Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
...Le 16 janvier
1961, le Gpra s'était déclaré «prêt à des
négociations sur les conditions du référendum»... et avait entrepris, par
l'intermédiaire d'un ami suisse de nos deux pays, Olivier Long, des contacts
pour des entretiens secrets préparatoires à des négociations.
Ces contacts - que rapporte scrupuleusement ce diplomate1 - aboutiront non seulement à de tels entretiens mais aux négociations qui mettront fin à la guerre et déboucheront sur la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie. - Comment arrivera-t-on à cette fin ? - Cela ne sera pas de tout repos. À la guerre, aux nombreux obstacles que nous avons évoqués [par ailleurs] va s'ajouter la véritable guerre diplomatique déployée par de Gaulle dans sa volonté de faire passer sa solution de «l'indépendance dans l'association avec la France». Il est utile de s'appesantir un peu sur les pré-négociations. Le 19 février 1961, O. Long arrive à mettre face à face, en Suisse et en grand secret, Pompidou et De Leusse d'un côté, Boumendjel et Boulahrouf de l'autre. Les uns et les autres sont contents, mais butent sur deux points : la prétention française à la souveraineté politique sur le Sahara et l'exigence française d'un cessez-le-feu avant l'ouverture de négociations politiques. On se donne rendez-vous pour le 5 mars ; mais ce jour-là, les protagonistes n'apportent aucun changement sur leur position. Ce qui fait problème. D'autant que les Français se plaindront au diplomate suisse du «raidissement» chez leurs vis-à-vis prétendant que ces derniers n'ont pas apporté la réponse attendue d'eux, sur ces deux points «avant que l'on puisse savoir si la rencontre officielle est possible», rencontre «prévue à Évian», précisent-ils. Ils le prient d'«élucider la raison profonde du raidissement des Algériens. Ils remarquent encore, avec force et un profond regret, que c'est une pitié de manquer une occasion unique qui risque de ne jamais se reproduire. Le FLN devrait faire confiance au libéralisme du Général de Gaulle qui est prêt à lui donner plus même que Mendès France ne l'aurait fait.» (p. 35-36) Tu vois, les Français plantent bien le décor. La carotte (le libéralisme de de Gaulle, une occasion unique à ne pas rater alors que la rencontre officielle est déjà prévue à Évian) et le bâton (raidissement dans le refus de reconnaître la souveraineté française sur le Sahara, refus de laisser les «couteaux au vestiaire»,...), plus la volonté d'influencer le médiateur (les Algériens veulent «faire la politique du pire», c'est à eux seuls de répondre sur les deux points en litige); indications tronquées que les Algériens ont dû corriger ; mais la désinformation laisse des traces. De Gaulle tient à remettre le problème algérien dans le champ politique français, comme étant un problème interne. Il veut effacer l'effet Novembre et le champ national algérien que le Fln a créé et ouvert. Il s'est déjà arrangé pour se faire charger par le peuple français de négocier la paix pour l'autodétermination du peuple algérien, comme si on avait jamais demandé à ce peuple français la permission d'agresser et d'occuper l'Algérie. Et, avant tout échange sur le lieu de la négociation, ses émissaires ont mis en avant la ville française d'Évian; alors que les Algériens ont, par principe, insisté pour que ce soit dans un pays neutre ; surtout après la mésaventure de Melun. Remarquons l'astuce : on dit qu'on prévoit - on ne suggère pas pour en discuter - Évian comme lieu où serait «possible» une «rencontre officielle», et on ajoute : «de façon à permettre aux Algériens de se retirer, après chaque séance et de bénéficier de la liberté d'expression» dont ils ont été privés à Melun. Cette liberté «octroyée» ne mérite-t-elle pas d'accepter Évian sans discuter ? En disant attendre que le Fln lève le doute sur la souveraineté du Sahara, les Français mettent les entretiens dans l'impasse, qu'O. Long travaille à dépasser. Sur indications de de Gaulle, données dans une note bien ficelée, Long obtient, qu'ils reprennent sans aucun «préalable», «ni d'une part ni