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2ème PARTIE :
EN ATTENDANT UN BIG BANG POLITIQUE? REFORMES URGENTES D'ETAT Depuis son accession à l'indépendance, l'Algérie vit dans le cadre d'un système politique dominé par l'institution de la présidence de la République avec la direction de l'armée comme alliée principale et une pensée unique imposée jusqu'au 5 octobre 1988 ; depuis, il s'agit d'un système de parti dominant qualifié d'«alliance présidentielle». Face à la quasi-absence de l'opposition qui confirme le déficit démocratique, la voie de la réforme du système politique est rendue nécessaire par les modifications intervenues notamment depuis cette date. Il devient évident qu'une révision constitutionnelle doit pouvoir être opérée à la fois pour redessiner le profil des institutions politiques algériennes et redéfinir les prérogatives de celles-ci en vue d'asseoir un équilibre des pouvoirs. Les données actuelles le permettent-elles à l'approche de l'élection présidentielle de 2014 ? Le système politique algérien se caractérise d'abord par un exécutif bicéphale. De la Constitution de 1963 (monocratisme partisan) à celle de 1989 (reconnaissance du multipartisme), en passant par le texte fondamental de 1976 (tendance au présidentialisme) et la révision constitutionnelle de 1995 (sans modification notable), les prérogatives dévolues à la fonction présidentielle se révèlent exorbitantes face à celles reconnues aux autres institutions (notamment aux pouvoirs législatif et judiciaire) qui apparaissent comme les parents pauvres de la répartition du pouvoir d'Etat entre les principaux acteurs politiques. Dans ces conditions et pour mettre en œuvre un contrôle à définir quant à sa nature et son étendue (ainsi que les acteurs qui devraient l'assumer), force est de préconiser un équilibre des pouvoirs à travers les missions de la Présidence de la République qui peuvent apparaître démesurées, sous peine de s'enfermer dans un schéma d'autoritarisme caractérisé et de mépris affiché à l'endroit des autres institutions et du personnel politique, judiciaire et administratif. Ce outre qu'il y a irresponsabilité politique du chef de l'Etat. Ainsi, il y aura lieu de réfléchir à l'institutionnalisation d'un réel contre-pouvoir au sein de l'Etat pour permettre une émulation institutionnelle synonyme d'une bonne santé de la gestion du pouvoir (d'aucuns diraient gouvernance) et de saines décisions démocratiques. A côté des pouvoirs classiques (Exécutif, Législatif, Judiciaire), doivent coexister d'autres institutions et organisations -outre les partis politiques- de nature à infléchir toute décision à même d'engager le pays dans l'immobilisme parlementaire, la dictature présidentielle ou le gouvernement des juges; ainsi, des organisations non gouvernementales gérées par des personnalités issues de la société civile relativement à la veille quant aux droits de l'homme, la construction de l'Etat de droit, la liberté d'expression (presse et culture)? Le Premier ministre (souvent désigné selon des critères de connivence politique, voire par compromis) semble être davantage un grand commis de l'Etat chargé d'une mission par le Président de la République qu'un homme d'Etat doté de prérogatives autonomes ; à défaut, s'ensuit une guéguerre entre les deux plus hauts représentants de l'Etat conçu en pouvoir bicéphale (cas de Benbitour), notamment lorsque le Premier ministre se porte concurrentielle- ment candidat à la magistrature suprême (cas de Benflis) ; ce qui pouvait conduire à une cohabitation non exempte de tension politique entre les deux têtes de l'exécutif car formant un couple orageux. Ainsi, l'autorité dont il peut bénéficier auprès des ministères techniques s'estompe sérieusement face aux ministères dits de souveraineté, notamment ceux des Affaires étrangères, de l'Intérieur, de la Justice, ainsi que de l'Economie (qui repose encore pour l'essentiel sur les hydrocarbures et sur une bureaucratie rentière). Les titulaires de ces Départements ministériels sont souvent des hommes liges du Président de la République qu'il nomme pour leur allégeance à sa personne en vue d'appliquer sa politique, étant précisé que le Ministère de la Défense nationale continue d'être constitutionnellement aux mains de ce même Président, par ailleurs Chef des Forces armées. Et il reste évident que le Premier Ministre ne peut avoir aucune espèce d'autorité sur ce Ministère dont le patron est aussi le sien. En la matière, la réforme serait d'opérer une réflexion sur l'institution du Premier ministère que l'on peut juger inefficace et de peu de légitimité. En effet, il est loisible d'observer que les titulaires de ce poste ne sont pas forcément issues d'un parti majoritaire au sein du Parlement alors que le Premier ministre devrait être le chef du groupe parlementaire le plus représenté au sein de cette institution (dans le cadre du régime parlementaire, en tout