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Dans un rapport de la Banque
de France, «L'Europe à la croisée des chemins» (1), Jens Weidmann,
président de la Deutsche Bundesbank, et François Villeroy,
gouverneur de la Banque de France, ont analysé, aujourd'hui, la situation de
l'Europe. «Aujourd'hui, disent-ils, l'Europe se trouve à la croisée des
chemins.» Ce qu'on retient : 1. «La crise de la dette n'est pas complètement
terminée et, dans de nombreux États membres, le chômage demeure élevé.» 2. «La
montée du terrorisme.» 3. «L'afflux massif de réfugiés. Ce sont des questions
qui ne pourront rester sans réponse.
En France comme en Allemagne, certains peuvent avoir le sentiment d'une absence notable de solidarité européenne sur ces deux points. D'autres vont même jusqu'à remettre fondamentalement en question le projet européen, et les tendances nationalistes s'exacerbent dans plusieurs États membres. Pourtant, en tant qu'Européens engagés, nous considérons tous deux que l'avenir de l'Europe ne peut se bâtir sur une renationalisation, mais qu'il passe, au contraire, par un renforcement de ses fondations. Les Européens partagent des valeurs fortes, un modèle social équitable et une monnaie solide. Nous devons nous appuyer sur ces atouts.» Tout en précisant que la politique monétaire menée par la BCE qui a apporté un grand soutien à l'économie de la zone euro, elle ne peut à elle seule générer une croissance économique durable. Pour apporter une solution à la crise de la dette souveraine en Europe, les Banquiers centraux préconisent : «Pour mener à bien le renforcement de la prospérité et de la stabilité dans la zone euro, il convient d'ériger trois piliers économiques : des programmes de réformes structurelles nationales menées avec détermination, une Union de financement et d'investissement et une meilleure gouvernance économique. Des programmes de réformes structurelles nationales menés avec détermination sont essentiels pour renforcer la croissance et l'emploi. Commençons par la France. Le fonctionnement du marché du travail doit manifestement être amélioré et il convient de traiter la question de la dualité entre les contrats à durée déterminée et les contrats à durée indéterminée ; au-delà du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), il faut encore réduire le coût des emplois non qualifiés ; le système d'éducation et de formation doit être réorganisé afin de créer des voies d'accès à l'emploi pour les jeunes, et à cet égard, la promotion de l'apprentissage pourrait constituer la meilleure voie à suivre. Sur les marchés des biens et des services, la concurrence doit être renforcée en supprimant les barrières à l'entrée et à la sortie, notamment dans le secteur des services. S'agissant de la dette publique, il convient de poursuivre les efforts engagés afin d'atteindre des niveaux plus soutenables. À cette fin, la discipline budgétaire doit être renforcée au moyen d'une gestion plus rigoureuse des dépenses. En dépit de sa situation économique plus favorable, l'Allemagne doit, elle aussi, poursuivre sur la voie de la réforme : les évolutions démographiques devraient entraîner une diminution de la population active - et l'afflux de réfugiés que l'on observe actuellement ne changera pas la donne de manière significative. Il en résultera un ralentissement de la croissance à long terme. Deux leviers principaux permettent d'agir sur ce fardeau démographique: relever l'âge du départ à la retraite pour être en phase avec l'augmentation de l'espérance de vie ; accroître le taux d'activité, notamment en encourageant davantage de femmes à rejoindre la population active.» (1) Les Banquiers centraux donnent des précisions sur la jeunesse et leur intégration dans le marché de l'emploi, ainsi que sur les migrants. «Les infrastructures d'accueil et d'éducation des enfants doivent être améliorées et développées. Le régime fiscal et de redistribution allemand peut être modifié de manière à accroître les incitations à la recherche d'un emploi rémunéré. Des mesures décisives de politique économique doivent être prises afin d'apporter aux réfugiés qui resteront dans le pays les connaissances linguistiques et les compétences