Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Nul n'entre au
désert si la passion lui fait défaut, devise qui devait être inscrite sur le
haut du frontispice d'une ville saharienne. A s'y soumettre ou s'en défaire
Le désert comme un aimant attire et envoûte son visiteur après plusieurs visites, on devient un fan intéressé aussi bien par son histoire, sa géographie que son ethnologie ou son éthologie. Pour apprécier : une seule marque de fabrique, joindre l'action qui lézarde le banal. Me vint l'occasion de parcourir un espace assez insolite qui doit rejoindre les confins de la Mauritanie vers la fameuse ville historique de Chinguetti simplement avec ma moto. L'aventure étant chevillée au corps, la tentation y succombe. De prime abord et en théorie on imagine un espace immuable où le vent ne se lève pas férocement, où le soleil n'est là que pour une température ambiante, où le sable comme décor, une piste balisée sans encombres, etc. La furie des éléments est repoussée dans l'imaginaire au fin fond du rêve. Elle est statique et dérange en rien. Heureusement que la vision optimiste poussera la candidature vers sa réalisation. Le voyage en connaissance du terrain, s'attendra à la furia d'un vent de sable, la fournaise du Râ et la soif qui miroite des reflets de mares flottantes le projet se consolide dans son rêve initial. Avec la conviction des quelques épreuves de terrain, (voyage à Tombouctou, marche au Népal, l'Amazonie des Yanomani, di Zaïra) ne tombent pas dans l'oubli, elles exhibent à contrario une curiosité, une nostalgie nouvelle qui écarte toutes difficultés. L'envoûtement du désert exerce son attrait pour ne plus laisser place à l'hésitation. Il vous lancine, taraude jusqu'à la dernière minute décisionnelle. Il gît là en soubassement dans les formes de pensées quotidiennes. Il ne lâche plus prise. Une idée fixée jusqu'à sa réalisation. Tous les jours la préparation est de mise. Elle va chercher les détails à concrétiser. Sur le carnet de note se formate ses interventions. Parer au vent nécessite un carton pliable, deux planches d'un mètre cinquante seront d'un atout considérable, soit pour servir de rampe de lancement en cas d'enlisement le soit un support de lit confortable et sécuritaire. L'élévation du lit évite les scorpions, les serpents et leurs méfaits. Le bivouac est une entreprise exigeante. Son rayon sécuritaire est balisé d'une surface nettoyée, bien visible pour détecter les traces de la veille de tous les visiteurs nocturnes. Pour parfaire le contrôle territorial, une ligne quasiment invisible tondue par un fil de nylon où sont suspendues quelques boîtes vides mais sonores aux moindres pressions. Bivouac en plein désert est une pause où se décante muscles et observations. La pensée va opérer une réflexion de haute voltige. Elle va enfin se questionner sur le sort de sa vie, penser à la mort, et flirter avec les grandes questions existentialistes. Toute la journée l'attention est éveillée, dilatée vers la conduite d'une piste qui ne pardonne guère. Il faut scruter non seulement l'horizon, supposer les retombées du moindre soulèvement poussiéreux et mobiliser toute son attention évitant les menus obstacles surgissant à tout moment. La pause vérifie la mécanique et conforte le muscle, le thé agit et décompose la fatigue, revigore et au même titre que le carburant lançant la machine. Au son du moteur, on fait corps. Notre vie est dépendante, elle est liée intimement au mouvement de cet engrenage. Autrement l'inaction vous fige dans une attente désespérée. Ce n'est pas une ligne touristique pour espérer l'entrevue, ni commerciale d'entraide. Une ligne morte depuis l'apparition des bandits sanguinaires, marchands d'otages. Un arrêt d'ennui mécanique intraitable et c'est la mort lente. La préparation est essentiellement importante où tout doit être prévu. L'eau en particulier et la réserve de carburant sont essentielles. Se greffent la pièce détachée susceptible de s'user (pneumatique, démarreur, câbles, chaînes, bougies etc.). un minimum de médicament (mal de tête, d'estomac, anti-vénéneux) sans parler des médicaments prescrits par son médecin. Une fois l'intendance réglée, l'action se poursuit dans sa réalisation, visa, informations continuelles sur l'état des routes, risques etc. la mécanique au point, un dernier adieu aux amis, aux parents et c'est l'envol. Le voyage n'est pas direct en ligne