de l'autre», pour confronter les points de vue «entre responsables» et «y voir clair sur le présent et l'avenir». De Gaulle précise : «L'essentiel est que s'ouvre une conversation «officielle».» Joxe ajoute : «le Général ne croit pas que le FLN veuille négocier et pense qu'il cherche à se dérober». (p. 41-42) - C'est une véritable guerre d'usure diplomatique ! où la carotte s'accompagne de pressions insidieuses... - Tu as bien compris. La carotte de la «rencontre officielle» pour laquelle on est disposé à tout faire, la pression sur O. Long ingénument ? répercutée sur les Algériens, qui chercheraient à se dérober... ; et toujours la proposition de rencontre «en France, mais tout près» de la frontière suisse ! Les Algériens sont embarrassés et ne voient pas de progrès véritable par rapport à Melun, si l'on n'annonce pas devant l'opinion publique mondiale que «la conférence portera aussi sur les questions politiques»... Cependant l'effort d'O. Long débouche sur «une offre écrite de la plume même du Général de Gaulle» indiquant que «le Gouvernement français estime que les conditions sont réunies pour [...] une négociation officielle [...] pour traiter de l'ensemble des problèmes militaires et politiques que pose la question algérienne». De Leusse ne manque pas encore de faire partager, sur le ton de la confidence, ses interrogations à l'ami suisse : «Le FLN veut-il vraiment entrer en conversation ? Le peut-il ? N'est-il pas condamné à faire la politique du pire par ses hésitations et ses dissensions internes ? Le Général veut forcer le FLN à abattre ses cartes. Il a fait cette dernière offre de conversation sans préalables, de façon que si la tentative de négociation échoue, ce ne soit pas sur la procédure, mais à cause d'une dérobade des Algériens ; ou bien que l'échec porte sur le fond du problème, c'est-à-dire sur le Sahara.» (p. 41-42) C'est, crument exposé, le sens de tous ces rendez-vous apparemment porteurs d'espoir mais qui finissent sans résultats concrets. On a vu plus haut comment Rédha Malek a bien caractérisé la manœuvre de de Gaulle: laisser au vis-à-vis «croire à l'imminence d'une solution», puis le mettre «brutalement devant l'alternative: accepter le diktat d'un cessez-le-feu inconditionnel ou prendre la responsabilité d'une rupture.» O. Long précise qu'on a fait «comprendre aux Algériens qu'un refus de l'offre du Général de Gaulle serait considéré comme une dérobade» qui «montrerait qu'ils ne veulent pas véritablement entrer en conversation officielle. Si la Suisse se trouvait un jour dans la situation regrettable d'avoir à témoigner sur ce point, elle serait obligée de le faire dans ce sens». (p. 44-45) De telles pressions indirectes sont un élément constitutif de la négociation avec lequel le Fln doit compter. Si nous insistons sur cet aspect du récit d'O. Long, ce n'est pas pour jeter une ombre sur son intervention dans cet épisode crucial de la guerre. Son admiration pour de Gaulle ne peut faire ignorer ni son empathie pour la cause de notre peuple ni l'amitié indubitable qu'il a tissée avec les négociateurs algériens, et sans laquelle d'ailleurs sa médiation n'aurait pas eu l'heureux résultat qu'elle a atteint. Il faut dire qu'O. Long ne cachait pas qu'il s'était engagé, avec son pays, la Suisse, dans cette opération en fonction de «la nature et l'importance de ses objectifs : le rétablissement de la paix en Algérie et l'élimination d'un abcès qui empoisonnait de plus en plus le monde occidental.» (p. 78) - Comment le Gpra réagit-il à la note de de Gaulle ? - Il décide de «rencontrer les Français à Évian», et demande à la Suisse d'héberger sa délégation. Le temps de se mettre d'accord sur la date et les modalités pour l'annonce publique et celle-ci est faite le 30 mars, à Paris et à Tunis, fixant la rencontre à Évian pour le 7 avril. C'est alors que se produit ce que le Gpra a qualifié de «manœuvre MNA», qui le porte à «surseoir à la Conférence d'Évian tant que le Gouvernement français ne déclarera pas de façon explicite qu'il renonce à des négociations parallèles avec des soi-disant autres tendances algériennes.» (p. 