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Durant les années 70 l'Algérie
s'est engagée dans une politique de développement inspirée par la thèse des
industries industrialisantes.
L'ambition affichée était de construire une économie intégrée dans la perspective de s'affranchir des contraintes imposées par une division internationale héritée de la période coloniale. En dépit de la noblesse des objectifs, le modèle économique à contenu industrialisant découle d'un volontarisme économique alors qu'il eut été plus pertinent de définir, pour le pays, un projet de société à la hauteur des aspirations d'un peuple qui a souffert d'une longue nuit coloniale et d'une guerre de Libération nationale aux conséquences désastreuses. Il serait vain de réduire ces aspirations à des besoins strictement économiques et la contestation populaire amorcée le 22 février 2019 l'a exprimé avec force, en formulant, avec constance, des revendications pour un changement qui prend en charge un désir d'émancipation politique, sociale, culturelle et scientifique. Lorsque le volontarisme économique procède d'une conception paternaliste de développement, il se crée fatalement les conditions pour l'instauration d'un système de gouvernance qui engendre toutes sortes de dépassements et de déviations et dont les plus importants sont l'arbitraire, la répression et la corruption. De 1980 à ce jour, l'Algérie pâtit toujours de l'absence d'un projet de société mais contrairement à la décennie 70, elle n'a plus de stratégie économique. La crise actuelle est l'occasion de définir un modèle de croissance qui met fin à des politiques fondées exclusivement, sur les industries extractives et la distribution de la rente surtout que cette dernière est entrée dans un processus de dissipation qui s'annonce irréversible. Pour installer l'économie sur une trajectoire de croissance, il faut dépasser les démarches de court terme qui se préoccupent des seuls équilibres macro-économiques dans une optique strictement comptable. Le produit intérieur brut (PIB) est l'indicateur le plus utilisé pour mesurer l'activité nationale de production. Il représente la richesse créée au cours de la période considérée sur le territoire économique du pays. L'investissement représente la première variable déterminante de la croissance économique et l'on constate que pour l'Algérie l'effort d'investissement impulsé par la dépense publique est l'un des plus élevé au monde puisqu'il représente en moyenne 44,9% du PIB par an sur la période 2010-2018. En dépit de cet effort d'investissement, on constate une décroissance continue du taux de la formation brute de capital fixe exprimée en volume (accumulation brute de fonds fixes dans la terminologie de l'ONS) qui est passée de 7% en 2010 à 3,1% en 2018, et cette évolution a pour conséquence une chute du PIB réel avec3,6% en 2010 et 1,4% en 2018. L'effet le plus notable de la richesse consacrée à l'investissement est l'augmentation rapide de la demande qui n'a pas stimulé la production nationale ouvrant ainsi la voie à un recours massif aux importations. La consommation finale (consommation des ménages + dépense publique) qui représente en moyenne 57% du PIB entre 2010 et 2018 est une grande opportunité qui n'a pas été saisie par les entreprises nationales pour investir et augmenter la production de biens et de services. La satisfaction de la demande par le recours aux importations a fait le bonheur de nos partenaires étrangers et provoqué un déséquilibre chronique de la balance de paiement et une réduction drastique des réserves de change. La progression des moteurs de la croissance économique à l'instar de la consommation et des investissements n'a pas produit de retombées positives et il s'agit alors de s'interroger sur les causes de la situation. L'explication de l'impact insignifiant d'un taux d'investissement très élevé sur la production requiert un diagnostic rigoureux pour comprendre les facteurs qui entravent le développement de l'entrepreneuriat et l'évolution de l'économie algérienne d'une économie fondée sur la demande vers une économie d'offres. Il faut savoir que le préalable à toute décision d'investissement est la réalisation d'une étude de faisabilité qui renseigne sur l'acceptation ou le rejet d'un projet. Une fois cette question réglée, il est alors possible d'aborder la question de son financement. Il est contreproductif de multiplier les dispositifs de soutien au financement des entreprises, d'accorder des avantages financiers, fiscaux et autres facilités si la rentabilité du projet n'est pas