professionnelles nécessaires pour réussir sur le marché du travail. Et les obstacles à l'augmentation de la productivité pourraient être supprimés en réduisant les barrières à l'entrée sur le marché, par exemple, par la libéralisation et la dérèglementation des professions libérales ou par l'élimination des freins à la création d'entreprise. Outre les réformes structurelles à l'échelle nationale, des mesures de renforcement de la croissance sont nécessaires au niveau européen.» Pour ce faire, Jens Weidmann et François Villeroy annoncent, pour renforcer la zone euro, la mise en œuvre d'un programme ambitieux qui doit s'appuyer sur une «Union de financement et d'investissement». I.e. le deuxième pilier économique. «En effet, l'un des principaux défis que doit relever la zone euro concerne le paradoxe d'une épargne abondante qui n'est pas suffisamment mobilisée au bénéfice de l'investissement productif. L'Europe peut mieux faire pour rapprocher les deux, et l'émission d'actions semble être l'évolution la plus prometteuse en ce sens. Chacun sait que le financement des entreprises par émission d'actions est deux fois moins important en Europe qu'aux États-Unis et le financement par endettement deux fois plus élevé. Cela est regrettable car le financement par émission d'actions est le meilleur moyen de partager les risques et les opportunités, et aussi de soutenir l'innovation. Par exemple, le marché boursier américain, qui présente une forte intégration, est capable d'amortir 40% environ d'un choc économique spécifique à un État, les bénéfices et les pertes des entreprises étant distribués à leurs propriétaires sur l'ensemble du territoire américain. Dans la zone euro, cette forme de partage des risques est pratiquement inexistante. En se rapprochant des niveaux américains, la zone euro deviendrait une union monétaire beaucoup plus résistante. Le projet de la Commission européenne de créer une Union des marchés de capitaux apporte des réponses à certains de ces problèmes. Prises individuellement, des initiatives telles que l'Union des marchés de capitaux, le plan Juncker pour l'investissement et l'achèvement de l'Union bancaire - une fois les conditions préalables réunies - ne seraient pas vraiment marquantes, alors que sous une forme plus rationalisée et rebaptisée «Union de financement et d'investissement», elles seront collectivement capables de mieux canaliser l'épargne vers des investissements productifs en Europe.» (1) Pour le troisième pilier, c'est-à-dire la gouvernance de la zone euro, Jens Weidmann et François Villeroy posent la problématique de la croissance dans la zone euro : «Enfin, s'agissant des politiques budgétaire et économique, l'asymétrie actuelle entre souveraineté nationale et solidarité commune constitue une menace pour la stabilité de notre union monétaire. Malheureusement, le cadre de coordination qui avait été mis en place comme garde-fou n'a pas permis d'éviter la détérioration des finances publiques et l'accumulation de déséquilibres économiques, comme l'a notamment montré la crise grecque. Nous nous trouvons clairement à la croisée des chemins et la question à laquelle nous devons répondre à présent est la suivante : comment sortir de cette situation sous-optimale ?» (1) On doit comprendre que c'est la gouvernance économique dans la zone euro qui pose problème. Et que, sans le règlement de cette question, les deux piliers économiques préconisés, à savoir les programmes de réformes structurelles nationales, une Union de financement et d'investissement et une meilleure gouvernance économique, ne seraient que des vœux pieux. Et c'est d'ailleurs une mise en garde que Jens Weidmann et François Villeroy adressent à tous les décideurs européens, et qui, en tant que Banquiers centraux, savent ce qui pourrait ressortir de la situation future de l'économie européenne. En s'interrogeant : «Que faire pour sortir de cette situation sous-optimale ?», et en énonçant qu'«une asymétrie est une menace pour la stabilité de notre union monétaire», on remarque néanmoins un paradoxe euphémique qui ne calque pas avec la réalité de la zone euro. Les propositions des Banquiers centraux pour sortir l'économie de la zone euro de la