droite si ce n'est que les turbulences frontaliers et la zone militaire autour de Tindouf. Afin d'éviter ce micmac, j'opte pour un contour, plus long mais plus rassurant. Les frontières avec le Maroc étant fermées depuis plus d'une décennie, le détour par l'Espagne est incontournable. L'autoroute avec ses relais bien garnis, facilite le voyage et l'agrémente par tous les services offerts. Un confort qui serait rêvé plus tard sur les routes du sud. Le détroit de Gibraltar bien fourni en ferries opère la traversée sans encombre. Le Maroc ouvre grand ses bras pour vous faire goûter ses tajines aux olives et sa pastilla au goût d'amande. Les nombreux villages et villes se succèdent pour vous acheminer vers le sud. Un détour par Marrakech en vaut la peine pour découvrir le souk et la place de Djamaa en Fna, une véritable foire où la délectation folklorique est garantie. Le rassemblement de ce grand cirque remonte à loin. Tous les villages isolés autour de l'Atlas versaient pour leurs achats au grand centre urbain de Marrakech. La place Djamaa el Fna servait de lieu de détente et de retrouvailles entre diverses tribus. Vivement que j'arrive à Marrakech pour me délecter à la grande place de Djamaa el Fna. Marrakech, une ville la plus magnifique du terroir marocain, son esprit verse à l'universalisme et son charme est au-delà de tout soupçon. Une belle douche revigorante est me voici pavanant comme un coq autour des troubadours. Une animation, exotique, charmante et divertissante au plus haut degré. On sort émerveillé et le soir au village d'Ali la délectation atteint son paroxysme avec les danses folkloriques et le souper aux tajines méchoui. La cité d'Ali, à la banlieue de Marrakech imite la cité de Walt Disney, dans le style Mille et une Nuits. Les gens sont éblouis devant la démonstration au grand stade d'une partie de goum agréée par l'envol d'un tapis volant combiné. La musique orientale enthousiasmait la foule et la soirée se termina par un grand au revoir chanté en chœur. Les bus touristiques s'ébranlèrent chacun selon la direction des hôtels assignés. La soirée de Marrakech fut éblouissante. Tout milite pour une nouvelle pause, mais rien n'y fait, la route est là et la finale est loin, alors allons-y Alonso ! J'évite les villes et me régale à la campagne du petit restaurant «bouiboui» au tajine succulent. L'âme en peine je m'arrache à Marrakech pour suivre la route des arganiers, ces arbres dont l'huile aussi célèbre que les médicaments, abritent le plus souvent une nuée de chèvres qui, blottis sur les branches, se régalent du fruit et de son feuillage. Le soleil est là surchauffant un territoire avare d'ombre. Vite on remarque les grandes portes qui ressemblent à celles des haciendas. Derrière la ferme, une sorte de latifundia s'étale à perte de vue, une verdure dénotant une certaine richesse. Des barrages de contrôle ponctués à toutes les entrées d'agglomérations. La ville marocaine et son dynamisme ambiant. Une halte pour se restaurer, un petit tour en artère principale et par ici la sortie. Le lendemain à l'aube c'est le départ pour ma destination plein sud. Je voulais avaler une grosse étape de plus de 900 kilomètres pour rattraper l'intermède de Marrakech. Mais la tentation du plaisir du voyage fut plus grande pour me détourner de l'objectif principal, à savoir Chinguetti et ses alentours. Je naviguais d'une noirceur à l'autre, loin de la taïfa des gredins «la vallée de l'Ourika, la ville d'Ouarzazat, la vallée du Draa avec Zagora en finalité. Comment passer devant ce beau monde sans y jeter un coup d'œil et nourrir notre curiosité. La solitude, un allié, une poste vers la création «cette fiente de l'esprit qui vole». Alors sans remords, il faut y aller. Tous les chemins au Maroc descendent vers le sud envoûtant. Je prends la porte de sortie vers la vallée de l'Ourika, une vallée merveilleuse de par sa nature et sa composante typiquement berbère. Elle devient aussi la proie des touristes et gâche le pittoresque de ses cascades avec les boutiques en plein air des bijoutiers et des marchands de frou-frou et souvenirs. Les cafés installés en pleines roches sous les amandiers et les grenadiers entourloupés de guirlandes criardes répondent en partie au folklore de la région. Sa pureté réside dans l'état d'esprit de noblesse de ses habitants et à la poussée sauvage d'une nature indomptée. La vallée de l'Ourika