démontrée. Toute décision d'investissement est déterminée par la demande anticipée par le porteur de projet et par le taux de rendement, c'est-à-dire la capacité de l'entreprise à générer des flux de revenus supérieurs aux capitaux engagés. La demande existe et elle est même importante puisque 50% de la richesse créée est affectée à la consommation finale. Le point nodal de la problématique économique algérienne est la faiblesse structurelle de l'efficacité économique que l'on a tendance à réduire à une insuffisance de ressources financières. En effet, il est illusoire de penser que le système bancaire est l'obstacle majeur au développement des entreprises et qu'il suffit de le reformer pour lever toutes les contraintes à l'augmentation de l'investissement et de la production. L'octroi de crédits par les banques dans le contexte d'un environnement qui ne produit pas un effet multiplicateur des investissements a pour seul résultat l'augmentation de la dette du secteur économique vis-à-vis des banques. Cette dette évaluée à 3,5% du PIB en 2013 et 20 % en 2017 est régulièrement rachetée par le Trésor public et mobilise des ressources importantes qui ne servent pas le citoyen. Si le gouvernement souhaite mettre en place une politique d'austérité budgétaire, il peut générer d'importantes économies en réduisant les coûts induits par la mauvaise gouvernance. Cette démarche évitera de faire supporter aux seuls ménages la politique de rigueur budgétaire fondée principalement sur la libéralisation des prix des produits de base. Pour déceler les facteurs qui freinent le plus l'investissement des entreprises et le développement de l'entrepreneuriat, les économistes proposent un diagnostic de croissance selon une méthodologie appelée HRV (Hausmann, Rodrik et Velasco). La méthodologie HRV se démarque de la vision globalisante des politiques d'ajustement structurel initiées par le FMI et offre la possibilité, pour chaque pays, d'établir un diagnostic analytique qui offre l'intérêt d'une hiérarchisation des reformes. Une fois que les causes du blocage économique sont connues, il est alors possible de construire une stratégie de croissance qui conduit au développement et au progrès social dont il convient de définir les grandes orientations. Les théories économiques traditionnelles stipulaient que la croissance économique est le résultat de l'augmentation des facteurs de production : équipements et main-d'œuvre. Les faibles performances enregistrées par les pays qui ont emprunté cette voie ont montré qu'il ne suffit pas de réaliser des usines clés en mains ou produits en mains et de disposer d'une main-d'œuvre abondante pour réduire la pauvreté et sortir du sous-développement. De nouvelles théories de développement ont émergé et apporté un nouvel éclairage sur les principales caractéristiques d'une stratégie qui assure une liaison forte entre croissance économique et développement. - Stratégie de croissance et mondialisation: Si dans les années 60 et 70 de nombreux pays du tiers-monde dont l'Algérie ont exprimé la volonté de réaliser l'indépendance économique, en refusant de s'inscrire dans une division internationale du travail, nettement favorable aux pays capitalistes avancés, le début des années 80 marque l'avènement d'une nouvelle configuration économique mondiale qui met fin aux thèses relatives d'un développement autocentré. La mondialisation a modifié le processus de production des biens et des services et désormais l'objectif pour chaque pays est de s'inscrire dans des réseaux de production pour tirer profit des nouvelles opportunités offertes par les chaînes de valeur mondiales (CVM). L'économie algérienne est insérée dans les CVM par les importations dont moins de 30% contribuent à la création de la valeur ajoutée à l'exportation. Le déclin de l'industrie amorcée au début des années 80 et la libéralisation commerciale dans une perspective prédatrice sont responsables de l'incapacité à capturer une partie des CVM. Les mutations de l'économie mondiale imposent des contraintes dont il faut tenir compte dans le cadre de l'élaboration d'une stratégie de développement. -Une croissance économique endogène : La théorie de la croissance endogène développée par Paul Romer et Robert Lucas, dans les années 80 a démontré à l'aide de travaux empiriques que la croissance économique d'un pays est déterminée par quatre facteurs de production : le capital physique (les équipements), le travail c'est-à-dire la main-d'œuvre disponible, l'intervention de l'Etat et le capital humain. Mais la pierre angulaire de la théorie