cas). LEGITIMITE ET SYSTEME POLITIQUE Mais, quoi qu'il en soit, en qualité d'expression de la légitimité démocratique, le Parlement doit pouvoir bénéficier de prérogatives à même de lui permettre de contrôler de façon efficiente la politique du gouvernement ; ce, d'autant plus que la recherche d'une majorité parlementaire demeure un élément structurant de la vie politique. Dans le même temps, disparaîtra la situation quasi-ubuesque qui dure depuis de nombreuses années, à savoir la présence du Président de la République qui siège ès qualité au Conseil du Gouvernement mais également en qualité de Ministre de la Défense (en effet, on imagine mal comment le Premier Ministre puisse avoir une quelconque autorité sur le Ministre de la Défense) ; confier ce portefeuille ministériel à une personnalité civile résoudrait également cette situation puisque l'institution de l'Armée se professionnalise. De ce fait également, le Président de la République devrait pouvoir être plus en rapport avec le Parlement à même de contrôler sa politique ; ce, car le Parlement est également détenteur de la souveraineté populaire. Quant aux ministres, ils devraient bénéficier effectivement d'une autonomie indépendante de la volonté présidentielle pour pouvoir mieux apprécier les solutions à apporter aux secteurs dont ils ont la charge ; ce sous la vigilance du Président, en sa qualité de chef de l'Exécutif, et du Parlement. En ce sens, c'est lui le véritable chef du gouvernement, et non pas le premier ministre auquel il délègue des missions selon son bon vouloir. Le système politique se caractérise également par le bicaméralisme, le constitutionnalisme algérien ayant opté pour cette solution. D'où l'interrogation légitime : quels seraient les tenants et aboutissants de l'institution du Sénat (Conseil de la Nation) dont le tiers dit « présidentiel » est désigné par le Président de la République ? En effet, dès lors que les différentes tendances politiques, couches sociales ou catégories socio-économiques, régions du pays, âges et sexes, sont sérieusement représentées au sein de l'Assemblée nationale, il me semble légitime de s'interroger sur l'efficacité de l'institution d'une seconde chambre. Dans ces conditions, le monocamérisme devrait pouvoir suffire aux besoins du parlementarisme algérien qu'il serait inutile de doper par l'élection d'une seconde. Cette dernière alourdit de toutes façons le fonctionnement normal du système politique pour une meilleure lisibilité et transparence de la vie politique du pays. A cet égard, des Parlements régionaux seraient à même de palier l'absence d'une seconde chambre. Ainsi, l'Algérie n'a pas cru devoir explorer la donne de la régionalisation en tant que forme organisationnelle intermédiaire entre l'Etat et les Collectivités locales à même de permettre une décentralisation et une déconcentration de certaines prérogatives dites de puissance publique entre les mains des représentants régionaux ; ce, afin d'alléger l'Etat -en sa qualité de maître d'œuvre de la politique de la nation- de certaines taches davantage techniques que politiques. Il y a donc lieu de réfléchir à la mise en place, dans un premier temps à titre expérimental, de Régions avec Assemblée régionale élue d'où pourrait être désignée l'élite constituée de jeunes appelée à gouverner cette nouvelle entité politico administrative ; ce faisant préparer la nouvelle élite de demain pour l'Algérie. Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale devrait regrouper tous les partis connus sur la scène politique -toutes tendances confondues- aux lieu et place d'un savant dosage obéissant beaucoup plus à des considérations d'alliances qu'à une authentique carte politique issue du suffrage universel. Il est vrai en effet que le suffrage est souvent manipulé en sorte que l'essentiel du pouvoir reste concentré entre les mains des décideurs politiques en leur qualité de géniteurs du système. C'est sans doute là une réforme d'Etat d'avenir. Historiquement, l'Armée a été mêlée à la vie politique pour permettre à certaines personnalités nationales d'accéder au pouvoir ; ainsi, le 19 juin 1965, Boumediene ès qualité de Ministre de la Défense a pu sans coup férir prendre le pouvoir. Depuis, l'institution de l'Armée à travers sa haute hiérarchie a été davantage encore mêlée à la politique du pays; ce qui explique sans doute que, depuis cette date, tous les Présidents de la République ont à leurs corps défendant gardé le portefeuille de la Défense nationale. Ce Ministère se révèle d'une importance capitale pour qui veut dominer l'échiquier politique, longtemps assujetti à la pensée unique. A ce jour, c'est toujours le cas même si les tenants du pouvoir (depuis notamment l'arrêt du processus électoral de 1991) se proposent de réaménager cette institution afin d'en faire un corps de professionnels. Elle demeure, en tout cas, une institution incontournable dans la vie politique et