crise : «Une plus grande intégration semble être la solution la plus simple pour restaurer la confiance dans la zone euro, car elle favoriserait des stratégies communes en matière de finances publiques et de réformes et par là, la croissance. Pour cela, il faudrait clairement que les États membres de la zone euro consentent à un partage de la souveraineté et des pouvoirs au niveau européen, ce qui exigerait alors une plus grande responsabilité démocratique. Dans ce nouveau cadre, la zone euro reposerait sur une base institutionnelle plus solide, qui devrait se fonder sur l'idée centrale de l'intégration monétaire européenne, selon laquelle l'UEM apporte stabilité et croissance. Il appartient aux hommes politiques de concevoir le nouveau cadre mais ils pourraient partir, par exemple, des éléments suivants : une administration européenne efficace et moins fragmentée pour construire un Trésor commun à la zone euro, conjointement avec un conseil budgétaire indépendant ; et un organe politique plus fort pour prendre les décisions politiques, sous contrôle parlementaire. Ces nouvelles institutions permettraient de rétablir l'équilibre entre responsabilité et contrôle.» (1) Prenant en compte la situation sociopolitique réelle de la zone euro, les deux Banquiers centraux considèrent «Toutefois, si les gouvernements et les Parlements de la zone euro reculaient devant la dimension politique d'une véritable union, il ne resterait comme option envisageable qu'une approche décentralisée fondée sur la responsabilité individuelle et des règles encore plus fortes. Dans ce scénario, les règles budgétaires, qui ont déjà été renforcées notamment par le biais du pacte budgétaire et du Semestre européen, devraient être complétées. Dans un tel régime de responsabilité individuelle accrue, il faudrait aussi nous assurer que le risque, y compris celui lié aux expositions souveraines, est dûment pris en compte par tous les acteurs, ne fût-ce que pour réduire la vulnérabilité des banques en cas de perturbations affectant la dette souveraine. De plus, il serait nécessaire d'examiner comment mieux associer les investisseurs privés dans les plans de sauvetage du MES et comment concevoir un processus de restructuration des dettes souveraines qui ne mette pas en péril la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. Aller dans cette direction permettrait de conserver la souveraineté nationale au sein de la zone euro, avec un niveau de solidarité proportionnellement réduit. Mais cela constituerait l'autre option vers le rééquilibrage entre responsabilité et contrôle.» (1) On doit comprendre, à travers cette conclusion, que s'il n'est pas possible de créer un gouvernement central pour l'Europe, c'est-à-dire un Etat supranational, sur le modèle des États-Unis, il faudrait alors une «approche décentralisée fondée sur la responsabilité accrue et des règles encore plus fortes» avec pour conséquence, un niveau de solidarité proportionnellement réduit. Que peut-on répondre aux trois piliers économiques, à savoir des programmes de réformes structurelles nationales menées avec détermination, une Union de financement et d'investissement et une meilleure gouvernance économique. Tout d'abord, qu'en est-il d'une meilleure gouvernance économique dans la zone euro. Prenons la structure politique, économique et historique de l'Europe et comparons-la à celle des États-Unis. Un point essentiel les différentie. Lorsque les États-Unis se sont unis en une république constitutionnelle fédérale, ils étaient d'abord en cours de naissance. Les États-Unis, à l'époque, n'existaient pas. Un continent découvert à la fin du XVe siècle, au sein duquel des colonies européennes ont été fondées progressivement, à partir du XVIIe siècle. Ce n'est qu'à la veille du XVIIIe siècle, après l'indépendance que les 13 colonies britanniques unies, qu'elles se sont donné des institutions fédérales. La déclaration d'indépendance des États-Unis a eu lieu le 4 juillet 1776. Donc une jeune nation qui s'est construite dès le départ en un Etat fédéral. Ce n'est pas le cas pour l'Europe, le Vieux Continent, qui reste une mosaïque de vieilles nations qui ont toute une longue histoire. Les langues, les