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- En ce début d'année 2022,
les chercheurs du monde entier semblent déconcertés face à la pandémie, votre
essai arrive à un moment important, quels sont les aspects abordés ?
Mustapha Cherif : Aujourd'hui, tous les problèmes se posent en même temps. Y faire face, avec humilité et lucidité, est un devoir. La réflexion sereine s'impose. Penser cette grave pandémie, que personne n'a prévue, est nécessaire, notamment pour fonder une riposte adaptée, une éthique et de nouvelles relations internationales, basées sur le bien commun. Deux années après, c'est une nécessité stratégique que de poser les bonnes questions, de tirer les leçons de cette crise multidimensionnelle qui persiste, de réfléchir sur la condition terrestre et notre comportement, politique, économique et culturel. C'est une épreuve majeure. La réalité géopolitique et sanitaire est problématique, ses contours restent incertains. Protéger les populations, défendre notre liberté, notre souveraineté et notre indépendance chèrement acquises, est requis, tout en étant ouvert sur le monde. Personne ne peut vivre isolé. La pandémie montre que l'interdépendance et la mondialisation doivent être repensées. Ce sont des questions politiques et civilisationnelles. Il s'agit de limiter les effets néfastes de la mondialisation, pour bâtir un vivre ensemble local et mondial juste. Ce qui se passe ne relève pas du hasard, c'est une déferlante mortifère qui remet en cause l'ordre mondial et les comportements anarchiques. - L'humanité est-elle en danger ? M.C. : Ce n'est pas la fin du monde, mais l'humanité est soumise à rude épreuve, elle doit faire son examen de conscience. Elle est traumatisée, la science tente d'y faire face. C'est nécessaire mais pas suffisant. Les spiritualités et les sagesses ont aussi leur part de responsabilité. Chacun doit contribuer par une discipline sans faille. Le musulman, du temps de l'apogée de la civilisation musulmane, lors des épidémies, ne se limitait pas à prier et à patienter, actes de résilience. Il pratiquait le civisme, les gestes barrières, le confinement et faisait confiance à la médecine, comme l'exige la Sunna. On doit éduquer à la rationalité et au bien commun. - La situation est-elle identique au Nord comme au Sud ? M.C. : La pandémie est planétaire, mais le fossé est grand et se creuse entre le Nord et le Sud, notamment au sujet des moyens pour y faire face. Les mécanismes internationaux sont insuffisants. Il n'y a pas eu à ce jour de réponse mondiale unifiée et juste. Des égoïsmes et la dictature du marché dominent. Mais des pays du Sud comme notre pays, ne sont pas impuissants, ils anticipent et agissent. - Sur le fond quel est le problème ? M.C. : En termes d'urgence et de priorité, il s'agit de sauver le maximum de vie en vaccinant et en communiquant, en attendant l'immunité collective. Sur le fond, la sécurité sanitaire est le concept majeur à visiter, allié à celui de liberté. Comment articuler les deux dimensions, sécurité et liberté, est une question de fond de toujours, qui a resurgi avec cette pandémie. Cela a révélé les difficultés des nations à se protéger et à se mettre d'accord sur une politique commune qui protège les vies et respecte les libertés. La leçon est celle de la prévention et des mesures de sauvegarde, comme le stipulent les recommandations du Prophète. Il s'agit de se protéger, de s'appuyer sur la discipline de la société, en recherchant l'équilibre entre droits et devoirs. Comment définir cette crise ? M.C. : Cette crise est révélatrice de l'impasse dans lequel se trouve l'ordre mondial. La mondialisation et le libéralisme sauvage malgré leurs moyens et puissance, sont dans l'impasse. Ils imposent une voie aveugle et à sens unique. Elle a échoué à construire un monde juste et équilibré. Les prédateurs, les inégalités et les violences augmentent. La nature est agressée et l'être humain est de moins en moins libre, sage et raisonnable. C'est une occasion historique pour réviser les paradigmes. Pour cela, il faut saisir l'immensité et la profondeur de ce qui se passe. Au Sud, l'autoritarisme, la pauvreté, l'ignorance, et le néocolonialisme font des ravages. Ce qui pousse des citoyens à fuir, à émigrer à tout prix, alors que ce n'est pas une solution. Au Nord, la culture libertaire et de l'adoration du « veau d'or », la perte d'éthique et la rhétorique populiste et xénophobe des politiques et des médias qui fabriquent la figure d'un «ennemi» sont dévastatrices. Elles