s'apprécie à pied avec l'humilité d'un guide qui vous cornaque et vous tend la main. Un repas frugal au bord du torrent tumultueux et c'est la route vers la vallée du Draa. Le chemin est merveilleux, clairsemé d'ombrages et d'arrêts. La vue au loin de Monts Toubkal encadre un tableau d'une nature surprenante. On reste hypnotisé par la merveilleuse stature de cette montagne à la crête blanchie. L'air est pur et revigorant en ces matinées de fin de printemps. Un arrêt s'impose pour assimiler la beauté de ses paysages grandioses et profiter pour caper des moments magiques en réduisant la voilure. Juste au virage, un café-restaurant propose une halte rafraîchissante. La tentation est plus forte. La route après Agadir devient aussi pittoresque que chaude. L'allègement des vêtements de sécurité sautèrent pour me livrer au soleil. Avec la vitesse, la chaleur est reléguée à son dernier stade, la joie sourde toutes les vieilles chansons, la moto répliquait de son ronronnement. La vie semblait plus belle. Des barrages de contrôle à l'entrée des agglomérations me permettaient de souffler un peu en engageant une quelconque discussion avec les soldats de Sa Majesté. Mon thermos commençait à épouser la température ambiance. L'eau tiédie n'étanche plus la soif. Je mouille mes lèvres et économise avec parcimonie l'eau, ce capital vital. Il faut dire que l'impedimenta s'adapte à la monture. Au bout de quelques heures je m'arrête pour souffler. Mes reins reçoivent le grand coup, je tente de m'allonger sur place, éloigne la fatigue et je reprends un autre deux cents kilomètres jusqu'à Tianit. Dernière ville de la civilisation, c'est-à-dire la ville où existent encore l'épicerie et le téléphone. Une ville étape pour une dernière vérification des besoins alimentaires. Je déniche un vieille hôtel déglingué où je loge un sommeil d'occasion. Au matin je décide d'une journée de repos donnant l'opportunité au corps d'exulter. A l'artère principale je visite quelques magasins pour une alimentation légère. Je me coince dans une terrasse pour un thé et laisse défiler un panorama humain riche en couleurs. La couleur locale l'emporte. La tente c'est la djellaba et le chèche, en général. Aucun touriste, quelques Marocains émancipés de leur cravate se démarquent facilement. C'est peut-être les fonctionnaires du coin. Les mendiants ne quittent pas la scène, ils déambulent au gré de leur flair. Les cireurs les remplacent, aussitôt les vendeurs de journaux les bousculent pour s'accaparer du client, ainsi l'animation est à son comble avec le passage en pleine ville d'un troupeau de chameaux. Un îlot d'hère de pauvreté. Pour dormir je préfère sortir de l'agglomération et camper. Le vent n'aide pas à une situation régulière. Tous les gestes sont gênés par le frein contrecarrant du souffle violent de l'air. La tenue pour être debout nécessite tant d'efforts. Arriver à se calfeutrer dans le sac de couchage devient une gageure. La tente retenue par des blocs s'anime en une danse chaotique, elle voudrait s'envoler. Le sommeil arrive difficilement à composer avec cette agitation non prévue dans le programme. De plus en plus le vent distille sa partition houleuse, non difforme, le son et mêlé au mouvement. On dirait que la terre veut livrer un message de terreur. La sable ajoute son grain et papillote le nylon de la tente. Le cauchemar s'associe pour redorer le blason du désert. A mettre sur le compte des aléas. Comme un zombi, je temporise dans un demi-sommeil. Aux premières lueurs, le vent change d'allure, ses bourrasques deviennent espacées, le temps de plier bagage sans petit-déjeuner. Je roule à contre-cœur. La perception du terrain est toujours floue. J'avance péniblement, vraiment ce vent persiste et signifie sa domination sur tout l'horizon. J'arrête un peu pour aider le souffle. Le soleil, en insistant, brise quelques élans et la température freine les ardeurs déployées du vent. L'attention du paysage éclipse le grand orchestre du vent pour réinscrire le voyage dans son bon registre du rêve. Chaque phase naturelle a une fin. Les horizons se dissipent pour laisser place à la clarté et le paysage se redessine selon l'original. La mer à côté renvoie ses embruns en douceur pour ses alizés inconditionnels, le désert continue d'affirmer sa présence par toutes sortes de signes insolites qui collent au rocher comme au couvert végétal. Je roule mieux, le vent