systèmes économiques, les nationalismes fortement imprégnés font que ces différences ne pourront permettre à ces nations d'abandonner leur souveraineté politique, du moins à court terme. Surtout que la situation des pays économiquement faibles ne suit pas la situation des pays économiquement forts. Et la monnaie unique, l'euro, censée apporter une plus grande cohésion politique et économique au sein de la zone euro, a, au contraire, créé des clivages entre les pays dits vertueux, à faibles déficits, et les pays non vertueux, à forts déficits. Le recul dans l'abandon de leur souveraineté au profit d'une instance supranationale ne peut être que conséquent à cette situation, donc tout à fait naturel. Il est évident que la structure des États-Unis ne peut s'adapter à l'Europe. On peut même dire que les quatre puissances de la zone euro, notamment l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne ne veulent pas d'une Europe fédérale, car celle-ci mettrait fin à leur hégémonie. Un Portugais, un Polonais, ou un Grec, pourrait alors, à l'image de ce qu'était Barack Obama aux États-Unis, supplanter les ténors politiques européens comme furent Angela Merkel, François Hollande, Theresa May, en leur temps, qui occupaient la scène européenne et mondiale. Et encore aujourd'hui avec de nouveaux ténors. Avec une Europe fédérale, ce serait alors un nouveau staff élu démocratiquement dans une Europe devenue les «États-Unis d'Europe», si ceux-ci venaient à exister. Mais alors que proposent Jens Weidmann et François Villeroy pour pallier à ce refus d'abandon de souveraineté ? Sinon à exhorter les pays du Sud à poursuivre les «réformes structurelles» qui complètent la politique monétaire de la BCE. Mais nous ne pouvons oublier le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui a été adopté au Conseil européen d'Amsterdam, en 1997. Un ensemble d'engagements économique que les États de la zone euro doivent respecter vis-à-vis de leurs partenaires. Par ce pacte, les pays de la zone euro doivent coordonner leurs politiques budgétaires afin d'éviter l'apparition des déficits publics. Et ce pacte a subi plusieurs révisions, en 2005, 2011... Mais la réalité est là, le PSC n'a pas bien fonctionné. Les purges budgétaires n'ont pas donné les résultats escomptés. Des sacrifices considérables ont été consentis par les pays d'Europe, y compris les pays du Nord. Baisse des salaires, de la couverture sociale, inquiétude croissante sur la déflation, endettement élevé, fort taux de chômage. Ce qui nous fait dire que les «réformes structurelles» ou, en clair, les «politiques d'austérité» qu'ils préconisaient étaient difficiles pour les peuples. L'économie non seulement européenne, mais mondiale, est arrivée à la croisée des chemins. Surtout avec l'irruption de la pandémie du coronavirus. Quand ils tirent la sonnette d'alarme, Jens Weidmann et François Villeroy, énonçant que «l'asymétrie actuelle entre souveraineté nationale et solidarité commune constitue une menace pour la stabilité de notre union monétaire», les deux Banquiers centraux ont entièrement raison. Parce que la BCE ne pourra pas pratiquer indéfiniment les «politiques monétaires non conventionnelles» (quantitative easing ou QE), pour apporter un soutien à l'économie de la zone Euro. Et leur insistance à pousser les pays du Sud de l'Eurozone à plus de rigueur dans leurs dépenses budgétaires qui, en fin de compte, n'apporte pas de croissance ? Comprenons d'abord ce qu'est le processus des QE, sur le plan économique, financier et monétaire, en Europe. Prenons, par exemple, la «période mars 2015-mars 2017». Rappelons que la Banque centrale européenne (BCE) a pris la décision, le 10 mars 2016, de porter de 60 à 80 milliards d'euros le montant de ses achats mensuels sur les marchés financiers, destinés à injecter des liquidités dans le système financier et à faire baisser les taux de crédit. (2) Ces montants injectés mensuellement serviront à soutenir financièrement les déficits et aussi les banques et entreprises privées, et ce faisant, à faire baisser les taux longs, i.e. les taux des obligations d'État et d'entreprises privées. Ce vaste programme d'achat de dettes publiques et privées des différents