50-51) Ce 30 mars, en effet, L. Joxe déclare à Oran «qu'il négocierait «avec le MNA aussi bien qu'avec le FLN»», malgré une mise en garde du Gpra dont «l'importance » n'a pas été «notée à Paris», comme l'a craint le diplomate suisse qui a transmis l'avertissement. S'ensuivent alors des pressions indirectes contre cette «volte-face du Gpra» qui aurait surpris et même inquiété le Général !... Mais «le putsch du 21 avril [du «quarteron de généraux»] fait apparaître dans des circonstances tragiques combien il [l'épisode du MNA] était malencontreux et inutile.» (p. 68) Il permet aux deux parties de reprendre langue sans qu'aucune ne perde la face2. C'est la fameuse rencontre du 20 mai 1961, entre Louis Joxe et Belkacem Krim évoquée plus haut. - Eh bien, ç'a été laborieux ! - O. Long l'a qualifiée de «compromis réussi», applaudi non seulement par les deux parties, mais encore par le monde arabe et africain. Le jour même où s'ouvre la rencontre d'Évian, les Français font des gestes : six mille détenus algériens sont libérés - sur quoi nous avons dit notre sentiment, comme nous avons déjà signalé et commenté le cessez-le-feu unilatéral annoncé par les Français - ; et le 29 mai, une circulaire signée Morin-Gambiez édicte le «dégroupement» des populations - mais là aussi il faut faire la part de l'effet d'annonce et celle du terrain : même si la volonté est sincère et l'action effective, on ne peut effacer les dégâts irrémédiables causés à la société par une utilisation séculaire de ce moyen de guerre barbare qu'a été le «regroupement»... Lorsque de Gaulle a donné son feu vert pour la rencontre, Louis Joxe aurait dit : «Maintenant, on peut y aller. On sait ce qu'»ils» veulent...» À quoi le Général aurait répondu : «On ne sait pas ce qu'»ils» veulent, on sait seulement qu'»ils» sont divisés»... Il faut donc continuer à pousser l'adversaire à se découvrir, à déceler ses points de rupture possibles... Ainsi, le 13 juin, après un face-à-face stérile où chacun «ressassait les mêmes déclarations», les Français interrompent «soudainement la négociation», sans donner de nouveau rendez-vous... Krim dénonce alors, dans une conférence de presse, le 14 juin, la façon cavalière avec laquelle les Français ont mis fin à la négociation, ainsi que la «caricature d'indépendance» que les Français ont présentée dans leur «plan dit de décolonisation en Algérie.» (Conférence rapportée par El Moudjahid, n°52, du 25 juin 1961). Le 19, Joxe explique que cette suspension «était nécessaire, car «Paris commençait à flancher». L'impatience du Général de Gaulle ne permettait pas à un ministre de son gouvernement de rester plus longtemps en face de «rebelles».» Il s'inquiète de l'état d'esprit des Algériens et Long répond : ils sont «très calmes, ils attendent un signe de la France, ils ne bougeront pas les premiers et ils ont paru étonnés de cette interruption.» Le Général revient à la charge le 24 pour voir «si les Algériens sont pressés de revenir à la table des négociations»... et pour «transmettre des indications et des précisions sur sa pensée. En fait, il n'est pas encore en mesure de suggérer une date...» (p. 88-89) - De Gaulle empêche-t-il son ministre de négocier comme Joxe en donne l'impression ? Ou est-ce un «jeu» ? - De Gaulle et son ministre sont tout à fait d'accord. C'est toujours le même «jeu» qu'a expliqué Rédha Malek : on se ferme après un semblant de concession. En bloquant leur position sur la question du Sahara, les Français cherchent à pousser les Algériens à faire de nouvelles concessions, manière de faire s'accuser, en plus, les contradictions en leur sein. Ces divisions, normales pour un mouvement aussi divers que le Fln, de Gaulle compte les utiliser au maximum. Il a une formidable expérience en la matière, lui qui avait eu toutes les peines du monde à faire reconnaître son Gprf - son gouvernement provisoire pendant la guerre de 1939-1945 -, les Américains cherchant à promouvoir ses adversaires du camp français, vichystes comme anti-vichystes. Cependant, ce qui le gêne ici, c'est le formidable soutien populaire dont jouit le Gpra en