constitutionnelle algérienne. La réforme devrait consister en une professionnalisation en sorte que cette institution, nécessaire à la défense nationale, puisse se consacrer avec sa haute hiérarchie à cette tache dévolue au demeurant par le texte fondamental du pays. NI PARTI UNIQUE NI PARTI DOMINANT Dans cet échiquier, quel serait l'apport du multipartisme octroyé ? Force est d'observer que, hormis le FFS, né au lendemain de l'indépendance nationale par la volonté d'opposition de ses promoteurs, les autres partis politiques sont nés pour la plupart suite aux événements d'octobre 1988 (une loi ayant promu les Associations à caractère politique). Les élections municipales et celles législatives, contestées au demeurant ont fait vivre à l'Algérie des tribulations qualifiées officiellement de tragédie (en d'autres lieux, il pourrait s'agir d'un crime de haute trahison envers la nation, passible d'une Haute Cour de Justice). Le FLN, longtemps parti au pouvoir, n'a pas réussi sa reconversion tant attendue du fait de la permanence des données de base du système politique en vogue depuis l'indépendance. En réalité, il y a eu primauté de fait de la Direction de l'Armée sur celle civile et partisane du FLN qui a été promu parti unique par le pouvoir (ensuite locomotive d'un parti dominant « alliance présidentielle ») et que les uns et les autres continuent de se disputer à ce jour à travers les « coups d'Etat scientifiques » et autres « redresseurs ». En dehors les partis nombreux qui ont été contraints de s'effacer de la scène car ne pouvant s'imposer sur l'échiquier politique, les seules formations politiques qui demeurent sont celles qui représentent la tendance dite nationaliste se réclamant de constantes nationales (arabité, amazighité, islam) dont celle mise sur pied par les tenants du pouvoir après que feu Boudiaf ait prôné l'émergence d'un parti politique national et démocratique au service de la République algérienne et la tendance dite islamiste -en tout cas se réclamant du seul Islam comme base idéologique- tolérée par le pouvoir car jugée modérée et s'intégrant dans le jeu politique en siégeant au Parlement et au Gouvernement. Compte tenu de l'orientation à insuffler au système politique, la réforme en la matière serait une solution qui pourrait aboutir à terme soit à un bipartisme (selon un schéma classique : parlementaire comme c'est le cas de la Grande Bretagne avec les conservateurs et les travaillistes ou présidentiel avec les républicains et les démocrates comme c'est le cas aux Etats-Unis) ou à un multipartisme (selon un autre schéma : régime qualifié de semi parlementaire ou semi-présidentiel, je dirais présidentialiste car l'essentiel du pouvoir demeure aux mains du seul Président de la République dont le Premier ministre apparaît souvent comme un tampon entre lui et les autres institutions dont principalement le Parlement et comme un fusible pratique à éjecter lors de mécontentements réitérés de la population. Ce qui laisse d'ailleurs à penser qu'on est loin d'aboutir à une République des partis. Ainsi, le constitutionnalisme algérien gagnerait à exercer une réflexion approfondie et instaurer un large débat sur les réformes d'Etat quant au bicéphalisme de l'Exécutif et le bicaméralisme relativement aux institutions du Premier ministère et du Sénat. La régionalisation mérite également, ce me semble, de retenir l'attention du législateur. La presse et la culture doivent également devenir des pôles d'intérêt démocratique. Par ailleurs, s'il est vrai qu'il faut éviter ce que d'aucuns désignent comme le gouvernement des juges, il est clair toutefois que les élus locaux comme nationaux -ainsi que les autres instances issues du gouvernement dont les ministres- ne peuvent être exonérés de leurs fautes dont ils doivent répondre devant les tribunaux ordinaires eu égard au principe de l'égalité de tous devant la loi. Et bien entendu, s'il faut également éviter la judiciarisation de la vie politique, il est sain d'asseoir une tradition démocratique de sorte que les mis en cause se voient contraints de démissionner de leurs postes à raison de leurs responsabilités avérées dans des situations délictuelles par exemple. A cet effet, la pénalisation de la vie politique doit permettre la recherche de la responsabilité pénale des hommes politiques par le juge judiciaire comme le commun des mortels -et non plus par des juridictions spécialisées- pour des incriminations relevant du droit pénal et nécessitant des procédures pénales (comme c'et le cas actuellement pour les journalistes à raison de leurs écrits présumés délictueux). REVISION CONSTITUTIONNELLE De même, le juge constitutionnel doit pouvoir se départir de son rôle de simple donneur d'avis à l'exécutif qui fait de lui une institution inféodée à la personne du président de la République. Il se doit de s'inscrire dans une autonomie lui permettant de devenir une véritable juridiction constitutionnelle