s'est calmé, la nature devient douce et pittoresque. La mer au loin resplendit, l'horizon s'affermit, le goût du voyage revient titiller l'âme. Il suit le bon cours de la route oubliant la fatigue et les sursauts des nids-de-poule, l'étape va se terminer. Je cherche un endroit adéquat pour bivouaquer. J'analyse la direction du vent, tâte le terrain et repère les abris naturels. Il faut bien s'écarter de la route et s'abriter loin des regards curieux des camionneurs et au danger de se voir écraser par inadvertance. Au loin la goguette, chercher la paix derrière un obstacle. Loin de vue, loin du cœur. Une fois décidé le lieu, c'est l'installation, plantation de la tente, au râteau, et le défrichage du terrain afin de le délimiter avec un fil de pêcheur accroché en son centre deux boites métalliques tintantes aux vents et hurlantes aux approches des animaux. Un café sur le gaz camping pour calmer les nerfs et l'ouverture des boites pour le souper. Le tout bien arrosé d'une eau claire de la source de Tlemcen, accompagné de délicieux biscuits. Le bruit des camions au loin se fait entendre plus amoindri, la nuit avance ses amarres et place au repos. Le sommeil par méfiance est interrompu, une occasion pour vérifier l'état du campement surtout à l'accélération des tintements des boites. Pour ne pas rester seul j'imagine une invitation avec Socrate de prendre un thé. C'est ça ! invoquer un bon temps non seulement avec Socrate et tous ses amis philosophes en attendant que le sommeil prenne comme le plâtre sur une fissure. Le désert inspire. Il est source de la pensée religieuse. Le silence, les grands horizons, suscitent-ils un questionnement sur les principes de la vie et de la mort ? Ma méditation va se braquer vers une quête pour un thé au sahara. Eugène Fromentin ne sera pas de la partie, empêché par la goutte. Le premier qui surgit c'est un élève de l'école d'Athènes : Platon avec sa barbe blanche, le fondateur de l'allégorie de la caverne, consolidant la théorie de la relativité des connaissances, jouant avec les illusions de l'ombre «l'objectif c'est d'éclairer l'homme sur ce qu'il est», intervient Socrate pour le piéger dans sa maïeutique lui rétorque une remarque didactique au sein de son académie. «Je sais, je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien» et Socrate prenant sous le bras Platon et l'invite à une marche sous la Stoa pour deviser un bout sur l'existence. De loin intervient Aristote, penseur dont les concepts servent à construire des cathédrales, pour mêler son grain : maître Platon, ne prenez guère la ciguë, votre condamnation est injuste, ces jeunes ne sont pas si innocents pour être influençables et dévergondés. Fuyez et jeter le calice». Socrate, héros de la pensée, dit : «l'amitié est une âme qui anime deux corps et il faut aller à la vérité avec tout son âme». Le vent durcit son rythme, et me ramène à la réalité. Il me décide à plier bagage au plus vite, vu les premières lueurs ; il vaut mieux partir dans la fraîcheur de l'aube que de rôtir sous le soleil impérieux de la côte atlantique. Le petit-déjeuner est remis à de meilleurs moments de certitude et de confort. Avaler un café sur le pouce devient impossible vu la méchanceté des hurlements d'un vent puissant et insolent. Il vaut mieux lever l'ancre pour d'autres horizons plus cléments. Le moteur répond et c'est l'essentiel. Allons voir ailleurs. La nuit d'insolites tableaux se profilent à droite et à gauche l'obscurité ajoute son mystère par une déformation visuelle augmentée d'une imagination troublée dans le noir. Des formes qui s'agitent dans un mouvement où la cadence du mouvement sur son passage. Vivement les premières lueurs qui discernent un paysage plus serein avec le calme appréciable du mouvement de l'air. Petit à petit la lueur dilate pour laisser pointer un soupçon de rougeur au loin. La mer, toujours présente par son rythme, laisse apparaître sa couleur plus foncée. Il n'y a aucune ville sur la carte. La faim commence à se faire sentir. Je décide de m'arrêter et de ne concocter un parfait déjeuner. Je choisis une côte basse et plante la moto. Le réchaud à gaz joue son miracle et le lait en poudre est accompagné de quelques biscuits trempés dans une confiture diététique. La vision est plus claire, je peux reprendre gaiement mon guidon et rouler jusqu'à épuisement des forces. Un épuisement forcé, fatiguant, éreintant. La