États de la zone euro a démarré en mars 2015, la BCE injectait tous les mois 60 Mdeuros (milliards d'euros) dans l'économie. En décembre 2015, le programme d'actifs a été étendu jusqu'en mars 2017 (au lieu de septembre 2016 initialement). Si on fait le décompte global des injections de mars 2015 à mars 2017, la BCE a injecté d'abord, à raison de 60 Mdeuros par mois, entre mars 2015 et février 2016, une première tranche de 720 Mdeuros et, à raison de 80 Mdeuros par mois, de mars 2016 à mars 2017, une deuxième tranche de 1040 Mdeuros. A la fin du quantitative easing, la BCE a injecté le montant de 1760 Mdeuros. Prenons le montant des deux tranches qui ont été déjà injectées dans l'économie de la zone euro, durant la période de deux ans, soit 1760 Md euros. Que signifie-il sur le plan financier ? Que les capitaux injectés ont été répartis entre les actionnaires de la BCE, selon leurs parts respectives dans l'Eurozone. Le capital de la Banque centrale européenne n'est en fait que le regroupement des avoirs que les États européens-membres ont souscrit en or et en réserves de change (dollar, yen...) dans l'institution monétaire centrale de la zone euro. D'autre part, les liquidités injectées par la BCE, au travers des QE qui sont à proprement parler émis ex nihilo (planche à billets), et donc «créées» par la BCE, ont servi à acheter de la dette publique des États-membres directement sur le marché primaire ou sur le marché secondaire. Ces deux marchés constituent le marché financier de la zone euro. Sur le marché primaire, la Banque centrale achète directement les titres publics émis par les Trésors publics des 19 pays de la zone euro. Ce qui n'est en soi qu'une «monétisation de la dette publique». Des liquidités qui permettent aux États-membres de financer leurs déficits publics. Ne perdons pas de vue le processus de la politique monétaire non conventionnelle où QE n'est possible pour la BCE que parce qu'elle détient un «droit de seigneuriage» sur le monde parce que l'euro est la deuxième monnaie mondiale. Certes moindre que le «droit de seigneuriage» que détient la Banque centrale américaine, le dollar US étant la première monnaie mondiale. Le dollar est la première monnaie du monde, utilisée internationalement. Elle compte pour au moins 60% des réserves de change mondiales ; c'est la première monnaie de compte dans les échanges commerciaux dans le monde ; c'est la monnaie de facturation de presque l'ensemble des transactions pétrolières opérées par les pays du cartel pétrolier OPEP. Quant à l'euro, ce n'est pas une monnaie de facturation des exportations pétrolières. Son utilisation en tant que monnaie de compte internationale est limitée. Cependant l'euro compte pour environ 20% dans les réserves de change internationales dans le monde, ce qui en fait la deuxième monnaie mondiale. On comprend dès lors la facilité pour la BCE d'émettre massivement des liquidités internationales servant à financer les dettes publiques et privées de la zone euro. Financement qui se fait normalement en concertation avec la Réserve fédérale américaine. Cette concertation monétaire entre les deux plus grandes Banques centrale du monde n'est pas seulement nécessaire, elle est vitale pour les États-Unis et l'Europe, et pour l'économie mondiale. L'objectif des deux Banques centrales est d'assurer la stabilité financière et monétaire entre l'Europe et les États-Unis, mais aussi pour les pays du reste du monde qui utilisent les deux monnaies mondiales dans leur commerce extérieur. Et le plus important est d'éviter des fluctuations erratiques des taux de change euro/dollar, ce qui constitue une crainte majeure pour les autorités monétaires des pays du reste du monde. Sur le marché secondaire, la BCE procède à des achats de dettes publiques mais aussi des dettes privées, émises par les grandes entreprises européennes y compris les créances hypothécaires immobilières. Ce pouvoir d'émission monétaire par la BCE est un «formidable effet de levier» qui assure un soutien à l'économie européenne basé sur un «endettement sur soi». Un effet de levier que n'ont que les pays émetteurs de monnaies internationales, à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, bien