au service de la nation algérienne. Ceci laisse supposer que le pouvoir constituant et le législateur se laissent tenter par l'idée de modernité de la société algérienne ; ainsi, la féminisation de la vie politique par l'instauration du système dit de la parité quant à l'élection des femmes à tous les échelons du pouvoir local et central (ainsi qu'à une plus grande accession des postes de hauts fonctionnaires proches des décideurs politiques). Il en est de même de la rationalisation du « nerf de la guerre » que sont les moyens financiers des partis politiques en vue d'une transparence visible pour le citoyen qui a certainement horreur des scandales financiers et de la corruption en tant que thème récurrent mais à ce jour inabouti. Il est vrai que le financement desdits partis échappe à tout contrôle organisé et sérieux tant les stratégies de marketing de ceux-ci demeurent occultes ; ce qui ne peut contribuer à une moralisation de la vie politique en sorte que là aussi le législateur a fort à faire pour mettre en place un dispositif légal assurant un financement public des partis et un remboursement public des dépenses électorales, accompagné d'un contrôle administratif et juridictionnel. Au total, pour ne pas encourir le risque majeur de la sclérose du système politique algérien, force est de chercher à résoudre cette équation fondamentale, à travers une sérieuse révision constitutionnelle : comment réconcilier les Algériens avec les impératifs de développement politique (la démocratie), le développement économique (impulser une politique efficace de l'investissement et rentabiliser le parc industriel existant, dans le cadre d'une économie forte et sociale de marché), le développement social (l'émancipation des travailleurs avec la mise en place d'une nouvelle législation sociale), le développement culturel (renouveau linguistique et remise à flots des créateurs dans l'ensemble des domaines artistiques) et la justice sociale conçue comme pierre d'angle de tout projet cohérent dont la légitimité doit reposer sur la capacité du gouvernement à régler les problèmes des citoyens et à tolérer l'esprit critique -voire simplement caustique- de la presse ? L'élection présidentielle de 2014 y changera t-elle quelque chose ? L'interrogation est d'autant plus légitime que les Constitutions de 1989, de 1995 et de 2008 n'ont pas modifié, de façon notable, les données de la problématique du présidentialisme algérien. En effet, l'Algérie ayant déjà payé un lourd tribut à la démocratie, il reste à espérer que tant de vies humaines n'aient été sacrifiées pour rien au vu de la démocratie résiduelle actuelle. Peu de résultats tangibles ont été enregistrés ; cela est d'autant plus vrai que l'opposition parlementaire a montré qu'elle n'est pas suffisamment structurée pour servir de contrepoids politique pour rendre crédible, effective et irréversible l'alternance au pouvoir comme élément substantiel de la pratique du pouvoir. Que dire en effet de cette situation de crise qui perdure au delà de toutes les analyses avancées à ce jour, d'autant plus que les régimes successifs depuis l'indépendance ont laissé des secteurs vitaux pratiquement en friche : agriculture, emploi, logement pour l'essentiel ? La technocratie -au service d'une structure gouvernante qui se sert de l'Armée- ne peut procurer de résultats sérieux qui, pour être mal en point, recèle néanmoins de potentialités réelles, et surtout de femmes et d'hommes de valeur. Il est vrai, toutefois, que du personnel administratif (de hauts fonctionnaires délégués à des fonctions politiques) ne peut au mieux que gérer des décisions prises en dehors des sphères classiques du pouvoir. In fine, l'Algérie se révèle un véritable livre de sociologie à ciel ouvert, voire un immense divan à coeur ouvert car il est manifeste que, dans les villes règne une ambiance de sous-développement à l'oeil nu : désoeuvrement manifeste des jeunes, transport urbain plutôt sommaire, immeubles vétustes à côté de constructions quasi-pharaoniques... à faire pleurer les pierres ! Et pourtant, le « chahut de gamins » n'a pas cessé ; il a même redoublé d'intensité. Plusieurs années, après octobre 88, n'ont pas entamé cette persévérance juvénile. Et dans une atmosphère de pessimisme flagrant, l'Etat semble être le grand absent. Etat qui, face à la paupérisation forcée de beaucoup de citoyens algériens et l'enrichissement des héritiers du monopole d'Etat sur le commerce extérieur comme nouvelles puissances d'argent, n'a de mieux à nous proposer qu'une révision de la Constitution. Il y a là fracture entre la société légale qui tente de se légitimer et la société réelle dont l'espoir d'un changement du système politique semble un lointain horizon. Le big bang politique tant attendu depuis l'indépendance de l'Algérie tarde. Aura-t-il lieu en 2014 ? Fin * Avocat ? auteur Algérien |
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