reprise est dure, le dos crie violence mais la volonté le réduit à quia. Le voyage en moto a ses avantages et ses inconvénients, la fatigue en fait partie. La récompense se traduit par la vision des beaux paysages insolites qui défilent. A chaque halte, l'impression de grignoter un espace pris sur l'ennemi. L'objectif s'inscrit dans la finalité de l'épreuve. Tout au long de la traversée, l'esprit n'arrête pas d'émettre en boucles ses pensées. Les souvenirs remontent en surface, elles font surgir des tableaux pathétiques et complètement oubliés. Ils déclenchent une éruption de vieilles chansons. La nostalgie interpellée pour endurer le temps et l'espace. Les cairns, remplaçant des bornes kilométriques, les panneaux et tout le toutim apparaissent comme des signes libérateurs d'espace. Tout est tendu vers l'arrivée, cette délivrance qui fait savourer un temps de plénitude. Une délivrance, une satisfaction qui compense l'effort de la journée. L'installation du camps mobilise toute l'attention pour le gîte provisoire. Se retrancher en s'éloignant du bruit de passage et du danger. Autant que possible choisir une crevasse, évitant la curiosité des passagers. Délimiter le territoire par des nouvelles balises, jerricans, cordages, tintamarre etc. installation du camp proprement dit, literie sur la planche, cuisine parée de carton qui servira de pare-vent. Au désert le vent est omniprésent. Scruter en permanence les alentours et tenter de déceler la moindre anicroche. Coller au terrain pour ainsi dire son environnement. Est-il susceptible de générer des bestioles, et quels genres ? Faire attention de n'e pas laisser traîner les restes dont l'odeur allèche à cent lieues à la ronde les fennecs et compagnie. Bouillir l'eau et savourer un bon café qui décante la journée de ses secousses. Savourer le chant du silence, apprécier cette grande solitude, visionner la grandeur de l'horizon et se situer dans le champ immense du désert. Bivouaquer au désert me répétais-je ! y a-t-il un choix ? le mille étoiles est là sans protocole d'accueil. Le confort, les gâteries, à remettre, à oublier. Le présent c'est la moto, ma Rolls. Je passe à un autre registre, celui d'endosser l'uniforme du verbe : prendre note pour aider la mémoire. Je passe à sa vérification : son pneumatique à faire osciller du dur au mou. Lunette bordée, casque visé, l'œil aguerri, les mains gantées et fermées sur le guidon, la moto cherche sa ligne de mire et évitant les nids-de-poule, plutôt de chameaux. Les kilomètre défilent, je tente de convoquer quelques souvenirs, je pense l'avenir, à l'après-voyage. Toute une foule d'idées se présentent. Le paysage morose, monotone, menace du soleil qui pointe ses premiers rayons. Un arrêt nécessaire pour se dépouiller du casque et de la première couche de protection. Rouler en chemise à manches longues évite le coup de soleil aux bras. La casquette à longue visière brise l'agressivité du soleil. Roule coco, roule, tu l'as voulu. A l'entrée d'une insignifiante agglomération, c'est deux fûts et une chaîne qui vous invitent à s'entretenir avec les soldats en bivouac. Salamalecs, contrôle et on passe aux nouvelles. D'où viens-tu ? Où vas-tu , etc. Ah, Algérien ! Bienvenue !!! L'obsession de l'état de la route me fait répéter la même question : l'état de la route au devant est- il convenable ? - Labasse, quelques dégradations mais ça passe. - Merci au revoir ! Pas besoin de trop s'attarder, on risque de voir surgir la demande d'un cadeau africain. La petite agglomération avec son puits central attire les troupeaux de chameaux, les charrettes de livraison et les gamins bordés de mouches. C'est les nouvelles qui comptent à défaut de presse, c'est l'oralité qui reprend ses droits comme aux temps des griots. A la base c'est le marché crépit de toutes sortes de ruminants. L'animation est à son comble, la visite de la libellule, des moustiques et des papillons atteste pernicieusement de leur présence. Le cri des bêtes se mêle au brouhaha de cette cuvette où trône le puits. Les hommes se rafraîchissent, les femmes remplissent des contenants de peaux de chèvres, des bêtes s'entêtent d'abreuvage. Les cris de marchandage voltigent de groupe en groupe. Un air de goguette se dégage par des rires sonores, la désinvolture nimbe l'atmosphère. Bientôt la civilisation à Chenguitti reprendra ses droits, laissant les coloquintes batifoler entre elles. |
|