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La primauté du militaire sur le
civil. Encore une fois et cinquante ans
après l'indépendance. Revenons sur l'affaire d'In Aménas, actuel centre du
monde, capitale de l'Algérie, du Mali, de la France et du Sahelistan. On
laissera de côté les détails, les otages, les chiffres et le flop de la
communication, habituel en Algérie. Revenons sur les autres otages : les
Algériens. Piégés entre un régime qui ne leur dit rien et qui ne va pas se
punir sur les graves manquements à la sécurité qui ont permis de prendre une
base stratégique en moins d'une demi-heure. Piégés entre le régime et les
Emirats. Qu'ont-ils pensé, vu, vécu et ressenti ?
C'est que personne n'en parle sauf Internet et Facebook, ces deux pays universaux où la liberté n'a pas besoin d'un drapeau. Et là, comme dans la rue, on lira l'essentiel : d'abord les Algériens ont peur. Il y a en même temps retour de la France et le retour des islamistes. Les deux traumatismes du siècle, en un seul package. Ensuite, ils se sentent encore isolés, replongés dans le cimetière ambulant des années 90, repoussés vers la quarantaine internationale, inquiétés dans leurs personnes et leurs biens. Et si cela revenait ? S'interroge l'inconscient collectif. « Cela » incluant la France et les GIA. Du coup, quand l'armée a donné l'assaut sur la base d'In Aménas, les Algériens, beaucoup, ont critiqué le mode ou l'absence de communication, mais tous ont été solidaires avec la dernière institution qui, à leurs yeux fait son boulot : l'armée. Le monde, l'Occident pouvaient parler de bain de sang, les Algériens parlaient d'un bouclier contre le pire. Sur le Net, les chants de gloire ne cessent de claironner à la gloire de cette armée. Oubliés les répressions, les dépassements, les coups d'Etat, les généraux, les salons, les fils de généraux et toute la mythologie des temps modernes : on ne retiendra de l'armée que sa force : elle redevient armée de Libération dans les imaginaires. Du coup, c'est le civil qui en pâtit : Bouteflika n'a rien dit pendant toute la crise. Sellal non plus. Le ministre de la Communication aurait mieux fait de se taire et Daho Ould Kablia tout autant. Autant pour les « politiques », les Belkhadem et associés?etc. Sans avis, ou sans soucis. Les Algériens, par peur, par projection, par basculement, se sont retrouvés à chanter les louanges de l'armée, dernier bouclier contre la colonisation, la recolonisation ou la menace sur la terre et le puits. L'ANP en redevient presque l'ALN dans les propos et les remerciements ! Les Algériens, beaucoup, feront corps avec cette armée pendant que leur Présidence s'en désolidarise dans un silence grave et scandaleux. Et, du coup, le pays, entier, retombe dans son antique formule de la primauté du militaire sur le civil : en politique mais aussi en initiative. Il y a le peuple, il y a le pétrole et il y a l'armée. Le reste est du verbiage dit l'inconscient collectif. Cette affaire va donc marquer le retour des militaires, de leur image, de leur solution ou au moins de leur mythe. Et avec des résultats et une mission : protéger le pays contre la recolonisation. C'est une nouvelle légitimité très tentante pour de jeunes officiers si on était à l'époque des putschs faciles contre la vieille garde qui parraine encore le pouvoir chez nous. On ne mesurera pas de sitôt l'impact de cette crise sur les équilibres internes, entre générations, au sein de l'armée, mais certains le pressentent. Les Algériens, pour leur part, vont accorder le crédit au dernier souvenir de guerre et lutte pour la souveraineté : pas celui de la génération 54, pas celle de la décennie 90, mais ceux qui peuvent émerger avec la nouvelle mission de protection du pays. Le régime va, à la fois, se régénérer mais aussi, se « dégager ». En silence toutefois. Les plus perspicaces devinent qu'il ne s'agit pas de politique-fiction. |
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