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MASERU
- La pandémie de COVID-19 a révélé de vastes inégalités systémiques d'accès et
d'opportunités entre les systèmes éducatifs du monde entier. Alors que la
fermeture des écoles et le passage à l'enseignement à distance ont fait des
ravages chez des centaines de millions d'élèves, les écoles publiques sous-financées
en Afrique ont été les plus durement touchées. On entend souvent dire que
nécessité est mère de l'invention, mais il est presque impossible d'innover et
de progresser sans ressources ni infrastructures suffisantes.
Le Lesotho, un petit pays à revenu intermédiaire inférieur en Afrique australe, est un bon exemple de ce phénomène. Selon un récent rapport des Nations Unies, seulement 83 % des enfants du pays ont pu retourner à l'école depuis la reprise des cours en personne. Dans un pays comme le Lesotho, où près de 40 % de la population a moins de 18 ans et où seulement quatre enfants sur dix s'inscrivent dans l'enseignement secondaire, cela équivaut à une crise totale qui menace d'inverser des décennies de progrès en matière d'apprentissage et d'accès à une éducation de qualité. Entre avril et août 2020, Human Rights Watch a mené 57 entretiens à distance avec des élèves, des parents, des enseignants et des fonctionnaires de toute l'Afrique au sujet des effets de la pandémie sur l'éducation. Lorsque les écoles ont fermé au début de la pandémie, de nombreux enfants ont effectivement cessé d'apprendre. Beaucoup d'entre eux ont fait cette même expérience de sentiments de stress, d'anxiété, d'isolement et de dépression en raison du manque de contact avec leurs amis et leurs enseignants à l'école. Certains enfants vivant dans l'extrême pauvreté se sont vu refuser l'accès non seulement à des possibilités d'éducation, mais aussi à des repas gratuits à l'école, ce qui a entraîné la malnutrition. L'éducation des filles a également subi des revers importants, car de nombreuses écolières ont été forcées d'accomplir des tâches ménagères au lieu d'apprendre. Mais ceux qui étaient inscrits dans les écoles publiques ont le plus souffert, car la pandémie a exacerbé les disparités existantes entre l'éducation privée et l'éducation publique à travers le continent. Un enseignant d'une école primaire publique rurale a déclaré à Human Rights Watch que son école n'avait pas d'ordinateur et que les enseignants n'avaient pas les compétences informatiques requises pour rendre efficace l'apprentissage à distance. Par contre, une administratrice de laboratoire d'une école privée a déclaré que tous ses élèves utilisaient des services numériques comme Google Classroom avant même la pandémie. Bien que certains élèves et enseignants de son école aient rencontré diverses difficultés liées à l'apprentissage à distance, tous ont réussi à faire leurs devoirs scolaires dans de bonnes conditions. Son école, a-t-elle ajouté, a même développé une plate-forme d'apprentissage personnalisée qui a permis aux enseignants d'interagir avec les élèves et de passer des examens en ligne. La transition vers l'apprentissage à distance a été difficile pour les ménages plus pauvres comme pour les ménages plus riches. Même les parents technophiles estiment souvent que l'apprentissage à distance est inefficace. La plupart des parents croient en l'importance de l'interaction physique entre élèves et enseignants, s'attendent à une forme de commentaire des enseignants sous forme de notes attribuées aux travaux scolaires pour évaluer les progrès de leurs enfants et assistent à des réunions scolaires pour rencontrer les enseignants en personne. Mais alors que les élèves les plus riches étaient déjà familiers avec la technologie, possédaient des ordinateurs et des téléphones mobiles à la maison et avaient accès à des laboratoires informatiques et à Internet haut débit à l'école, les élèves des familles à faible revenu dans les écoles publiques rurales étaient dépourvus de compétences techniques rudimentaires. Le coût élevé des données mobiles est l'un des plus grands obstacles à l'apprentissage à distance en Afrique. Quand les écoles étaient fermées, de nombreux enfants sans ordinateur à la maison sont eu recours au téléphone portable de leurs parents pour suivre leurs cours, mais certains parents ont refusé, à cause des coûts élevés des données et du stockage limité. D'autres n'avaient pas les moyens d'acheter un smartphone. Mais même les parents plus riches ayant des enfants dans les écoles privées ont trouvé difficile de faire face à l'utilisation accrue des données, car la pandémie a également fait diminuer leurs revenus. En outre, le manque d'accès fiable à Internet a rendu l'instruction synchrone extrêmement difficile, voire impossible. Les difficultés et les problèmes de connectivité compromettent souvent l'apprentissage des élèves et les enseignants peinent à s'assurer que les élèves sont attentifs et qu'ils comprennent le matériel pédagogique. Les prix faramineux des données sont un problème à l'échelle du continent qui affecte négativement l'apprentissage dans toute l'Afrique. Pour y remédier, les gouvernements doivent obliger les fournisseurs de services mobiles à baisser les prix et à proposer des forfaits de données à prix réduit aux élèves et aux enseignants. Sinon, les gouvernements pourraient accorder des subventions aux entreprises qui souhaitent fournir gratuitement des données et des appareils aux élèves et à leurs parents. L'apprentissage à distance fait désormais partie intégrante de l'éducation et les services de visioconférence comme Zoom ne vont pas disparaître de sitôt, indépendamment du contexte de crise de santé publique. Il est essentiel de développer des systèmes de gestion de l'apprentissage qui permettent aux enseignants de dispenser des leçons efficacement, d'engager les élèves durant les activités scolaire et de fournir des outils accessibles pour évaluer leurs progrès. Les enseignants doivent également devenir plus experts dans l'utilisation de ces nouvelles plates-formes. Pour atteindre l'objectif de développement durable de l'ONU pour l'éducation (SDG4), qui vise à « assurer une éducation de qualité inclusive et équitable et à promouvoir des opportunités d'apprentissage tout au long de la vie pour tous », les gouvernements africains doivent s'attaquer aux inégalités éducatives exacerbées par la pandémie. Mais tout d'abord, les décideurs doivent fournir les ressources nécessaires pour créer des environnements d'apprentissage sûrs et équitables pour tous les élèves, qu'ils fréquentent une école privée ou publique. *Co-fondatrice de l'ONG Green Tech, formatrice et ambassadrice de Africa Code Week au Lesotho - Traductrice pour la langue régionale du Sotho du Sud au projet PhET Interactive Simulations à Colorado Boulder University, ancienne membre de Young African Leaders Initiative. |
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