comparaison de celui, très chétif, dont pouvait se réclamer son Gprf ; d'où, on l'a vu, ses fermes directives pour réprimer les expressions d'un tel soutien3. - Mais malgré la répression, la position du Gpra reste forte. Comment de Gaulle compte-t-il faire passer ses conditions ? - Dans leur tactique, les Français évitent de dévoiler leurs cartes... laissant ainsi les négociateurs du Fln (Gpra) dans l'ignorance de leurs véritables positions. Ils mettent l'accent sur les états d'âme rapportés de de Gaulle : «Il est pressé de terminer l'affaire», «Il est très irrité», «Il ne comprend pas pourquoi la négociation piétine» ; ou bien ils distillent, à travers Olivier Long, des interrogations ou des confidences bien étudiées ; ou encore c'est de Gaulle lui-même qui fait des déclarations sibyllines, où il semble donner de la main droite ce qu'il reprend de la gauche. Alors que Tunis est investi par une nuée de journalistes «amis» qui rapportent quasiment - et plus ou moins professionnellement - tout ce qui se passe dans le Gpra et autour de lui, et qui est autrement plus précieux que les propositions ou positions que les émissaires algériens font passer par l'hôte suisse... Ainsi, les Français, bien que pressés d'en finir avec cette guerre qui malmène aussi la France, ne se hâtent pas pour faire une ouverture. En réalité même s'ils disent avoir abandonné le préalable du cessez-le-feu, ils veulent en arracher un aux négociateurs du Fln - seul moyen de remettre la question algérienne dans le champ politique français -, mais cette concession ceux-ci ne peuvent la faire puisqu'elle est de la compétence et du domaine de l'Aln (qui résiste). D'ailleurs, la rupture des négociations entraîne en Algérie des protestations de masse, notamment dans le Nord-Constantinois : la répression est cruelle ; comme toujours, des morts et blessés, que déplore El Moudjahid du 25 juin en dénonçant le crime. Le 27, de Gaulle prévient qu'en cas d'échec des négociations, il faut «envisager un partage provisoire», et le Parlement engage, le 29, un débat sur la question, au cours duquel Louis Joxe dit que «les négociations ne seront pas reprises si le FLN persiste dans ses prétentions sur le Sahara». Cette idée de partition provoque, elle aussi, dès le 1er juillet et jusqu'au 5, de nouvelles manifestations à travers l'Algérie : là aussi, de très nombreux morts et blessés sont à déplorer. Les autorités françaises s'agacent toujours de telles expressions des Algériens et veulent les étouffer à tout prix. Elles le font, sans état d'âme, en plein Paris, en octobre 1961, où sont recommandées au préfet Papon des mesures préventives pour éviter toute manifestation en France. Et le scandale du couvre-feu discriminatoire imposé à partir du 5 octobre, aux émigrés Algériens habitant Paris, est couronné, si on peut dire, par l'infâme 17 Octobre qui semble replonger la «Ville-lumière» dans l'atmosphère accablante de l'Occupation avec tous les ingrédients de l'époque (Vel' d'hiv', caves de torture, etc.). Une répression implacable empêche les médias et les observateurs honnêtes horrifiés par le crime de porter témoignage... Les autorités françaises s'irritent aussi de l'expression de pays tiers intervenant pour soutenir le Gpra, tel ce message de sympathie du Comité chinois de solidarité afro-asiatique daté du 4 juillet... ou comme cette initiative tunisienne dans ladite «affaire de Bizerte», que de Gaulle règle, en cette mi-juillet, par une «riposte militaire [...] rude et rapide» : «Leur vaine agression, précisera-t-il, a coûté aux Tunisiens plus de 700 pauvres morts, plus de 800 infortunés prisonniers et plusieurs milliers de malheureux blessés. Nous avons eu 27 soldats tués.» (DGl., ME, 124-125) Malgré cela, grâce à Olivier Long, la négociation reprend le 20 juillet, «non pas à Évian, à cause des touristes, mais quelques kilomètres plus loin, au château d'Allaman, à Lugrin». Cependant, «elle tourne en rond et bute sur le Sahara. Cette fois-ci, ce sont les Algériens qui au bout de huit jours demandent la suspension». Ils étaient pourtant venus, se plaignent-ils, «avec des concessions