sûr la zone euro, mais aussi, depuis 2016, la Chine. Un point très important concernant les quantitative easing qui s'opère sur le marché secondaire est le rachat des «dettes extérieures» de la zone euro. En effet, prenant un simple exemple de deux pays, la France et l'Allemagne, et cet exemple est valable pour tous les pays de la zone euro. Les titres publics (bons de Trésor de 3 ans, 10 ans...) donc des dettes souveraines émises et vendues par les Trésors publics français et allemand sur le marché primaire aux seules banques commerciales accréditées européennes ou américaines. Ces banques sont appelées SVT (Spécialistes en Valeurs du Trésor), dont pour l'Agence France Trésor, BNP Paribas, HSBC, J. P. Morgan, Crédit agricole, Société Générale, Citigroup, Deutsch Bank... Ces banques SVT les revendent, à leur tour, à leurs nationaux (banques commerciales non accréditées, assurances, fonds de pensions ou simples porteurs particuliers) et aux non-résidents qui sont des étrangers. Précisément, le quantitative easing permet de racheter les passifs des titres souverains auprès des banques commerciales occidentales accréditées dont les actifs sont détenus par des pays étrangers (Chine, Russie, Brésil, Arabie saoudite, pays monarchiques arabes...), bien sûr aussi par les pays d'Europe, le Royaume-Uni..., et le Japon. Ce qui est intéressant pour la BCE est de choisir pour les achats de dettes publiques non pas les résidents mais les non-résidents, et donc racheter de la dette extérieure, ce qui passe par les passifs des titres, puisque les actifs sont détenus par la Chine, la Russie, les riches monarchies arabes du Golfe persique... Les liquidités injectées remises aux banques SVT en échange des passifs sont «stérilisées» et «bloquées» dans les comptes que ces banques détiennent auprès de leurs Banques centrales respectives. Elles serviront à rembourser au fur et à mesure les pays étrangers en échange des actifs de dettes publiques détenues. Et ceci s'opère lorsque, pour différentes raisons, ces pays auront besoin de liquidités. Généralement, lorsque les titres viennent à maturité, ou lorsque les pays étrangers, enregistrant des déficits commerciaux, se trouvent obligés de recourir aux réserves de change qui sont pour la plupart placés en bons de Trésor américain, européen, japonais. Ainsi tout remboursement d'actifs de la dette souveraine européenne à un pays étranger fait mécaniquement baisser la dette extérieure de la zone euro. Bien entendu les pays qui profitent de cette politique monétaire non conventionnelle sont les pays qui détiennent les plus grandes parts du capital de la BCE. Si on prend la répartition du capital de la BCE, arrêtée en janvier 2011, l'Allemagne et la France détiennent respectivement 27,06 % et 20,32 %. Ils ont par conséquent reçu de la BCE, sur les 1760 Mdeuros, et pour ne prendre que la période depuis le lancement du QE en mars 2015 jusqu'à mars 2017, respectivement les montants de 476,256 Mds euros et 357,632 Mdeuros. Si on prend les parts de l'Italie, de l'Espagne, de la Grèce et du Portugal dans le capital de la BCE qui sont respectivement 17,86 %, 11,6 %, 2,8 % et 2,5 %, ont reçu respectivement pour la même période (2 ans), 314,336 Mdeuros, 204,16 Mdeuros, 49,28 Mdeuros et 44 Mdeuros. Par l'importance des montants injectés, on constate que les quantitative easing donnent un «formidable» pouvoir à la BCE pour influer sur l'économie européenne et sur l'économie mondiale. On comprend aussi l'importance de l'Allemagne et de la France en zone euro, qui comptent presque pour 50% dans le capital de la BCE, et par conséquent, sont des prêteurs pour la zone euro, en particulier pour les pays de l'Europe du Sud. Si, sur le plan interne de la zone euro, le quantitative easing permet de soutenir l'économie européenne, il demeure que, sur le plan externe, il rend aussi des services «paradoxalement et formidablement positifs». En effet, sur le plan macroéconomique mondial, lorsque la BCE augmente en zone euro 1120 milliards d'euros, elle fait aussi augmenter les liquidités internationales dans le monde. Nonobstant les fluctuations des taux de change des grandes monnaies, le QE accorde inévitablement un pouvoir «formidable» d'achat supplémentaire à la zone euro sur le reste du monde. Nous avons répété le terme «formidable» quatre fois, il est évident dit simplement par les mots, le terme risque d'être incompris. Aussi, pour lui donner plus de compréhension, plus de sens, et étayer que ce terme n'a pas été utilisé vainement, nous allons donner un «exemple concret» qui montre qu'effectivement la BCE comme la Fed ont un pouvoir de frappe unique au monde. Certes le Royaume-Uni, le Japon et la Chine disposent de ce pouvoir mais sans commune mesure avec les deux grandes et premières puissances mondiales à travers leurs Banques centrales, la Fed et la BCE. Etayons la démonstration par deux exemples, le premier porte sur un processus classique, conventionnel pour une situation normale sans rupture, le second sur un processus particulier, non conventionnel pour une situation normale mais avec risque de rupture. 1. Situation normale sans risque de rupture: processus conventionnel Postulons que les Trésors publics de la zone euro ont émis des titres de dettes publiques pour un montant de 100 milliards d'euros et les ont vendus, sur le marché primaire, aux banques occidentales SVT, agréées par les Trésors respectifs des États-membres de la zone euro. Ces banques sont comme on l'a dit plus haut des banques européennes, américaines ou autres et sont BNP Paribas, HSBC, J. P. Morgan, Citigroup, Deutsch Bank... Après les avoir achetés auprès des Trésors publics, ces banques les revendent, à leur tour, sur le marché secondaire, aux nationaux et aux pays étrangers. Postulons que ces 100 Mdeuros ne concernent qu'une petite partie de la dette publique de la zone euro et vendue aux pays étrangers. Et qu'au final, après leur revente, les banques SVT ne détiennent plus que des «passifs» des dettes publiques, les actifs étant aux mains des pays étrangers (Chine, Russie, Arabie saoudite, Qatar, Brésil, Inde...). Ne prenons pas en compte les actifs de dette publique de la zone euro détenus par les résidents (nationaux) ni par les pays étrangers qui sont dans la sphère géopolitique occidentale (Japon, Royaume-Uni, Corée du Sud, Australie...). Qu'en est-il des actifs détenus par la Chine, la Russie, les pays arabes exportateurs de pétrole... ? Ces pays qui ont acheté des titres de la dette publique de la zone euro, en bons de Trésor allemands, français, italiens, espagnols..., auprès des banques occidentales SVT, se sont dessaisis d'une partie de leurs avoirs (capitaux) issus de leurs réserves de change. Ces avoirs en devises internationales dont l'euro dans leurs réserves de change proviennent de leurs excédents commerciaux, et donc concrètement d'exportations de biens et services vers la zone euro. Ces capitaux remis aux banques SVT ont constitué aussi le remboursement de dettes publiques, pour le montant de 100 Mdeuros de titres que les banques SVT ont versé aux Trésors publics respectifs de la zone euro pour leur acquisition, sur le marché primaire ; ce qui a permis aux États de la zone euro de financer des dépenses publiques pour ce même montant. Ces titres vendus, les banques SVT ne détiennent plus que des passifs de 100 Mdeuros d'actifs qu'elles doivent rembourser à leurs détenteurs étrangers lorsque ces titres viennent à maturité ou que ces pays, en besoin de liquidités, viennent leur demander d'être remboursés (en échange de ces actifs de dettes publiques). Supposons que ce cas est arrivé et que les pays étrangers, pour financer leurs économies, ont présenté les titres de dettes publiques aux banques SVT, pour ce même montant. Dans la «procédure conventionnelle», les banques SVT les remboursent ; elles puisent dans leurs avoirs propres. Pour récupérer les fonds qu'elles ont versés, ces banques s'adressent aux Trésors respectifs de la zone euro ; si les titres viennent à échéance (maturité), les Trésors publics reprennent leurs titres qu'ils ont émis en échange de liquidités. Que peut-on dire sur ce processus conventionnel ? Qu'il y a eu une «émission de titres-destruction de titres» dans les échanges financiers entre les trois parties (Trésors publics de la zone euro, les banques SVT et les créanciers étrangers) ; aucun maillon, qu'il s'agisse des Trésors publics de la zone euro, des banques SVT ou des États étrangers, n'a perdu dans ce processus d'achats et de ventes de dettes publiques de la zone euro ; on constate aussi qu'il n'y a pas eu d'augmentation de la masse monétaire ? la base monétaire n'a pas augmenté ?, ni d'intervention de la Banque de Frankfort, la BCE, dans le processus. Si les Banques centrales de la zone euro ont intervenu, elles l'ont fait pour d'autres cas ; étant des prêteurs en dernier ressort, elles prêtent des liquidités aux banques contre des gages en titres éligibles, qui sont en fait des opérations légales d'open market. 