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La semaine dernière,
en découvrant les unes du Nouvel Observateur et de Libération toutes deux
consacrées à un « roman » à propos d'une liaison en 2012 entre son auteure, la
juriste Marcela Iacub, et Dominique Strauss-Kahn, ma première réaction a été
une colère mêlée de nausée. J'avais devant moi le symbole de cette indécence
parisianiste dont je me demande jusqu'où elle va aller et quelles catastrophes
elle va finir par déclencher. C'était-là un nouvel exemple obscène de la
déconnection entre les médias dits nationaux (et dits aussi de gauche?) et les
Français (vous noterez que je n'ai pas parlé de France profonde mais bien de
Français, où qu'ils habitent).
Voilà un pays plongé dans la crise et où le désarroi et la peur du déclassement sévissent à chaque coin de rue. Voilà un pays, où l'on sent physiquement la souffrance et la crainte du lendemain. Voilà un pays qui sait déjà que 2013 ne sera pas une bonne année sur le plan de l'économie et donc de l'emploi. Et que trouvent à faire ces deux publications qui, hier, c'était certes il y a longtemps, se mobilisaient pour les combats sociaux et la lutte contre les inégalités ? Les voici donc qui infligent au lecteur quelques bonnes feuilles à propos de cochonneries et autres galipettes qui, dans un monde normal, ne devraient intéresser personne si ce n'est quelques obsédés lubriques en mal d'images salaces. Khmadj? J'ai été heureux d'apprendre que de nombreux journalistes de Libé ont protesté contre le choix d'un tel sujet qui, à la limite et connaissant l'implacable loi du copinage et réseautage en la matière, aurait dû être cantonné aux pages littéraires. Mais, ce battage médiatique en dit long sur l'état d'une partie de la presse française, de son incapacité à réaliser que l'époque actuelle est porteuse de dangers et que ce n'est pas en organisant ici et là quelques savants débats qu'ils peuvent prétendre verser leur écot. On dira qu'en ces temps de lectures gratuites et googlisées, il faut faire preuve d'inventivité et d'agressivité pour aller chercher le lecteur. Peut-être. Mais, cela n'est ni plus ni moins qu'un pitoyable racolage qui flatte les plus bas instincts qui sommeillent en chacun d'entre nous. Bien sûr, on nous a servi l'inévitable argument de « l'excellente qualité littéraire » du livre. Tu parles? J'étais d'autant plus énervé que je venais d'apprendre les conditions dans lesquelles le site SlateAfrique venait de congédier son rédacteur en chef Pierre Cherruau ainsi que son adjoint Philippe Randrianarimanana. Je n'emmétrai pas de jugement public sur ce renvoi. Mais, je sais au moins une chose. Pierre Cherruau a permis le décollage de ce site. Avec lui et son équipe, nous avons été quelques pigistes à avoir assis la crédibilité et la notoriété de SlateAfrique, notamment au Maghreb. Parmi ces contributeurs, où l'on comptait entre autre Chawki Amari et Kamel Daoud, il y avait aussi le journaliste marocain Ali Amar. Pour nous autres journalistes algériens, habitués à ne jamais ménager notre plume à l'égard du pouvoir d'Alger, la présence d'Ali Amar avait quelque chose de rassurant sur le plan de « l'équilibre des forces » car cela signifiait que le Makhzen marocain en serait lui aussi pour ses frais (pas de manière gratuite mais quand l'actualité l'exigerait). En effet, trop souvent, les publications (comme les colloques) concernant le Maghreb en France se résument à une mise en accusation systématique du pouvoir algérien tandis que les deux autres voisins, surtout le marocain, sont plutôt ménagés (Mamounia et « tagineage » obligent?). Pour dire les choses simplement, dans la presse française, on peut cogner autant qu'on veut sur Abdelaziz Bouteflika, le DRS ou qui sais-je encore, mais, surtout, surtout, pas touche à Mohammed VI. Or, Ali Ammar, comme ses anciens compères du Journal Hebdo Aboubakr Jamaï et Ali Lmrabet, ne se sont jamais laissés allés à ce genre de journalisme makhzano-compatible. Le fait qu'Ali Amar ne soit plus calamum-gratta chez SlateAfrique pose donc nécessairement la question de l'indépendance de ce site vis-à-vis du Makhzen et des divers intérêts financiers interlopes qui activent en son nom. Il est possible que cette indépendance soit maintenue, mais, en tout état de cause, j'ai décidé, en ce qui me concerne, que la belle aventure avec SlateAfrique est désormais terminée. Depuis longtemps, la majorité des écrivains se doivent de trouver un emploi pour vivre, traînant ainsi un fardeau sapant leur créativité et diminuant leur temps d'écriture. Cela vaut aujourd'hui pour le journalisme indépendant. Ce métier est en train de muter et une certaine idée de l'exercer est en train de mourir de sa belle mort. La faute à ce que j'ai décrit précédemment. Pipolisation, influence de lobbies divers, standardisation de l'écrit. La profession vit sous le règne des copains et des coquins. On en est ou l'on n'en est pas. Qu'importe l'expérience, le savoir-faire, la connaissance fine de tel ou tel sujet : on sent bien que partout les digues cèdent. Rentabilité, frilosité à l'égard de certains sujets jugés tabous, emprise des cumulards, uniformité et caporalisme. Etre à la fois pigiste et avoir un second métier va être une tendance lourde. A terme, le prix à payer par la presse mais aussi par la démocratie sera très lourd dans un contexte où l'on nous annonce pour demain des journaux sans journalistes (!). Mais, cette inquiétante perspective ne semble guère inquiéter la presse et il est à parier qu'elle ne volera jamais la vedette à une actualité fesso-littéraire. |
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