importantes, notamment sur les garanties à la communauté européenne et sur la coopération avec la France pendant les périodes transitoires. De plus, ils ont contribué à l'apaisement général par l'interruption des attentats en Métropole...», alors que «les Français ne se montrent pas prêts à modifier leur position sur le Sahara» et «n'ont laissé aucun espoir quant à un changement ultérieur...» Ces griefs sont rapportés à de Leusse, venu aux nouvelles le 5 août qui «s'en étonne et affirme que sa délégation n'a pas été aussi négative». Il plaide pour une solution négociée, car «la partition ne ferait que créer de nouvelles difficultés et prolongerait indéfiniment la guerre». (O. L., 91-92) - Cette fermeture et ces pressions ont-elles un effet sur le Gpra et ses négociateurs ? - Elles les poussent à présenter des «concessions importantes», comme ils le font valoir auprès d'Olivier Long. Notons une autre manœuvre encore par quoi les Français veulent faire pression : Louis Joxe s'affaire ostensiblement à trouver des personnalités en dehors du Fln en vue de mettre en place un «exécutif» avec qui mettre en œuvre l'autodétermination... alors que la thèse de la partition continue d'être défendue publiquement. Le Monde, en effet, donne à lire une série de trois articles sous la signature d'Alain Peyrefitte, au moment même où «les responsables en France [...] n'y croient pas et, vraisemblablement, le Général de Gaulle encore moins que ses collaborateurs.» (p. 91) En tout cas, cette attitude et ces menées semblent, aux yeux des Français d'autant plus justifiées que les choses semblent bouger à Tunis : déjà, le 15 juillet, juste avant la rencontre de Lugrin, l'état-major de l'Aln, installé à Tunis, démissionnait, marquant certainement un désaccord avec le Gpra ; qui, à son tour - en conséquence ? - est l'objet d'un remaniement, dont Boulahrouf vient, le 28 août, à Genève, expliquer le sens. C'est «une concentration des forces», informe-t-il, et le nouveau Gpra et son président Benkhedda sont toujours «en faveur d'une solution négociée du conflit». Il ajoute qu'«il ne croit pas que la formule d'un «exécutif» sans le FLN puisse être valable», qu'«il ne voit de solution que dans la reprise de la négociation [...] portant sur l'ensemble du territoire algérien, y compris le Sahara». Il se dit d'accord «qu'une nouvelle rencontre devrait aboutir rapidement, qu'il faut donc la préparer dans le secret afin de définir les bases d'un accord qui serait signé au cours d'une conférence publique», sur le Sahara et sur les garanties aux Européens d'Algérie. Concernant les attentats en France, ils pourraient être arrêtés comme pendant Lugrin. Mais «ils sont justifiés en ce moment», vu «l'attitude hostile de la police» à l'encontre des Algériens. (p. 99) Cette hostilité qui culmine avec l'infâme «17 Octobre» à Paris, est une des expressions de la guerre que mène l'État impérial français contre notre peuple, en cette période cruciale où il se trouve acculé à l'épreuve d'une réelle décolonisation. Et Olivier Long, en transmettant aux Français ces informations, se dit «convaincu» que les Algériens «ne transigeront jamais sur ce point» et qu'«une fois de plus, c'est donc à la France de faire un pas en avant». - Le fera-t-elle, ce pas ? - Le 5 septembre, de Gaulle semble «avoir [...] levé l'obstacle qui bloquait la négociation», mais par des «paroles assez sibyllines», «bien dans [sa] manière lorsqu'il se prononce sur un point délicat [...] sans vouloir s'engager à fond». «»Pour ce qui est du Sahara, affirme-t-il, notre ligne de conduite est celle qui sauvegarde nos intérêts et tient compte de la réalité. » «Nos intérêts consistent en ceci : libre exploitation du pétrole et du gaz que nous avons découverts et que nous découvrirons, disposition de terrains d'aviation et droit de circulation pour nos communications avec l'Afrique. » «La réalité, c'est qu'il n'y a pas un seul Algérien qui ne pense que le Sahara doive faire partie de l'Algérie, et qu'il n'y aurait pas un seul gouvernement algérien quelle que soit son orientation par rapport à la France, qui ne doive