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L'Afrique de
l'Ouest figure rarement dans l'actualité internationale. Il ne fait donc aucun
doute qu'il s'y passe quelque chose de très grave lorsque ce pays fait la une
des journaux et se trouve au centre du débat politique dans le monde entier. La
prise du nord du Mali par un groupe affilié à al-Qaeda et les terribles
événements qui ont eu lieu en Algérie ont attiré l'attention du public
international sur la menace extrémiste dans la région, et sur son impact
potentiel sur l'ensemble du monde.
Nous devons espérer que les opérations militaires en cours seront couronnées de succès, mais elles ne doivent pas occulter les origines de la crise et la menace à laquelle sont confrontés non seulement le Mali, mais également la région entière. Ces menaces risquent de compromettre les progrès indéniables réalisés. L'Afrique de l'Ouest est peut-être l'une des régions les plus pauvres du monde, mais son histoire récente est remarquablement encourageante. Après une période chaotique et violente à la suite de la Guerre froide, elle a connu une croissance impressionnante alimentée par le boum des matières premières, une gestion macro-économique plus saine, des investissements humains, et un allègement de la dette. L'Afrique de l'Ouest est un des principaux réservoirs mondiaux de matières premières comme l'or, l'uranium, le pétrole, le gaz, les diamants, le cacao et le café, de sorte que son intérêt stratégique croît au rythme de l'expansion de ses économies. Jusqu'à 25% des importations pétrolières des seuls États-Unis devraient dépendre de la région à l'horizon 2015, ce qui ne manquera pas de susciter de nouveaux investissements et une attention diplomatique accrue. Certaines tendances sont toutefois moins positives, comme vient de nous le rappeler le Mali, qui était un des destinataires de prédilection de l'aide au développement jusqu'au coup d'Etat. Le Mali nous rappelle donc ainsi brutalement à la réalité. Un des dangers les plus pressants pour la stabilité de l'Afrique de l'Ouest est l'intensification massive du trafic de drogue et d'autres activités criminelles au cours de la décennie écoulée. La région est devenue un axe important d'acheminement de stupéfiants d'Amérique latine vers l'Europe, et les opiacés en provenance d'Afghanistan et du Pakistan via l'Afrique de l'Est sont expédiés vers les Etats-Unis à partir de l'Afrique de l'Ouest après y avoir été coupés et emballés. L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) estime qu'au moins 60 tonnes de cocaïne passent par la région chaque année. L'Afrique de l'Ouest est également une plaque tournante pour les trafics d'êtres humains et d'armes légères, tout comme pour la contrebande de diamants, et les actes de piratage et les enlèvements. Les recettes de ces activités illicites contribuent au financement de groupes extrémistes, nous prévient l'agence onusienne. En raison de facteurs liés à la gouvernance, la pauvreté et la géographie à la fois, l'Afrique de l'Ouest est particulièrement vulnérable à l'activité criminelle transnationale. Ses institutions sont faibles, ses frontières poreuses, ses côtes mal surveillées, et ses fonctionnaires sous-payés sont facilement tentés par la corruption. Les armées et les forces de l'ordre, censées constituer les principales défenses contre, respectivement, les insurrections et le crime organisé, contribuent elles-mêmes parfois au problème. Souvent délibérément affaiblies pour minimiser toute menace potentielle de leur part à leurs propres gouvernements - une préoccupation certes légitime compte tenu de l'histoire de la région - elles ne sont pas toujours en mesure de jouer efficacement leurs rôles respectifs : veiller à la protection de l'état et de sa population. L'impuissance flagrante de l'armée malienne à défendre son territoire ne fait que le confirmer. Pire encore, certaines forces de sécurité sont en fait complices de ces activités illégitimes. Le coup d'Etat d'avril 2012 en Guinée-Bissau, l'exemple le plus flagrant de ce fait, a été largement attribuable à la volonté des forces armées de prendre le contrôle du lucratif commerce des drogues transitant à l'intérieur du pays. Ces problèmes sont exacerbés par un des taux de croissance démographique les plus élevés du monde. La jeunesse est sans nul doute un atout formidable, sauf en l'absence de suffisamment d'emplois ou d'écoles. Les jeunes hommes sans qualifications professionnelles, sans emploi et sans avenir sont particulièrement vulnérables aux tentations de la drogue, des politiciens peu scrupuleux, des idéologies radicales et du crime. Même si les économies de la région sont en expansion, la création d'emplois ne suit pas la même évolution. L'essentiel de la croissance relève de secteurs à forte intensité de capital et non de main d'œuvre, comme les industries pétrolières et minières. Le fossé ne cesse donc de se creuser en termes de richesse et d'opportunité entre une petite élite profitant du boum des matières premières et la majorité de la population, ce qui ne fait qu'attiser le mécontentement populaire, en particulier chez les jeunes. En quelques mots, je tiens à souligner le fait que les menaces à la sécurité exposées par le Mali sont les symptômes de problèmes régionaux plus profonds pour lesquels une approche globale s'impose. Une intervention militaire au Mali, aussi inévitable qu'elle se soit avérée, ne parviendra pas à remédier aux causes sous-jacentes de l'instabilité en Afrique de l'Ouest. Les gouvernements d'Afrique de l'Ouest doivent se servir des fruits de la croissance pour mettre en œuvre une réforme du secteur de la sécurité, développer l'infrastructure, l'agriculture, la formation professionnelle, l'éducation et le planning familial, si nous voulons que la région tienne ses promesses. C'est animé par ces inquiétudes profondes que j'ai convié un groupe d'éminents africains de divers horizons à siéger au sein d'une commission ayant pour vocation d'étudier la menace du trafic de drogue et son impact insidieux sur la sécurité, la gouvernance et le développement en Afrique de l'Ouest, et d'y proposer des solutions. Cette commission, que l'ancien Président du Nigeria, Monsieur Obasanjo, a accepté de présider, entend susciter une prise de conscience des dangers présentés par le trafic de drogue et le crime organisé, et proposer des modalités d'action pratiques pour endiguer le problème. Nous devons aborder les problèmes de l'Afrique de l'Ouest sous une perspective holistique, et ne pas concentrer notre attention sur un seul danger, quelle que soit sa gravité. * Président de la Fondation Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies et prix Nobel de la paix. |
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