2. Situation normale avec risque de rupture: processus non conventionnel Prenons maintenant la situation en Occident depuis une quinzaine d'années au moins, plus précisément depuis la crise immobilière et financière de 2007-2008. Une situation qui s'est fortement dégradée sur le plan économique, avec des récessions pratiquement généralisées en 2008 et 2009. Elle a été extrêmement difficile pour les économies occidentales. Et si les Banques centrales occidentales sont passées au «processus non conventionnel», en fait pour être plus juste, elles se sont trouvées «forcées» de le faire compte tenu de la conjoncture historique mondiale due à la reconfiguration du monde avec les nouvelles nations montantes, essentiellement la Chine, l'Inde, la Russie, le Brésil qui ont opéré une véritable métamorphose à leurs économies. Postulons que la BCE a acheté pour 100 milliards d'euros de dettes publiques auprès des banques occidentales SVT. Rappelons-le, ces banques sont agréées par les Trésors respectifs des États-membres de la zone euro ; comme on l'a dit plus haut, elles peuvent être européennes, américaines ou autres comme BNP Paribas, HSBC, J. P. Morgan, Citigroup, Deutsch Bank... ; ces passifs sont adossés aux actifs détenus par les pays étrangers (Chine, Russie, Arabie saoudite, Qatar, Brésil, Inde... ; nous ne prenons pas en compte les actifs de dette publique de la zone euro détenus par les résidents (nationaux) ni par le Japon, le Royaume-Uni, la Corée du Sud, l'Australie... qui sont dans la sphère géopolitique occidentale. Dans la politique monétaire non conventionnelle, «il faut tout d'abord se référer à la politique monétaire non conventionnelle qu'a menée la Banque centrale américaine ; sans ce préalable, on ne peut comprendre la politique monétaire non conventionnelle menée par la BCE». La BCE est certes la deuxième Banque centrale dans le monde, mais elle reste «suiveuse» de la première Banque centrale du monde qu'est la Fed américaine. Postulons que la Fed n'a pas pris en gage des titres de dette publique comme d'habitude, i.e. une politique monétaire conventionnelle, mais a «acheté» dans le cadre d'une politique monétaire non conventionnelle pour 200 milliards de dollars US (Md$) de dettes publiques auprès des banques occidentales SVT. Postulons que ces 200 Md$ ne concernent qu'une petite partie de la dette publique américaine et donc que celle vendue par les banques occidentales SVT aux pays étrangers, sur le marché secondaire. Un point à souligner, le rachat de créances hypothécaires n'est pas compris dans ce montant. De plus, après leur revente, les banques SVT ne détiennent plus que des «passifs» de dettes publiques, les actifs étant aux mains des pays étrangers (Chine, Russie, Arabie saoudite, Qatar, Brésil, Inde...). Comme pour la BCE, nous ne prenons pas en compte les actifs de dette publique US détenus par les résidents américains ni par les pays étrangers qui sont dans la sphère géopolitique occidentale (Japon, Royaume-Uni, Corée du Sud, Australie...). A suivre *Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective - www.sens-du-monde.com Notes : 1. Banque de France. Eurosystème. « L'Europe à la croisée des chemins ». 8 février 2015 https://www.banque-france.fr/uploads/tx_bdfgrandesdates/Article-conjoint-FVG-JW-20160208.pdf 2. « BCE : ce que la baisse des taux va changer », Le Figaro. 10 mars 2016. http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/explicateur/2016/03/10/29004-20160310ARTFIG00183-la-bce-reduit-ses-taux-et-augmente-ses-rachats-d-actifs.php |
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