revendiquer sans relâche la souveraineté algérienne sur le Sahara. Enfin, le fait que si un État algérien est institué, et s'il est associé à la France, la grande majorité des populations sahariennes tendront à s'y rattacher, même si elles ne l'ont pas explicitement réclamé d'avance. «C'est dire que, dans le débat franco-algérien, qu'il se ranime avec le FLN, ou qu'il s'engage avec un autre organisme représentatif celui-là des élus, la question de la souveraineté du Sahara n'a pas à être considérée, tout au moins elle ne doit pas l'être par la France...»» (O. L., 98) De Gaulle avait abandonné le préalable du cessez-le-feu, et voilà qu'il recule sur celui de la souveraineté du Sahara ; mais il ne le fait que pour mettre en concurrence, l'«organisme représentatif des élus» et le Fln, comme prétendants valables à la souveraineté sur le Sahara, et donc à la négociation avec la France. Ce positionnement laisse encore une fois le Fln perplexe : il «ne semble pas sortir du canevas» par quoi Joxe n'avait pas pu convaincre à Lugrin. De nouveau, Olivier Long entreprend de rapprocher les points de vue et de renouer le lien de la négociation. Après maintes péripéties, c'est «une paisible retraite de la forêt bâloise»4 qui abrite la rencontre - entre experts, donc non politique -, les 28-29 octobre 1961, entre Ben Yahia et R. Malek du côté algérien et De Leusse et Chayet du côté français. - De quoi ont-ils discuté, et quel en a été le résultat ? - Les questions du Sahara et des bases militaires, de l'avenir des Européens, de la future coopération entre les deux pays ont été passés en revue et «en conclusion, Bruno de Leusse retire l'impression que les Algériens veulent aboutir. Il se demande cependant s'ils en sont capables étant donné leurs atermoiements, leur manque de préparation et d'esprit de décision». - Que veut dire de Leusse par là ? - Cette «impression» dont il sait qu'Olivier Long va la répercuter logiquement sur les Algériens - il fait de même dans l'autre sens -, est une manœuvre de division, une pression sur ces derniers pour sans doute les amener à se libérer de leurs collègues qui les obligeraient à «atermoyer» et à «manquer d'esprit de décision». De Gaulle, dans ses mémoires, va dans le même sens à ce propos : «Les dirigeants du «Front de libération nationale» se déclarent en principe disposés à entrer en négociation. Mais ils ne les engagent pas, empêtrés qu'ils sont dans leurs méfiances, leurs surenchères et leurs divisions. » (DGl., ME, 89) Tu vois donc que cette pression n'est pas nouvelle, ni la dernière d'ailleurs, puisqu'à chaque pas de cette bataille diplomatique des négociations, les Français n'ont lésiné sur aucun moyen, ni reculé devant aucune pratique pour amener les Algériens à résipiscence, à accepter une indépendance grevée par cette «association» léonine, néocoloniale, que de Gaulle a concoctée, pour tenter d'éviter de boire le «très amer calice de l'inéluctable», comme il a lui-même qualifié l'indépendance défendue par le Fln. (DGl., ME, 90) Olivier Long témoigne que du côté français, «on a peine à se départir d'une certaine condescendance qui vise à imposer ou à octroyer». Il précise que «la personnalité du Général ne facilitait pas les progrès de la négociation. Sa façon d'octroyer et même d'imposer avait le don d'exaspérer les Algériens qui entendaient négocier et arracher des concessions.» Il ajoute qu'il avait «fait remarquer» au côté français qu'il (lui, Long) devait «consacrer beaucoup de temps à apaiser la susceptibilité froissée des Algériens» et qu'on lui a répondu «que le Ministre des Affaires algériennes avait à se donner bien du mal pour adoucir les textes qu'il recevait de l'Élysée» ! Ce volet diplomatique de la guerre d'Algérie forme un tout avec la «guerre contre-révolutionnaire», et la guerre parallèle que celle-ci a logiquement engendrée, en écartant les officiers et politiciens qui s'y étaient distingués au nom de «l'Algérie française». Ces derniers, réunis dans l'Oas, ont pris les «pieds-noirs» en otages. Diplomatie et guerres sont le fruit vénéneux du racisme inculqué par l'école de la