attisent la haine et favorisent les fractures, les conflits et les violences. Les surenchères électoralistes, l'escalade vers un néofascisme, la sauvagerie et le risque de déstabilisations et de guerres semble enclenchés, à commencer par les cyber-attaques et les rétorsions économiques. Des idéologies sectaires et populistes et des personnes sans scrupules cherchent à diviser et à dominer le monde, profitant de la crise profonde et de la peur, qu'ils amplifient. Elles hiérarchisent et opposent les civilisations, alors que l'humanité est une et diverse. - Quelle est la solution ? M.C. : Elle est politique et éthique. Nous avons besoin d'une élite légitime, intègre et compétente pour dialoguer, éduquer le peuple et être à son écoute. Faire face à cette pandémie, c'est donner la priorité au secteur de la santé et de l'enseignement, et réaliser la synergie de tous les secteurs, pour accompagner la société. Éveiller les consciences à la vigilance, tout en rassurant. Méthode que la Sunna et la science universelle nous enseignent, notamment pour faire face à l'incertitude. - Comment sensibiliser la jeunesse ? M.C. : Le défi principal c'est celui de l'exemplarité, pour donner de l'espoir dans la vie concrète des jeunes citoyens. Il y a lieu de lutter contre la pauvreté, sanitaire, économique, sociale et culturelle. La jeunesse, livrée à elle-même, est branchée sur internet et ne croit plus les politiciens. A juste titre, elle rejette la médiocrité, la démagogie, le cynisme et la langue de bois. Cette crise de confiance est un grand défi. Reste à la sensibiliser sur les risques de récupération, de désinformation et de manipulation par les extrémismes de tous bords. La jeunesse algérienne est capable de discernement et de prouesses. Connaissant les potentialités du pays, son histoire et sa géographie, elle aspire à une Algérie exemplaire sur tous les plans. - Vous parlez d'inégalités entre le Sud et le Nord de la planète, comment y remédier ? M.C. : Humainement et sur le plan des richesses naturelles le Sud, berceau de l'humanité, est porteur d'atouts, mais il lui faut démocratiser, en tenant compte des réalités historiques et sociales, et éduquer les populations. Retrouver le sens de l'engagement politique comme le fait notre pays, en faveur des justes causes, en somme, conjuguer authenticité et progrès. La pandémie et les défis de l'heure nous obligent à nous unir, à compter sur nous-mêmes et à consolider la coopération Sud-Sud. Au Nord, dans ce climat de pandémie et de énième vague, malgré la prolifération de règles de droit et des acquis de différentes natures, comme ceux de la recherche scientifique, l'air du temps sombre des « années trente » des haines et des racismes semble s'installer. C'est une diversion, par rapport aux problèmes multiples. Compte tenu du fait que la sécurité de l'espèce humain et le vivre ensemble sont en danger, il faut dialoguer et s'appuyer sur les citoyens et les institutions de l'État. La force réside dans la symbiose. Le monde occidental n'est pas monolithique, des forces de paix existent. Nous ne devons pas renoncer à dialoguer et à vouloir bâtir ensemble un monde meilleur et amical, en alliant respect et émulation, science et foi. Compte tenu des réalités complexes de la mondialisation, il n'y a plus de mondes séparés, la communauté de destin impose ses nouvelles règles. L'avenir ne se fera pas sans le Sud, s'il sait être fidèle à ses racines et audacieux, pour forger son autonomie et construire un autre avenir, où le progrès sera total, pas seulement technologique, mais aussi éthique et civilisationnel. La rupture se fera à ce niveau. - Est-elle possible ? M.C. : Rien ne sera plus comme avant. Mais en même temps, la paix et le progrès sont toujours possibles. Ce sont les règles et les conditions qui sont en train de changer. C'est une épreuve. L'humanité doit prouver qu'elle est capable de se corriger. Surtout qu'il y aura d'autres pandémies. Il ne s'agit ni d'imiter aveuglement ni de s'enfermer, mais de partager les remèdes universels, d'assumer nos responsabilités et de croire en nos valeurs empreintes de culture de la dignité, d'humanisme et de bon sens. Allier fidélité et créativité est la condition pour réaliser la renaissance. M.C. : est philosophe, professeur à l'Université d'Alger, lauréat du prix Unesco du dialogue des cultures, auteur d'une vingtaine d'ouvrages, dont « L'humanité face au défi de la pandémie », aux éditions Anep 2021. |
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