dans le sens du chagrin dont on est porteur en tant qu'être humain, du seul regret qu'il y ait eu cette guerre sans incriminer quiconque, si ce ne sont les gouvernements. Ce projet de film va en effet dans le sens d'une paix véritable et devrait être soutenu par la ministre algérienne de la Culture, Mme Khalida Toumi. J'interprète l'écrivain et journaliste Rolland Bacri, juif d'Algérie qui, par nostalgie de son enfance, retourne dans son pays natal. Il rencontre un chauffeur de taxi, joué par Fellag qui «se charge de lui», l'accompagne sur les lieux du souvenir... C'est la reconnaissance de faits historiques à un niveau personnel, emblématiques de ce qui sépare encore l'Algérie de la France. Pensez-vous que la France soit plus touchée que ne l'est l'Algérie par ces questions mémorielles? J'ai le sentiment, chez les Algériens que j'ai rencontrés, d'une envie d'effacer les cicatrices, envie d'une réconciliation, ce qui n'empêche pas les douleurs intimes de s'exprimer. J'ai ressenti également, de façon très forte, une mémoire encore vive de la langue française dont les Algériens sont orphelins. Quant à la France, je constate la montée du racisme et le gouvernement français a un rôle à jouer pour y mettre un frein et améliorer la relation franco-algérienne. Fatima Besnaci-Lancou est une écrivaine française née en Algérie[1]. Fille de harki, elle est présidente de l'association Harkis et Droits de l'Homme et historienne militante en faveur de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre des harkis et d'une réconciliation entre les diverses mémoires de l'histoire franco-algérienne. Demeurant sur le terrain factuel, elle rappelle les évènements sinistres qui se sont produits après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et ont touché l'ensemble des protagonistes de cette guerre : Européens et non-Européens, Harkis, Pieds-Noirs, Algériens... Pour elle, cette nouvelle loi mémorielle du 19 mars est une «atteinte à la dignité de tous ceux qui ont souffert de la guerre après cette date». Elle «élargit une blessure qui, pour beaucoup, n'est pas encore refermée.» Cependant, Mme Besnaci-Lancou reste persuadée qu'une date commémorative nationale peut contribuer à apaiser les souffrances, «dès lors qu'elle fait consensus au sein de la société française au minimum, et au-delà, de la société algérienne. Il peut par ailleurs être légitime que des groupes veuillent se souvenir de certains aspects de cette guerre qui les concernent davantage». Ainsi, depuis quatre ans, est commémorée le 12 mai 1962 par les Harkis, la «Journée de l'abandon», rappelant la décision française de ne pas rapatrier les harkis vers la métropole. Elle déplore que la question des harkis demeure en Algérie «un tabou» au sein d'une «histoire officielle» qui, selon elle, ne laisse guère de place au débat et aux mémoires individuelles. Fatima Besnaci-Lancou regrette ce mauvais traitement réservé aux harkis et à leurs enfants, et aspire à dépasser cette lecture de l'Histoire qui culpabilise et cherche «la repentance des harkis». Ahmed Yahiaoui, ancien employé de la mairie d'Alger Centre, est un ancien moujahid algérien. Pour lui, cette nouvelle loi mémorielle en date du 19 mars est «une bonne initiative» de la part du gouvernement français. Cependant, cette initiative demeure «insuffisante» pour le peuple algérien, vis-à-vis des «préjudices moraux, physiques et matériels lourds de conséquences causés par la France durant toutes ces années de guerre». M. Yahiaoui est convaincu qu'«une simple date mémorielle ne peut pas apaiser les souffrances des Algériens». Par Algériens, Ahmed Yahiaoui entend l'ensemble des protagonistes directs et indirects de cette guerre : «enfants de martyres mais également ceux qui ont combattu aux côtés de la France». Selon lui, «le peuple algérien mérite plus que des plaques mémorielles ou une date sur un calendrier». En quête de réparation morale, Ahmed Yahiaoui aimerait des «excuses publiques de la part du gouvernement français actuel» envers les Algériens. La reconnaissance des «souffrances infligées à l'Algérie par la colonisation» du président français lui semble avoir été un premier pas dans ce sens mais «sans repentance», cette reconnaissance demeure bien lacunaire en regard «du mal causé par l'armée française». Bernard Pointecouteau est un ancien appelé d'Algérie, président de l'association Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre (4ACG). S'il reconnait que le 19 mars 1962 n'a pas marqué l'arrêt des violences, M. Pointecouteau admet cependant que cette date «fait référence puisqu'elle marque l'arrêt des combats. Elle a donc une signification mémorielle, en opposition à la date du 5 décembre qui n'en revêt aucune». Selon lui, en matière de conflits, «l'instauration de dates mémorielles est importante». Néanmoins, dans le cas de la guerre d'Algérie, «elles ne peuvent vraiment apaiser les souffrances ni rassembler les différents protagonistes car il y a des mémoires et non pas une seule mémoire». Et d'ajouter : «En France, il faudra beaucoup de temps pour atténuer les marques de ce passé et apaiser les passions». C'est sans doute pour cela que la date du 19 mars «soulève encore aujourd'hui beaucoup de polémiques». Pour tous, les blessures sont vives. Bernard Pointecouteau le sait bien puisque l'association qu'il préside a publié en 2010 un ouvrage dont la belle ambition était de permettre «une rencontre des mémoires»[2], qui a «sans doute favorisé l'apaisement pour certains». Mais, dit-il «le travail de mémoire appartient à chacun et se réalise selon son propre cheminement. Pour certains, il ne pourra jamais se réaliser». Dans le cas des Algériens, «une autre guerre et d'autres souffrances» sont venues s'ajouter aux blessures du passé franco-algérien. Note : [1] Parmi ses ouvrages, Fille de harki, publié aux éditions de l'Atelier, 2005 (2de édition), Paris. A remporté «le prix Seligmann contre le racisme» [2] Guerre d'Algérie, guerre d'indépendance. Paroles d'humanité, éditions de l'Harmattan, 2010, Paris |
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