République impériale et par la pratique de plus de 130 ans de politique coloniale. Nous laissons le soin au Général de nous dire ce que cette guerre parallèle est sur le terrain : «À partir des premiers entretiens d'Évian, les principales villes algériennes, avant tout Alger et Oran, deviennent le théâtre d'une tragédie quotidienne. Contre les musulmans, les tueurs de l'OAS emploient de préférence la mitraillette et le pistolet, exterminant des gens d'avance désignés, ou tirant indistinctement sur tout ce qu'ils rencontrent aux rayons des boutiques, à la terrasse des cafés, sur le trottoir des rues. Généralement, les commandos du crime opèrent en automobile pour se soustraire rapidement à la poursuite, d'ailleurs bien rare et molle, des policiers. Contre ceux des Français que l'on veut faire disparaître ou, tout au moins, effrayer, on se sert principalement de bazookas ou de bombes, dont les explosions nocturnes - plus de quinze cents en quelques mois - entretiennent l'atmosphère belliqueuse et que salue, du haut des balcons pavoisés aux couleurs de l'OAS, un tintamarre général de casseroles et de hurlements. De leur côté, les musulmans, retranchés la nuit dans leurs quartiers où flottent des drapeaux FLN, tirent sur tout ce qui leur paraît menaçant et répondent par leurs clameurs à celles des Européens. En l'espace d'une année, au cours des «ratonnades », une douzaine de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, sont abattus par l'OAS.»5 - Je vois là que ces joutes diplomatiques ne sont pas un échange de mondanités ? - Bien évidemment. Dans cette situation «terriblement dégradée» par cette guerre de l'Oas, ces joutes, comme tu dis, sont une véritable bataille que mènent un manœuvrier tel que de Gaulle - instruit par sa riche expérience de chef du Gprf -, et «les très redoutables négociateurs français» (O. L., 83). Par des manœuvres diplomatiques, ils s'efforcent d'arracher à leurs vis-à-vis algériens ce que leur puissante armée n'a pas pu réaliser sur le terrain face aux djounoud démunis mais indéracinables de l'Aln. La tâche des Français n'est pas facile car les diplomates algériens ont à cœur de ne pas trahir le sang des chouhada et les acquis du combat armé... Nous l'avons vu à travers les péripéties des négociations, jusqu'à cette rencontre de Bâle. Après laquelle les mêmes experts se revoient, au même lieu, du 8 au 10 novembre, pour, «selon l'expression consacrée», continuer à «»éplucher l'artichaut», feuille par feuille, afin de dresser le catalogue des divergences. Pour s'en tenir aux principales, elles sont au nombre de quatre. Il y a d'abord les problèmes de nationalité [pour] les Européens [...] Ensuite, les questions relatives au régime transitoire, à la composition et aux compétences de l'Exécutif provisoire. Puis le statut de l'armée française en Algérie et le calendrier de son retrait. Enfin, au Sahara, le maintien des bases aériennes françaises et de la station d'essais atomiques de Reggane.» (O. L., 197) Le travail des experts fini, c'est au tour des politiques de continuer à négocier sur les questions défrichées. Après des péripéties - sur lesquelles nous ne nous appesantirons pas, car elles sont de la même nature que celles qui ont marqué la négociation jusque-là -, les ministres Joxe et Dahlab se rencontrent le 9 décembre. «Ils sont accompagnés, l'un de M. de Leusse, et l'autre de M. Ben Yahia.» - C'est le rendez-vous d'Évian ? - Non, c'est la reprise de la négociation politique secrète qui doit justement préparer celle, officielle, du second Évian et les accords du même nom. Cette relance a lieu «aux Rousses, petite agglomération du Jura français, très proche de la frontière suisse.» La délégation du Gpra a plaidé pour y associer Ben Bella ; leur argument - irréfragable - est qu'on «ne pourrait pas conclure un accord qui n'aurait pas été pleinement approuvé, déjà au cours de son élaboration», par les Cinq détenus. Convaincu de cela, O. Long témoigne qu'il lui «a fallu beaucoup insister pour le faire admettre du côté français», du fait que pour de Gaulle, ils sont des prisonniers de guerre qui ne