de la croissance économique endogène demeure le capital humain qui désigne l'ensemble des connaissances, des qualifications, des compétences et des conditions de vie des individus. En mettant en avant le concept de capital humain, la théorie de la croissance endogène souligne, avec force, l'importance grandissante de l'économie du savoir et son impact sur la production des biens et services. L'accroissement des connaissances stimule l'innovation technologique et en fait le moteur de la compétitivité des entreprises. Il ne suffit plus d'acquérir des machines et de disposer d'une main-d'œuvre abondante pour mettre une économie sur le sentier de la croissance. La mise en évidence d'une liaison étroite entre le savoir, l'innovation technologique et le développement justifie la nécessité de faire des investissements conséquents dans le secteur de l'Education. Pour assurer la rentabilité de ces investissements, il y a lieu de corréler la politique de Formation avec les objectifs inscrits dans la stratégie de développement. Il est vain de promouvoir des disciplines dans les secteurs de haute technologie et les industries du futur pour un pays éloigné de la frontière technologique. L'Algérie a besoin de former des ingénieurs de conception, des ingénieurs d'application et des techniciens qui contribuent à la mise en œuvre de politiques de rattrapage par la maîtrise et l'imitation des technologies existantes, notamment dans les industries manufacturières. Si nos universités et nos écoles forment des spécialistes dans les domaines de la haute technologique alors que le potentiel industriel est limité, il en résultera un exode des compétences vers les pays plus attractifs. - Une croissance économique inclusive : Elle établit la liaison entre la production de richesses et leur répartition et défend le principe de la réduction de l'écart entre riches et pauvres. Plus les richesses d'un pays sont réparties équitablement et plus la croissance sera forte. Plus l'accès de la population à l'éducation, aux soins et à tous les services de base indispensables à une vie décente est large et plus les richesses du pays augmentent. La valeur du coefficient de Gini place l'Algérie parmi les pays où l'inégalité de salaires est la moins importante (28 en 2015 et 32,2 en 2018). L'inégalité s'accroît lorsque l'indice de Gini s'élève et la faible valeur enregistrée dans notre pays, malgré une légère progression, représente un gage favorable pour une meilleure croissance économique inclusive. - Une croissance économique créatrice d'emplois : Les composantes qui influencent positivement le PIB sont: la consommation finale (consommation des ménages + dépense publique), l'investissement des entreprises, les exportations. En revanche l'augmentation des importations entraîne un ralentissement ou une baisse du taux de croissance du PIB. Au cours des 20 dernières années la croissance économique a été tirée par la dépense publique et maintenant que celle-ci est en chute libre, en raison de l'épuisement de la rente, l'économie nationale doit relever le défi en faisant de l'investissement des entreprises, le premier moteur de la croissance. En mettant au cœur du modèle économique cet objectif, il sera possible de créer des emplois durables et de promouvoir une économie d'offres. Pour faire baisser le chômage structurel, la hausse du PIB doit être supérieure à 4% par an et pour atteindre cet objectif, le taux d'investissement devrait dépasser la barre des 40%. Dans cette perspective, il est important de revoir l'environnement de l'investissement, de rendre attractifs les secteurs jugés prioritaires et à faible intensité capitalistique : l'industrie manufacturière, l'agriculture, le tourisme et l'économie numérique. Tels sont les grands traits d'une stratégie économique de long terme que pourrait emprunter l'Algérie pour intégrer le peloton des pays émergents. L'élaboration d'un modèle de croissance repose donc sur les piliers suivants : diagnostic, création d'un environnement favorable à l'investissement privé qui représente la source durable de la croissance du PIB, développement du capital humain et réduction des inégalités sociales. Si l'aisance financière générée par la rente a tétanisé et bridé les capacités créatrices des Algériens, il faut espérer qu'avec la crise actuelle, le manque d'argent sera compensé par l'éclosion d'idées qui stimulent la créativité et l'inventivité et que le travail, l'unique source de la création de richesses, sera mise à l'honneur. *Economiste |
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