peuvent être libérés qu'après l'établissement du cessez-le-feu... Ils ont malgré tout, après une grève de la faim qu'ils avaient engagée, été rapprochés pour être installés à Aulnoy près de Melun. Le 15 décembre de Gaulle autorise enfin le contact d'un envoyé du Gpra avec les Cinq ; d'autres suivront en cette fin 1961. Mais le Général «est de plus en plus pressé d'aboutir et de mettre un terme aux rencontres Joxe-Dahlab, suivies de visites à Aulnoy, rencontres dont la dernière n'a pas fait progresser d'un pas la négociation.» Le 3 janvier, il fait pression pour une «réunion de trois ministres de chaque côté, chargés de conclure et munis des pouvoirs de signer»... Une quatrième rencontre Joxe-Dahlab, le 25 janvier, puis les 29 et 30, décide d'un important dernier contact avec Aulnoy, qui y conduit les ministres Krim et Ben Tobbal accompagnés de Ben Yahia. Là, les choses semblent avancer : Les Algériens acceptent enfin la proposition de de Gaulle de réunir des ministres «munis des pouvoirs de signer»... - Et là, c'est Évian ? - Non. C'est toujours Les Rousses et le secret. Il faut confirmer les avancées qu'ont permises ces rencontres et contacts qui se sont noués depuis la mi-1961. «Pour les Français et les Algériens, la réunion des Rousses [est] le tournant décisif de la négociation.» La réunion a duré du 11 février au matin du 19, et sa dernière séance se prolonge «quatorze heures d'affilée». Du 22 au 28, le Cnra (le «parlement» du Fln) se réunit autour de ce résultat des Rousses et mandate le Gpra pour mener sur cette base les négociations officielles. Ce sont ces négociations qui se tiennent du 7 au 18 mars de nouveau à Évian, et qui se closent, ce 18, par l'adoption desdits accords d'Évian. Ce 18, également, sont libérés Ben Bella et ses compagnons. On fixe aussi le cessez-le-feu pour le 19 à midi sur tout le territoire algérien. - C'est la fin de la guerre d'Algérie... - Pas tout à fait. D'une part, l'armée française reste encore la force de maintien de l'ordre de l'Exécutif provisoire mis en place pour gérer la préparation du référendum d'autodétermination qui doit mener à l'indépendance. Et si, par le cessez-le-feu signé, elle ne mène plus la «guerre contre-révolutionnaire» qui était sa tâche principale, elle n'en reste pas moins un élément qui pèse dans le sens des intérêts coloniaux français. D'autre part, l'Oas, malgré l'arrestation de nombre de ses chefs (Jouhaud, Salan, Degueldre...) continue sa guerre. Le mois de mai est particulièrement sanglant à Alger, et il faut que le Dr Mostefaï négocie, le 17 juin - au nom de la «partie Fln» de l'Exécutif provisoire, la partie française ne s'engageant pas, comme si son armée n'était pas chargée du maintien de l'ordre - un accord avec Susini le chef de l'Oas en activité, pour que cessent les attentats qui continuent malgré cela jusqu'au 26 juin à Oran ! C'est le référendum du 1er juillet par lequel le peuple algérien confirme sa volonté d'indépendance, et la reconnaissance officielle de cette dernière par de Gaulle qui met fin à la guerre d'Algérie. Notes : 1. Cf. O. Long, Le dossier secret des Accords d'Évian. Une mission suisse pour la paix en Algérie, Office des publications universitaires, Alger (repris, en 1989, des Éditions 24 heures, Lausanne). Les citations de ce titre seront indiquées par : (p. x) où x est le numéro de la page. 2. Les Français n'ont pas eu à déclarer explicitement qu'ils ne négocieront pas avec le Mna, le communiqué où le Fln portait cette exigence ayant été retenu avant publication. Le contretemps a permis à Belkacem Krim, chef prévu de la délégation, de terminer sa convalescence d'une opération chirurgicale qu'il a dû soudainement subir... 3. Comme en Décembre 1960 et octobre 1961... 4. Ce climat que les amis suisses assurent aux négociateurs contraste avec la guerre qui continue de faire rage sur terrain... comme en témoigne, par exemple, la tragédie du 17 octobre à Paris ! 5. De Gaulle, Mémoires d'espoir, Le renouveau 1958 -1962, Plon, 1970, p. 128-129. *Bonnes pages de mon livre N'est-il d'histoire que blanche ?, t. 2, La Renaissance, pp. 232-250. |
|